Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Les lycéens face à la pandémie de COVID : quelles pratiques du numérique ?

Une enquête dans les lycées de Normandie
mercredi 5 octobre 2022 Catherine Bailleau

Résumé

Suite à la pandémie de COVID-19, une enquête régionale a été menée pendant le premier confinement de mars 2020 sur les pratiques connectées des lycéens. Leurs témoignages ainsi que ceux de leurs parents, nous donnent une image de ce qui a été pour eux la continuité pédagogique. Les inégalités scolaires, pour des raisons techniques, sociales et individuelles, expliquent le décrochage de certains élèves et poussent à penser différemment la formation à distance en des formes hybrides d’accompagnement pédagogique des élèves.

Mots-clés : Continuité pédagogique, Pratiques connectées, Formation à distance, Lycéens

1. Contexte de la recherche

En 2019, lors du bilan des politiques régionales en faveur des lycéens normands, Hervé Morin, Président de la Région Normandie a présenté le « plan lycée 100 % numérique » inscrit dans la démarche #Lycée du Futur [1]. Ce projet fait suite à de nombreuses expérimentations, initiées dès les années 2000 par la sphère politique, visant à promouvoir l’équipement massif des élèves en matériel numérique, dans une idée d’équité pour favoriser la réussite de tous (Pauly-Combemorel et Baron, 2017). Mais en 2020, le pays a fait face à une crise sanitaire majeure au COVID 19, entraînant la fermeture des lieux publics dont les établissements scolaires. Cette situation exceptionnelle a créé des disparités entre les élèves selon leurs conditions de confinement, le matériel à leur disposition et leur accès à Internet. C’est pourquoi, la Direction des Lycées de la Région Normandie a souhaité comprendre comment s’était traduite la continuité des cours au cœur même des familles de lycéens. Cet événement est arrivé durant un travail de recherche, mené sous la forme d’une thèse CIFRE, sollicitée par la Région Normandie, sur les pratiques connectées des élèves normands. L’enquête conduite pendant le confinement s’inscrit dans cette dynamique compréhensive de la Région.

2. Cadre théorique

Nous avons voulu, par cette enquête, savoir comment les élèves vivaient ces cours à distance et surtout quelle était la place du numérique dans le maintien des apprentissages. Aussi, pour être au plus près des usages des lycéens, nous avons choisi de la proposer avant la réouverture des établissements scolaires. Pour cette première enquête exploratoire et d’opportunité, nous avons choisi de récolter des éléments factuels et déclaratifs en nous appuyant sur le cadre théorique suivant : nous savions déjà que pour les jeunes lycéens, le numérique est relativement ordinaire et surtout que c’est un outil d’émancipation du monde des adultes (Fluckiger, 2008). Aussi, ajouter des usages scolaires numériques avec les smartphones ou les ordinateurs des élèves, est un grand défi. Comme toutes nouvelles technologies, le numérique est saturé d’idéologies. C’est pourquoi, nous avons choisi de construire notre enquête dans l’idée d’éprouver la valeur des idées reçues suivantes :

  • Le numérique crée de l’inégalité entre les élèves ;
  • Le numérique crée une source de distraction avec des usages personnels qui se superposent aux usages scolaires ;
  • Les adolescents aiment travailler avec le numérique.

Nous savons que les usages numériques sont dépendants de la possession ou non d’un appareil numérique (smartphone, ordinateur). Hargittai en 2003, a montré que l’aisance d’une personne à utiliser son appareil numérique est corrélée à sa facilité d’y accéder. Elle en conclut que les usagers dont le statut socio-économique est le plus bas, dépourvu d’ordinateur, avaient un niveau de compétences numériques moins élevé que les autres. Eynon (2009) va plus loin en définissant la fracture numérique « comme un continuum où intervient un entrelacs de facteurs déterminants tels que les attitudes, les compétences, la qualité de l’accès et l’aide fournie par l’environnement ». Aussi, nous nous sommes demandés comment se positionnent les lycéens normands au niveau des fractures numériques en termes d’inégalité d’accès aux outils et d’usage (Le Guel, 2004).

Nous savons également que les appareils numériques sont fortement évocateurs d’usages personnels, même en milieu scolaire, et suscitent des attentes dans ce sens chez les élèves (Fluckiger, 2008 ; Villemonteix et al., 2014). Ces dynamiques conduisent à développer certains flous, entre ce qui relève des activités scolaires et ce qui relève de la vie personnelle (Burban et al., 2013) avec des effets de superposition d’activités indépendamment des lieux et des moments, qui a pour conséquences un déficit d’écoute, de concentration et de compréhension. Dans le cas du confinement, ces lieux et ces moments ont été, de fait, superposés. L’enquête que nous avons menée s’est donc intéressée à la façon dont les élèves et les familles ont réagi à cette superposition et les conséquences sur les apprentissages

Enfin, « les lycéens ont une culture quotidienne de l’écran avec des pratiques ludiques, pragmatiques et profanes. Mais une culture insuffisante en termes de compétences techniques et de réflexivité sur les pratiques et les usages. » (Dauphin, 2012). C’est-à-dire qu’ils adoptent la pensée « magique » des objets techniques et ne cherchent pas à comprendre leur fonctionnement. Même s’ils sont à l’aise avec quelques logiciels, leurs compétences sont difficilement transférables à d’autres (logiciels bureautiques par exemple). L’idée préconçue sur leurs supposées compétences numériques, est perçue par les lycéens comme une injonction générationnelle ce qui les contraint à ne pas demander de l’aide (Cordier, 2015). Ainsi, l’enquête s’est intéressée à comment en cas de difficultés, ils sollicitent les enseignants, leur famille, leur cours, etc.

A partir de l’ensemble de ces concepts nous avons construit notre enquête en y associant des questions sur les usages numériques et leur appréciation de la situation qu’est un confinement total en temps de pandémie.

3. Méthodologie

L’enquête a été menée à l’échelle régionale du 7 avril au 1 juin 2020 auprès des lycéens et de leurs familles pour comprendre comment ils s’étaient approprié ces outils afin d’assurer la continuité des cours depuis leur domicile. Elle s’intègre dans le cadre d’une thèse CIFRE sur les pratiques connectées des lycéens comme enquête exploratoire. Elle a été adressée aux 103 953 lycéens normands à travers les 125 lycées de la région : 5 156 élèves et 2 694 parents ont répondu.

Le questionnaire des élèves s’est construit autour de 4 thèmes : les conditions de travail, les usages scolaires, les usages numériques et les représentations de l’enseignement à distance. Pour les familles, il s’agissait de comprendre le passage de relais avec les enseignants et la place du numérique dans leur communication. Nous nous sommes intéressés aussi aux conditions de l’accompagnement de l’élève et aux représentations familiales des apprentissages avec le numérique.

Les données quantitatives ont été traitées par le logiciel Sphynx avec une analyse descriptive et exploratoire sur l’ensemble des données et une recherche de liaisons entre les différentes modalités. A ces données, quelques questions ouvertes ont permis de récolter des témoignages qualitatifs.

Bien que l’échantillon soit significatif avec plus de 5000 réponses, il est à noter que le questionnaire a été publié en ligne. Aussi, les élèves sans connexion Internet ou sans équipement numérique ne pouvaient y répondre. Les biais de non-réponses sont à prendre en compte, malgré une cohorte importante.

Dans le cadre de cet article, nous avons axé nos variables sur le temps que les élèves déclarent avoir consacré aux activités scolaires en classant les lycéens en 3 groupes :

  • « Les élèves assidus » qui déclarent avoir travaillé plus de 3 heures par jour et plus de 3 jours par semaine qui correspond aux directives suggérées par le ministre de l’éducation : ce critère correspond à 3794 élèves ;
  • « Les élèves occasionnels » qui déclarent avoir travaillé moins de 3 heures par jour et moins de 3 jours par semaine : ce critère correspond à 1352 élèves ;
  • « Les élèves qui déclarent ne pas avoir travaillé » : ce critère correspond à 86 élèves.

4. Résultats

L’enquête suggère que la continuité pédagogique s’est bien déroulée pour nos répondants compte tenu des conditions de sa mise en place : le suivi des cours pendant le confinement a été positif selon les déclarations de 70% des parents et 80 % des lycéens.

Cependant, comme le souligne ce témoignage d’élève, la situation anxiogène, induite par la pandémie, accompagnée de la soudaineté du confinement et la proximité des membres d’une même famille au domicile pendant plusieurs semaines, n’a sans doute pas été facilitatrice pour l’activité scolaire des lycéens :

« [...] Cette soudaine demande d’autonomie donne l’impression qu’on nous a lâchés dans la jungle. Je me qualifie comme une élève plutôt sérieuse et autonome pourtant cette absence de pédagogie, d’humains me fait douter de la qualité de mon travail. […] cette anxiété, cette incertitude est croissante. Ma propre anxiété ne me suffit plus, je suis inquiète pour d’autres élèves de ma classe, des élèves moins autonomes, moins favorisés, avec une famille plus nombreuse et un nombre d’outils de travail réduit. Pour prendre l’exemple de ma sœur en classe de 5e qui connaît des difficultés d’organisation et de gestion du travail, […] »

Cette situation singulière, a mis en relief, au travers de l’enquête, plusieurs réalités : les effets liés aux inégalités numériques qui, dans certains cas prennent valeur de fracture numérique et les effets de l’environnement social dans lequel chaque élève a été confiné.

Cette contribution se centre sur les résultats qui ont mis en exergue les inégalités entre les élèves en lien avec les équipements numériques. Nous en avons observé trois types :

  • Les différences en lien avec le numérique ;
  • Les différences de méthodes de travail ;
  • Les différences environnementales.

4.1 Les différences en lien avec le numérique

Pour effectuer leurs travaux scolaires, 92 % des élèves déclarent utiliser leur ordinateur et 65 % leur smartphone. Ces données montrent l’adaptation des élèves durant le confinement en ce qui concerne leurs usages des technologies numériques. En effet, alors qu’habituellement, le smartphone est privilégié par les adolescents pour se rendre sur l’ENT par exemple [2], pendant le confinement, l’ordinateur a été davantage utilisé. Aussi, la question se pose sur l’équipement des élèves.

Notre enquête publiée en ligne ne nous permettait pas de connaître le pourcentage d’élèves sous-équipés numériquement, c’est-à-dire qu’ils ne possédaient ni d’ordinateur ni de tablette. C’est pourquoi, en octobre 2020, un questionnaire papier a été donné lors d’entretiens en classe de 4 établissements. 98 % des élèves interrogés déclarent avoir un smartphone et 82 % un ordinateur. Seulement 1 % des élèves n’ont chez eux aucun équipement [3]. Mais comme le souligne ce lycéen, ce n’est pas la seule difficulté pendant le confinement :

« Comment faire quand il y a chevauchement de cours virtuels entre frères et sœurs et un seul ordinateur à la maison ? ».

Le partage des ordinateurs a été problématique pour 41 % des élèves qui ont répondu à l’enquête. Cette situation est encore une fois particulièrement liée à la crise sanitaire où tous les membres de la famille se trouvaient confinés pour télétravailler ou suivre des cours en ligne au même moment. Or, selon les réponses des élèves, le partage de l’équipement a eu des conséquences négatives sur leur représentation de la continuité pédagogique. 57% des élèves qui ont partagé leur équipement déclarent ne pas avoir aimé apprendre avec le numérique, la moitié d’entre eux est insatisfaite du suivi des cours et un tiers n’est pas satisfait du travail qu’il a remis aux enseignants. Il semble alors, que le partage d’équipement ait provoqué une frustration chez les lycéens qui attendaient leur tour pour accéder aux cours.

A ceci s’ajoutent les difficultés techniques. Nous trouvons trois fois plus d’élèves qui ont rencontré des soucis techniques (difficultés à ouvrir, lire, imprimer, envoyer un document, se connecter aux plateformes et avoir des coupures Internet) chez les élèves qui ont partagé leur appareil numérique. Nous pouvons supposer que le partage d’équipement induit un usage moins important de l’informatique, ce qui entraîne un manque de compétences de l’élève dont découlent a fortiori plus d’aléas techniques.

L’enquête montre aussi une corrélation entre les soucis techniques et le temps consacré par l’élève à son travail scolaire. L’histogramme 1 présente ces données selon que les élèves se sont fortement ou faiblement impliqués dans le travail scolaire, en distinguant deux sortes de difficultés techniques : les « problèmes de connexion » et celles qui relèvent davantage de la compétence de l’élève (ouvrir, lire, imprimer ou envoyer un document) que nous nommons « difficultés d’usage numérique ».

Difficultés techniques rencontrées selon l’implication de l’élève dans les activités scolaires pendant le confinement de mars 2020. Corpus : 3794 élèves « assidus », 1352 élèves « occasionnels », 86 élèves qui déclarent ne pas travailler

Globalement, les élèves les plus impliqués dans les travaux scolaires disent avoir rencontré moins de difficultés avec leurs appareils numériques que les autres. Nous pouvons supposer que les problèmes techniques sont un des facteurs déterminants au maintien de l’élève au travail scolaire. En effet, il semble que ces difficultés pourraient servir d’argument pour un retrait de l’activité scolaire ou justifier l’échec.

Ainsi, pendant le confinement, l’inégalité en lien avec le numérique s’est centrée sur le fait d’avoir un ordinateur personnel ou non. Puisqu’en plus d’avoir le matériel nécessaire pour effectuer les travaux demandés par les enseignants, avoir un ordinateur individuel augmente les usages de l’élève et diminue ainsi les aléas techniques qui mettraient à mal sa motivation à travailler.

4.2 Les différences de méthode de travail

L’enquête a montré des disparités dans l’appréhension du travail à distance selon les élèves. Comme le montre l’histogramme 2, les outils classiques scolaires (livres, classeurs et documents imprimés) sont davantage utilisés par les « élèves assidus » et nettement moins par ceux qui se sont plus faiblement impliqués. Aussi, le passage au « presque tout numérique » en a été facilité pour eux. Il semble que les élèves les plus assidus sont ceux qui, en amont du confinement, possédaient déjà les méthodes de travail scolaire en accord avec les principes de la culture scolaire. Ce qui étonnant, c’est que ce n’est pas au détriment des appareils numériques. Si l’usage du smartphone est identique quelle que soit l’implication de l’élève dans son travail scolaire, nous notons davantage d’usage d’ordinateur chez les élèves assidus (94 %). Aussi, d’après les réponses des enquêtés, nous pouvons supposer que « le tout numérique », n’est pas un gage d’assiduité des lycéens en formation à distance.

Nous constatons aussi la place importante de l’imprimante dans le travail scolaire des élèves assidus, due au fait, sans doute que les exercices donnés par les enseignants prenaient la forme de polycopiés sous forme de PDF à compléter. L’imprimante semble être un marqueur de l’implication des élèves et de leur maîtrise méthodologique des apprentissages, ainsi que de leur famille à en posséder une, et de manière opérationnelle. Or, en termes d’inégalité, nous notons que 16 % des élèves déclarent ne pas en être équipés.

En affinant, les données de l’usage de l’imprimante dans l’histogramme 3, nous voyons clairement un usage et un rapport différenciés selon l’implication du lycéen dans son travail scolaire. Parmi les élèves les moins impliqués, un tiers disent qu’imprimer est inutile alors que 78 % des élèves assidus, déclarent imprimer les documents des enseignants. Il s’agit donc bien d’une différence de méthode dans l’appréhension du travail scolaire et/ou dans une incompréhension des consignes implicites de la culture scolaire (Charlot-2000). Mais la proportion d’élèves non équipés d’imprimante, parmi ces lycéens décrocheurs, n’est pas à négliger. En effet, nous trouvons deux fois plus d’élèves sans imprimante chez les élèves les moins impliqués que chez l’ensemble des élèves. Une nouvelle fois, l’absence d’équipement semble servir d’argument pour un retrait de l’activité scolaire.

Usage des impressions selon l’implication de l’élève dans les activités scolaires pendant le confinement de mars 2020. Corpus : 3794 élèves « assidus », 1352 élèves « occasionnels », 86 élèves qui déclarent ne pas travailler

Autre point, seulement 6 % des élèves qui rencontrent des soucis techniques impriment les documents des enseignants. Aussi, la fracture numérique concerne à la fois l’équipement comme l’ordinateur, les équipements annexes comme l’imprimante mais aussi, la capacité à les utiliser.

Concernant les méthodes de travail des élèves, l’histogramme 4 nous montre une autre différence. Nous avons demandé aux élèves vers quelles ressources ils se tournent en cas de difficultés ou de questionnement sur leur cours.

Ressources vers lesquelles se tourne l’élève en cas de soucis et de questionnement sur les cours selon l’implication de l’élève dans les activités scolaires pendant le confinement de mars 2020. Corpus : 3794 élèves « assidus », 1352 élèves « occasionnels », 86 élèves qui déclarent ne pas travailler

Même si chaque sous-groupe d’élèves sollicite plusieurs ressources, nous remarquons que moins les élèves sont impliqués dans leur travail, moins ils sollicitent de l’aide. Si toutefois, ils le font, ils se tournent davantage vers leurs camarades ou se débrouillent seuls sur Internet pour trouver les réponses à leurs questions. Nous retrouvons ici, l’effet de la maîtrise des outils et des méthodes dites scolaires pour le maintien de l’élève dans l’activité, comme lire ses cours ou solliciter l’enseignant en cas de difficulté.

Il semble qu’assimiler les codes méthodologiques de travail, en lien avec la culture scolaire, soit en plus de l’absence d’équipement numérique annexe comme l’imprimante, une source d’inégalité freinant l’investissement de l’élève dans son travail pendant le confinement.

4.3 Les différences sociales

La principale difficulté des élèves à travailler à domicile, a été de gérer les distractions : 80% d’entre eux disent avoir manqué de concentration en travaillant à la maison (46 % de temps en temps, 34 % très souvent). Ces données peuvent s’expliquer par un manque d’autorégulation dans la gestion des sources de distractions comme le montre le diagramme 1 ci-dessous sur les activités que les élèves disent faire en même temps que leur travail scolaire.

Activités que les élèves déclarent faire en même temps que leur travail scolaire (corpus 5156 élèves)

Ces chiffres mettent en avant l’usage multiple et cumulé des écrans. Ce qui vient sans doute relativiser le temps quotidien déclaré pour le travail scolaire, ou du moins la façon dont ce temps a été occupé. Cependant nous notons que la moitié des élèves qui disent regarder des vidéos, surfer sur Internet ou jouer disent rencontrer très souvent des soucis de concentration, alors qu’ils ne sont que 37 % chez les élèves qui dessinent, écoutent de la musique ou parlent avec d’autres personnes. Aussi, le temps consacré aux activités scolaires n’est pas corrélé à la quantité de distraction mais à la nature de celle-ci.

Or pour gérer leur concentration, les répondants de l’enquête ont mis en avant le rôle des parents. En effet, selon les élèves à avoir répondu à l’enquête, l’accompagnement familial est apparu être déterminant dans l’implication au travail scolaire. Les enseignants étant à distance, ce rôle a été délégué aux parents. Cependant, 21 % des élèves déclarent n’avoir eu aucune aide et ce n’est pas sans conséquences : la moitié d’entre eux, disent avoir rencontré des soucis techniques, ne pas avoir imprimé les documents des enseignants, avoir été insatisfaits du suivi des cours et de l’apprentissage avec le numérique. Ils sont aussi deux fois plus nombreux à dire être insatisfaits de leur travail et 42 % d’entre eux, déclarent n’avoir finalement rien fait du travail demandé. Aussi, de manière tendancielle, on peut supposer que les technologies numériques seules ne sont motivantes que pour ceux qui s’impliquent davantage et qui maîtrisent mieux les méthodes et les outils pour apprendre.

Du côté des parents, un tiers affirme ne pas avoir les connaissances nécessaires pour aider leurs enfants. Les aspects pédagogiques (cours et exercices) pour lesquels ils ont souvent été interpellés sont aussi ceux qui leur ont posé le plus de difficultés : 41 % d’entre eux déclarent n’avoir pas su apporter de l’aide. Ce sentiment de manque de légitimité dans l’accompagnement du lycéen est exacerbé avec le bas niveau scolaire du parent. Pourtant nous notons que la proportion de parents diplômés/ou non est identique selon l’assiduité de l’élève. Ces chiffres semblent nous montrer que ce n’est pas la compétence du parent mais bien son envie d’implication (teinté par son sentiment d’être légitime à le faire) qui semble entrer en compte dans l’implication de l’élève.

Ainsi on suppose que l’investissement des parents, et plus largement l’accompagnement des lycéens pendant ce confinement a été une source d’inégalité source de décrochage de certains élèves en manque d’autonomie dans le travail scolaire.

5. Discussion et perspectives

L’enseignement scolaire a dû s’adapter pour assurer ce qu’il a été convenu d’appeler par le ministère de l’éducation nationale, la continuité pédagogique pendant le confinement. Les enseignants, les élèves et leurs familles se sont approprié comme ils ont pu, les instruments, les ressources et les réseaux numériques pour enseigner et pour apprendre. De fait, la distance s’est imposée en formation, il est moins certain que chacun ait fait de la formation à distance (Béziat, 2020).

Pour les élèves qui s’impliquent le moins, les technologies, du moins telles qu’elles ont été vécues durant le confinement, ne sont pas un atout, un levier pour les motiver au travail scolaire. Cette période inédite de confinement, et la mise en œuvre de la continuité pédagogique avec les « moyens du bord » et les compétences effectives des élèves comme des enseignants a révélé plusieurs nécessités et pistes de réflexion.

Tout d’abord pour les élèves : le fait qu’ils soient tous connectés ne garantit en rien leur capacité à utiliser efficacement leurs appareils numériques et Internet pour travailler et pour apprendre.

Ensuite pour les enseignants : ils ont fait ce qu’ils ont pu en envoyant des travaux, des documents, des consignes, en organisant parfois des réunions en visioconférence et en répondant aux élèves qui les sollicitaient. Pour autant, ils n’ont pu atteindre que les élèves suffisamment proactifs. Ils ont perdu, avec le confinement, la capacité à s’adresser à un groupe d’élèves, présents en classe bon gré mal gré. Ils ont aussi sans doute été en difficulté pour traduire correctement des contenus de cours prévus pour un enseignement en présentiel et collectif, en un enseignement distribué sur Internet, s’adressant individuellement à chacun des élèves de la classe. La continuité pédagogique n’a pas été qu’un simple déplacement des tâches et des activités scolaires des établissements vers les familles, mais a au contraire profondément perturbé la capacité d’action des enseignants comme des élèves. De ce point de vue, nous pouvons penser que l’apprentissage à distance, et les dispositifs numériques qui ont permis qu’il se fasse, sont des facteurs d’inégalité scolaire, laissant davantage à eux-mêmes les élèves fragiles ou potentiellement décrocheurs. Ils sont plus souvent en perte de repères scolaires, en difficulté technique, et parfois dans des processus de désocialisation, tout en pensant pouvoir réussir tout de même, pour un tiers d’entre eux dans le cadre de cette étude.

Aussi, dans l’hypothèse où une telle situation se reproduise, plusieurs points sont à prendre en compte. Du côté des élèves, on peut supposer qu’une intégration plus systématique de l’usage des technologies numériques, notamment à partir de paradigmes de type BYOD, semble nécessaire, pour les former à développer des compétences instrumentales en formation avec ces technologies et palier les inégalités d’usages qui en ont pénalisé certains lors du confinement. Ceux qui sont dans des processus d’implication dans le travail scolaire arrivent à positiver, à rationaliser à leur niveau ce qui leur arrive, c’est l’« une des dimensions fortes du processus d’autonomisation [...] l’engagement dans l’activité qui correspond à une expression de la motivation » (Liquete et Maury, 2007) tel que nous le raconte un des lycéens :

« Cela développe notre apprentissage en autonomie et nous prépare pour le post-bac. On travaille plus ou moins à notre rythme, en fonction de ce qu’on a de prévu, on s’organise pour travailler quand on veut, quand on est vraiment motivé et prêt ».

Enfin, du côté institutionnel, il paraît utile de donner aux enseignants les moyens du suivi à distance des élèves de manière coordonnée en équipe pédagogique, et de proposer aux lycéens des facilités d’accès aux équipements informatiques.

Il y a là des pistes de réflexion et d’action pour les institutions (Académie, Région, etc.) comme pour les enseignants pour penser des formes hybrides d’accompagnement pédagogique des élèves. Enseigner, ce n’est pas seulement transmettre des savoirs, c’est aussi être avec les élèves et penser leur formation comme un ensemble de situations d’échanges et d’interactions. Le confinement de 2020 a donné une matérialité évidente à ce principe, l’idée étant de développer des paradigmes adaptables en présentiel et à distance qui permettent à la fois de maintenir le lien pédagogique et le développement de l’autonomie des élèves.

6. Références

Baron, G.-L., (2014). http://gl.baron.free.fr/wagons/ordival_juillet14.pdf

Béziat, J. (2020). École, numérique et confinement  : regards croisés 7. Dans Carnets Hypothèses de la DNE-TNT2, série d’entretiens « École et numérique. Après le confinement, quelles évolutions, quel retour à quelle « normale » ? ». Éducation, numérique et recherche (blog). Consulté le 8 novembre 2020. https://edunumrech.hypotheses.org/1812.

Burban, F., Cottier, P., et Michaut, C. (2013). Les usages numériques des lycéens affectent-ils leur temps de travail personnel ? STICEF p.7 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01401026/document.

Charlot, B. (2000). Le rapport au savoir en milieu populaire : « apprendre à l’école » et « apprendre la vie »vei enjeux, n° 123, décembre 2000

Pauty-Combemorel, C. et Baron, G.-L., « Équipements mobiles au collège : quelles appropriations par les élèves et les enseignants ? », Questions Vives [En ligne], N° 27 | 2017, mis en ligne le 31 décembre 2017, : http://journals.openedition.org/questionsvives/2119

Cordier A.(2015). Grandir connectés. Les adolescents et la recherche d’information. C&F éditions.

Dauphin, F. (2012) Culture et pratiques numériques juvéniles : quels usages pour quelles compétences ? https://journals.openedition.org/questionsvives/988

Eynon, R. (2009) Mapping the digital divide in Britain:implication for learning an education. Learning, Media and technology. Vol.34 n°4, p.227-290

Fluckiger,C.(2008). L’école à l’épreuve de la culture numérique des élèves. Revue française de pédagogie 163 p. 51-61 https://journals.openedition.org/rfp/978

Hargittai,E. (2003). How Wilde a Web ? Inequalities in Accessing Information Oline. Princeton, NJ:Sociology Departement, Princeton University

Hargittai,E. (2010). Digital Na(t)ives ? Variation in Internet skills and Uses among Members of the « Net Generation ». Sociological Inquiry. Vol.80 n°1, p. 92-113 http://webuse.org/webuse.org/pdf/Hargittai-DigitalNativesSI2010.pdf

Le Guel, F.(2004). Comment pourrait-on mesurer la double fracture numérique ? Réseaux, Vol.22, n°127-128, p.55-82

Le Vincent,A-S, Botino, M (2017). Entretien avec Jean-François Cerisier. Savoirs CDI [Interview] https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/cdi-outil-pedagogique/conduire-des-projets-realiser-des-activites-pedagogiques/activites-pluridisciplinaires/byod-et-contexte-scolaire/entretien-avec-jean-francois-cerisier.html

Liquete, V., Maury, Y, (2007) Le travail autonome : comment aider les élèves à l’acquisition de l’autonomie, Armand Colin, (Collection E3) Interview « Savoirs CDI » https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/cdi-outil-pedagogique/apprentissage-et-construction-des-savoirs/education-et-pedagogie/le-travail-autonome-comment-aider-les-eleves-a-lacquisition-de-lautonomie.html consulté le 04/07/20

Villemonteix, F. et al (2014). Expérience tablettes tactiles à l’école primaire - Ex.Ta.T.E. p.86 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01026077v2/document

Abstract

Following the pandemic, a regional investigation was conducted during the first confinement of high school students of march 2020 on their connected practices. Their testimonies, as well as those of their parents, give us a picture of what has been for them the pedagogical continuity. School inequalities for technical, social and individual reasons explain the drop-out of some students and lead to think differently about distance learning in hybrid forms of pedagogical support of students.

Keywords : Pedagogical continuity, Connected practices, Distance learning, High school students

[2En mai 2019, l’analyse des données d’usage de l’ENT a montré que l’accès à l’ENT Educ’de Normandie se faisait 82 % par smartphone et 16 % par ordinateur.

[3Enquête effectuée auprès de 232 élèves de seconde en partenariat avec le Réseau Canopé


 

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