Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

« Continuité pédagogique » en ligne en contexte de Covid-19

Le cas de l’accompagnement des élèves d’un collège situé à Paris
jeudi 28 juillet 2022 Amon Kassi Holo

Cette étude exploratoire a pour objet de rendre compte des difficultés d’encadrement des jeunes élèves de collège dans le cadre de la continuité pédagogique mise en œuvre lors du confinement lié à la pandémie du Covid-19. Nous avons à cette fin, interrogé les parents d’élèves de deux classes de sixième dans un collège situé à Paris, à l’aide d’un questionnaire en ligne. Les résultats nous ont permis d’identifier quatre niveaux de difficultés qui sont d’ordre temporel, pédagogique, technique et social n’ayant pas favorisé un accompagnement efficace des jeunes élèves dans les apprentissages à leur domicile. Nous avons pu observer, à cet effet, que la continuité pédagogique met à nu les différenciations sociales et exacerbe les inégalités face à l’apprentissage.

Mots clés : continuité pédagogique, FOAD, collège, Covid-19, parents, élèves

The purpose of this exploratory study is to report on the difficulties of supervising young middle school students in the context of the educational continuity implemented during the confinement linked to the Covid-19 pandemic. To this end, we interviewed the parents of students in two sixth-grade classes in a secondary school at Paris, using an online questionnaire. The results allowed us to identify four levels of difficulty which are temporal, pedagogical, technical and social, which have not favored effective support for young students in learning at home. We have been able to observe, to this end, that pedagogical continuity exposes social differentiations and exacerbates inequalities in learning.

Keywords : continuity of education, FOAD, secondary school, Covid-19, parents, students

Introduction

La pandémie du Covid-19 a profondément bouleversé les habitudes dans presque tous les domaines. Au plan social, les comportements ont changé dès les premiers jours avec la distanciation physique et sociale. Tous les secteurs d’activité ont adapté leur fonctionnement en tenant compte de cette nouvelle donne. En ce qui concerne les entreprises, beaucoup ont opté pour le télétravail avec le numérique comme fer de lance.

Pour le secteur qui nous concerne en particulier, l’éducation, dès le début de cette pandémie, des mesures ont été prises par différents gouvernements pour la fermeture des établissements scolaires et universitaires tout en faisant en sorte que l’apprentissage se poursuive à distance grâce aux outils numériques sous l’appellation de « continuité pédagogique ». Ce concept n’est pas nouveau mais peu utilisé, désignant des activités prescrites par l’enseignant et se faisant en dehors des heures de classe. Quant à sa pratique, elle a toujours existé sous différentes formes ; ce sont les exercices donnés par le professeur à faire à la maison, les exposés, voire les groupes de travail formels organisés par l’enseignant.

Dans les universités des pays développés, des dispositifs de formation en ligne existent et ont fonctionné durant cette période de fermeture. Les cours et les examens sont allés à leurs termes. Dans l’enseignement secondaire, bien que le dispositif FOAD soit déployé et que des tentatives de continuité pédagogique aient été mises en place, des difficultés majeures ont été relevées.

Parallèlement, nous avons observé que les enseignements ont été suspendus dans la majorité des universités africaines ne disposant pas d’infrastructures FOAD. Quant aux cycles primaire et secondaire, des médias audio-visuels ont été utilisés pour l’animation d’activités pédagogiques.

Nous voulons mettre en relief dans cette recherche exploratoire, le problème d’encadrement des jeunes élèves de collège dans la mise en œuvre de cette continuité pédagogique. La majorité d’entre eux n’étant pas aptes pour un apprentissage autonome à distance, les parents ont joué le rôle d’accompagnement avec des moyens financiers et culturels divers.

Éléments de contexte et problématique

La pandémie du Covid-19 a imposé aux gouvernements des pays gravement touchés par cette maladie, la prise de mesures d’urgence dont la fermeture des lieux de travail, le confinement. L’objectif étant de limiter le nombre de malades afin que le système de santé ne soit pas submergé et puisse soigner les cas graves les uns après les autres. Par ces décisions, presque tous les secteurs d’activité ont été mis à l’arrêt. Mais les secteurs vitaux comme la santé et l’industrie alimentaire devaient vaille que vaille continuer de fonctionner pour assurer la survie des populations. L’éducation s’ajoute à ces domaines prioritaires. Bien que les établissements scolaires et universitaires fussent fermés, l’enseignement, l’apprentissage devait se faire à distance. « Aucun élève ne doit rester au bord du chemin, aucun retard ne doit se réaliser » (Le ministre de l’éducation nationale en France, 2020). Un peu partout dans le monde, des dispositifs d’enseignement à distance se sont mis en place dans la précipitation.

Dès le début de l’application de la mesure, la presse écrite et associations s’intéressant aux questions éducatives ont rapporté des difficultés techniques, pédagogiques et sociales liées à cette pratique. Le journal Républicain Lorrain, en mars 2020, souligne l’impréparation des services de l’Éducation nationale.

« On constate des situations extrêmement contrastées en fonction des enseignants : certains ont pu très rapidement mettre à disposition des élèves plusieurs semaines de cours. Pour d’autres, c’est beaucoup plus compliqué. Des difficultés auxquelles s’ajoutent celles liées aux soucis techniques pour l’accès aux environnements numériques de travail (ENT), nombre d’enseignants, sont aussi parents d’élèves ».

Quant à Le Point (mars, 2020), il rapporte les propos d’un enseignant :

« Tous les jours je reçois des mails de gamins qu’il faut ajouter aux listes, et des mails du gouvernement avec des grands discours du genre nous sommes une nation apprenante mais en réalité, Pronote ne marche pas, les serveurs de l’ENT [environnement numérique de travail] sont saturés et le mail académique est HS. On reçoit plein d’injonctions du ministère en disant que tout marche, mais y a rien qui va ».

L’express, en mars, 2020 relève les propos du ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer qui a estimé qu’entre 5 et 8% des élèves ont été ’perdus’ par leurs professeurs, qui ne peuvent pas les joindre pour assurer la continuité pédagogique souhaitée, deux semaines après la fermeture des écoles pour lutter contre le coronavirus. Il indiquait également qu’il y a un grand risque que la situation actuelle ’creuse les inégalités’ entre les familles qui ont la possibilité de faire la classe à la maison et les autres.

Un numéro du Café pédagogique (Mars, 2020) souligne que ni le ministère ni les parents n’étaient prêts sur le plan informatique et les enseignants non plus sur le plan pédagogique.

« Conscients de l’importance de leurs missions, les enseignants passent des heures à transformer leurs cours pour qu’ils soient accessibles à distance, se forment sur le tas aux multiples outils informatiques qui leur sont proposés (ou imposés), sous la pression continuelle de l’institution ». Soulignant également que la continuité pédagogique accentue les « inégalités dans l’accompagnement face au travail, entre les familles qui ne maîtrisent pas les codes et le langage de l’école – et qui bientôt seront pointées du doigt pour leur « démission » – et celles qui réagissent en fonction de ce qu’elles en connaissent, recherchant batteries d’exercices et d’évaluations ».

Du point de vue de la littérature scientifique, Wagnon (2020) note que la mise en œuvre de la continuité pédagogique soulève de nombreuses contradictions, notamment celle de faire l’école à la maison alors que l’école est un espace spécifique, un lieu d’apprentissages avec une organisation particulière, un enseignement collectif et non individualisé. Les parents se retrouvant dans le rôle d’enseignant avec les difficultés d’organisation, pédagogiques qu’ ils ont pu connaître. D’ autre part, cette pratique de continuité pédagogique révèle des inégalités sociales, numériques et scolaires.

D’autres auteurs comme Charlot (2020) égrainent les difficultés diverses rencontrées par les élèves, notamment celle à organiser son temps, à travailler en autonomie, le manque de motivation, les contraintes matérielles, familiales, la formation insuffisante aux outils numériques. Cerisier (2020) relève l’impréparation pédagogique des enseignants pour une formation en ligne, manquant de compétences d’ingénierie pédagogique et concernant les élèves, des inégalités dans la capacité à suivre à distance les enseignements pour des raisons relatives à l’environnement de travail, aux outils numériques…

Les écrits susmentionnés relèvent des difficultés liées à la continuité pédagogique. Ayant vécu le confinement et participé à « l’école à la maison » en tant que parent d’élèves, nous voulons d’une part, apporter nos réflexions sur la question, soutenues par notre expérience d’enseignant-chercheur. D’autre part, rendre compte du ressenti des parents d’élèves d’un collège à Paris, comprendre les conditions dans lesquelles ils ont participé à la continuité pédagogique, à partir du questionnement suivant : Quelles difficultés ont-ils rencontrés dans l’accompagnement de leurs enfants ? Comment la continuité pédagogique a t-elle été vécue par ceux-ci ?

Approches conceptuelles

Les considérations théoriques que nous allons évoquer ont pour objet de nous éclairer sur les fondamentaux de la formation à distance en ligne, nous apportant des éléments de réflexion au regard du dispositif de « continuité pédagogique ».

Les approches technopédaggoiques et sociotechniques

La continuité pédagogique s’appuyant sur des dispositifs de formation à distance en ligne, nous voulons préciser quelques fondamentaux de la FOAD du point de vue fonctionnel. Béché et Schneide (2019), dans leurs études sur l’état des lieux de la recherche francophone sur la FOAD, soulignent que la FOAD est d’abord considérée comme un dispositif technopédagogique qui « résulte de l’agencement mutualisé des technologies, acteurs, moyens, compétences et approches pédagogiques en vue de faciliter un processus d’apprentissage ». De même, Holo, Mian et Kone (2020), dans une analyse du fonctionnement du dispositif technopédagogique de l’Université virtuelle de Côte d’Ivoire (UVCI) ont montré le rôle joué par les différents acteurs (enseignants, ingénieurs, tuteurs, étudiants), les interactions diverses à distance entre eux et avec les objets techniques en tenant compte du contexte local ont permis d’opérer des pratiques pédagogiques innovantes facilitant les apprentissages. Nous pouvons déduire de ce qui précède une autre approche qui analyse la formation à distance comme un construit sociotechnique en mettant l’accent sur l’ajustement réciproque du dispositif technopédagogique et son environnement, conduisant à l’intégration de l’objet (Béché et Schneider, 2019).

Méthodologie

En vue de répondre à certaines préoccupations qui fondent cette recherche, nous avons effectué une enquête au mois d’avril 2020, auprès de parents d’élèves de deux classes de sixième d’un collège situé à Paris. Le collège se situe à la frontière entre deux arrondissements ayant une population appartenant majoritairement à une classe sociale favorisée. Nous avons porté notre choix sur cet établissement parce que notre enfant y est scolarisé en classe de sixième, ce qui nous a facilité l’obtention des adresses mails de certains parents d’élèves grâce aux échanges entre parents et professeurs. Nous avons ensuite construit un questionnaire à partir de l’application google forms, transmis par mails et renseigné en ligne. Chaque famille devait renseigner un seul formulaire. Sur une soixantaine de réponses attendues, 18 familles ont bien voulu répondre au questionnaire. Nous étions au fort de la crise de la pandémie avec ses angoisses et contraintes. Les questions posées étaient relatives, d’une part, aux informations personnelles les concernant : le nombre d’enfants scolarisés, situation professionnelle pendant le confinement, leur disponibilité.

D’autre part, elles portaient sur l’équipement informatique de la famille, sur les compétences informatiques et les disciplines d’enseignement suivies par leur(s) enfant(s), au fonctionnement du dispositif de formation en ligne de l’établissement et à leurs perceptions générales de la continuité pédagogique. Nous soulignons que seuls les parents ayant une adresse mail et pouvant communiquer par écrit ont participé à cette enquête par questionnaire en ligne. De ce fait, certains parents n’ont pas eu la possibilité de donner leurs points de vue sur le sujet. De plus les questions posées aux participants étaient directives ou semi-directives et les réponses qui en ont résulté, étant de type déclaratif, constituent certainement, avec les biais susmentionnés, des limites importantes par rapport aux résultats de cette étude.

Résultats

Tous les parents interrogés ont affirmé avoir un seul enfant scolarisé dans le secondaire. Les ¾ d’entre eux étaient en activité (télétravail compris) pendant le confinement. Néanmoins la moitié d’entre eux s’est déclarée disponible pour accompagner son enfant sur le plan pédagogique.

« Nous nous sommes rendus disponibles et cela a été difficile. Mais force d’organisation cela devient un peu plus gérable. C’est toutefois difficile lorsque l’on a besoin nous-mêmes de travailler » (Robert, parent d’élève).

Équipement numérique

La continuité pédagogique se faisant via le numérique, certains outils, notamment l’ordinateur, le Smartphone, l’internet apparaissent indispensables. Il nous a semblé important de savoir si les familles avaient l’équipement nécessaire. Ils ont tous indiqué avoir au moins un ordinateur. Rapporté sur le plan national, 76% des Français en possédaient en 2019, ils étaient 83% en 2014, une baisse liée à l’avènement des Smartphones (CREDOC, 2019). 16/18 ont dit avoir une connexion internet au domicile (88% des Français en 2019, ibid.). A la question, combien d’ordinateurs possédez- vous au sein du foyer ?, la moitié d’entre eux a déclaré en posséder 4.

En ce qui concerne la possession du téléphone mobile, tous ont indiqué en posséder au moins 2 par foyer. D’après l’enquête CREDOC susmentionnée, en 2019, 95% des Français en disposaient.

Les outils FOAD utilisés

Les élèves et leurs parents disent avoir utilisé des outils numériques dans le cadre de la continuité pédagogique, nous avons voulu connaître ceux ayant été les plus sollicités.

L’Environnement Numérique de Travail (ENT) et la messagerie ont été les outils les plus mentionnés (18/18). Le téléphone mobile, Whatsapp, zoom, la plateforme « ma classe à la maison » du Centre National d’Enseignement à Distance (CNED) ont également servi. La région Île de France dont fait partie le département de Paris (ville-département) a mis à disposition de ses établissements d’enseignement secondaire, le dispositif informatique ENT dont l’interface se présente comme suit :

Figure 1 : interface mes applications de l’ENT île de France

Cette plateforme intègre de nombreuses fonctionnalités dont « la vie scolaire » (entouré en rouge) qui est un espace de gestion de la scolarité des élèves à distance (mise en ligne de devoirs à faire à la maison, saisie des notes des élèves, emploi du temps, relevés trimestriels de notes, les absences…). « Le casier » est une application servant de dépôt et d’échanges de fichiers entre élèves et enseignants. « Ma classe à la maison » est un lien donnant accès à la plateforme du CNED, un établissement public qui existe depuis des décennies, ayant pour mission l’enseignement à distance.

Cette plateforme héberge de nombreuses ressources numériques pouvant être utilisées par les enseignants, les élèves et leurs parents. L’ENT Île-de-France censée être le dispositif par excellence devant permettre la mise en œuvre de la continuité pédagogique a été vite saturé dès les premiers jours, lorsque de milliers d’élèves s’y sont connectés simultanément. L’usage de la plateforme est redevenu possible les semaines suivantes.

D’autres outils et médias ont été mis à disposition, soit par les responsables d’établissements soit par les représentants des parents d’élèves. La plateforme audio-visuelle LUMNI qui propose aux enfants, seuls ou accompagnés, « de prolonger les cours et comprendre le monde qui nous entoure », et aux professionnels de l’éducation « de disposer de ressources expertisées au service de la transmission et de l’apprentissage. De la maternelle au lycée, sous forme de fiche ou de modules vidéo, on peut y trouver aussi bien des fondamentaux (en primaire cela peut être « le rôle des adverbes » ou « la place de l’adjectif » ; au lycée, de la méthodologie pour le commentaire de texte) que des modules de culture générale autour des grands auteurs.

La chaine de télévision France 4 a diffusé en direct des cours dispensés par des professeurs de l’Education nationale. La chaîne franco-allemande, via sa plate-forme Educ’ARTE, regroupe tous ses programmes à visée culturelle et/ou éducative. Riche d’un catalogue de plus de 1300 contenus, classés par matière et par niveau, elle offre aux enseignants un accès aux vidéos de la chaîne et des outils interactifs (infographies, supports projetés en cours…) pour les intégrer dans leurs cours, notamment virtuels.

Compétences informatiques

Ayant participé à « la continuité pédagogique » d’un enfant de la classe de 6ème, nous avons pu identifier, les savoir-faire essentiels sur le plan informatique pour recevoir les cours des professeurs, travailler avec les apprenants, rendre les devoirs… Nous avons voulu savoir si les parents ont les compétences dans l’usage de certains instruments informatiques. Les données recueillies montrent que les familles ne sont pas toutes au même niveau de savoir-faire. Certains ont déclaré ne pas savoir scanner, convertir un document Word en fichier PDF, fusionner des PDF ou insérer des zones de texte dans un fichier image, compétences pourtant nécessaires, en se référant à l’expérience de la « continuité pédagogique » que nous avons vécue.

Compétences dans les disciplines d’enseignement

Les parents étant chargés d’accompagner leur enfant sur le plan pédagogique, nous avons voulu comprendre s’ils possèdent des compétences dans les disciplines enseignées. Certains parents ont déclaré ne pas pouvoir aider efficacement leur enfant. Même s’ils maîtrisent les contenus, n’ont pas la stratégie pour faire acquérir les savoirs.

« C’est un métier d’être enseignant, les parents peuvent transmettre le savoir aux enfants mais il y a des tensions, nous ne sommes pas profs, c’est véritablement un métier » (Jacques, parent d’élève). « Je ne suis pas professeur, je n’ai ni les mots, ni les méthodes, ni la patience pour arriver à aider mon enfant correctement » (Marie, parent d’élève).

D’autres portent des critiques sur le contenu, la qualité des cours envoyés par les professeurs :

« Les enseignants envoient des exercices, il manque des cours en visio. Il me semble que c’est une transposition des notes de cours sans réflexion sur ce que devrait être le travail à distance » (Sylvie, parent d’élève).

« En SVT, les leçons sont beaucoup trop longues pour 1 semaine, en Techno, les notions nécessiteraient beaucoup plus d’explications pour arriver à répondre aux questions. On a l’impression que les enfants ont exactement les mêmes supports qu’en temps normal mais sans professeur » (André, parent d’élève). « J’apprécierais des vidéos qui expliquent les cours, plutôt qu’uniquement des cours sur papier, car ma fille n’est pas suffisamment autonome pour les lire et assimiler seule » (Adrien, parent d’élève).

Enfin nous rapportons les difficultés rencontrées par ce parent, à l’image de bien d’autres :

« Je me permets d’écrire ici tous les besoins qui nécessitent un ordinateur ou des compétences informatiques que je n’ai pas forcément et sur lesquelles je me suis parfois arraché les cheveux pour y arriver : consulter l’ENT, avoir l’ordinateur en marche pour pouvoir recopier les leçons sur les cahiers (quand vous n’avez pas d’imprimante à disposition), écrire ses devoirs quand ils doivent être rendus à l’écrit, consulter les mails quand l’ENT n’est pas disponible… sans compter les heures de connexions quand les connexions ne marchent pas, que vous n’avez pas le bon logiciel pour lire le fichier envoyé par tel ou tel professeur et que vous vous rendez compte qu’il faut le télécharger après plusieurs jours, que votre enfant doit rendre un devoir sur un fichier qui n’est pas modifiable » (Roselyne, parent d’élève).

Discussion et perspectives

Nous avons fait le constat à travers les résultats de cette étude que la continuité pédagogique soulève des questions relatives à la pédagogie, à l’apprentissage et aux inégalités sociales. La pédagogie dont il est question dans « continuité pédagogie » relève essentiellement du sens commun faisant référence à l’exercice de toute activité d’apprentissage et non la mise en œuvre d’une méthode, d’une stratégie d’enseignement.

Enseigner est un métier qui s’apprend. Les parents d’élèves en ont fait l’amère expérience en soulignant qu’ils n’ont pas les bonnes approches pour faire acquérir les connaissances à leurs enfants. Ils ne peuvent pas remplacer les professeurs. Et la tâche était d’autant plus lourde quand on sait que chaque parent avait à charge plusieurs disciplines à « enseigner ». Bien entendu, l’apprentissage peut se faire avec les parents, tuteurs et pairs ou l’élève seul en ligne devant un écran mais nous pensons qu’il faudrait d’abord une base commune pour ces jeunes élèves si l’on recherche l’efficacité, la qualité et l’équité. Ceux n’ayant pas de parents capables de leur apporter une aide pédagogique, matérielle ou qui n’ont pas un cadre familial propice aux apprentissages sont laissés à leur sort. Il se pose donc le problème d’égalité de réussite.

Par ailleurs, la mise en œuvre d’une formation à distance requiert un dispositif technopédagogique (Béché et Schneider, 2019 ; Holo, Mian et Kone, 2020). Dans les pays développés notamment en France, bien que l’infrastructure technique existe, dès le début, elle a été dépassée par le nombre très important d’utilisateurs en cette période en ce qui concerne le secondaire. Quant aux enseignants, nous avons fait le constat que les aspects organisationnels, pédagogiques ont fait défaut. Les enseignants comme les élèves n’étaient pas prêts pour ce changement de paradigme qui est de passer d’un enseignement présentiel au distanciel. Ces difficultés ont été également relevées par le Wagnon (2020), Charlot (2020) et Cerisier (2020). Nous pensons qu’il faudrait déployer, renforcer les infrastructures TIC tout en formant les personnels des établissements, en premier lieu les enseignants et les élèves dans le domaine de la FOAD pour la réussite d’une éventuelle continuité pédagogique et de la formation en ligne en général.

Si nous faisons le parallèle avec certains pays africains, notamment la Côte d’Ivoire où les infrastructures pour la FOAD sont très peu déployées dans l’enseignement, l’on a assisté dans le primaire et le secondaire à des cours via les médias audio-visuels soulevant des problèmes d’accès, d’efficacité et d’encadrement. Les universités et grandes écoles publiques étaient à l’arrêt sauf l’Université virtuelle de Côte d’Ivoire (UVCI) qui fonctionne habituellement totalement en ligne. Pourtant, depuis 2012, en collaboration avec le ministère de l’enseignement supérieur de la Côte d’Ivoire, l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) a dispensé des modules de formations aux enseignants du supérieur dans le domaine de la FOAD (Formation à l’usage de la plateforme MOODLE, 2012 ; atelier création d’un MOOC [1], 2015 ; atelier MOOC CERTICE-SUP, 2016). Ces formations ont été effectuées sans que les infrastructures ne suivent dans la majorité des universités et grandes écoles pour permettre aux bénéficiaires de mettre en œuvre les compétences acquises.

A l’occasion de la mise en place de la « continuité pédagogique » en 2020, le débat « enseignement présentiel versus distanciel » a resurgi. Certains préconisent désormais des enseignements entièrement à distance. A notre avis, il ne s’agit pas de privilégier un modèle pédagogique par rapport à un autre, chacun ayant ses avantages et inconvénients. C’est une question qui renvoie à l’usage des outils. « L’outil est au centre de l’histoire de l’homme depuis ses origines… L’homme fabrique l’outil et en retour l’outil façonne l’homme  » (Dieuszeide, 1994, p. 18). Quels outils choisir ? A quelles conditions, pour quels objectifs ? Nous estimons qu’il faut s’assurer de l’opportunité du choix et de la qualité du dispositif que nous souhaitons mettre en place.

Conclusion

La mise en œuvre de la « continuité pédagogique » a été difficile pour tous les acteurs du système éducatif en France. Elle s’est déroulée dans un contexte d’angoisse, de peur de la maladie. Les enseignants, n’étant pas préparés à la formation à distance, pendant que certains ne proposaient que des exercices à faire par leurs élèves, d’autres transmettaient le scénario pédagogique de leur cours devant être animés par les parents, avec des modalités de suivi des activités différentes. Les élèves, irrités par le confinement, surchargés d’activités scolaires n’étaient pas toujours mobilisés. La FOAD pour les élèves de ce niveau d’enseignement ne semble pas viable car la plupart ne sont pas autonomes dans l’apprentissage, il se pose de réels problèmes d’encadrement, d’organisation et de sécurité. Etant mineurs, il n’est pas concevable de laisser ces enfants seuls au domicile. En ce qui concerne les parents qui ont joué le rôle de professeurs, de tuteurs en ligne, la plupart étaient confrontés à des difficultés diverses. Ils n’avaient pas tous la pédagogie nécessaire, des compétences dans les disciplines enseignées et dans l’usage des outils numériques ni le temps car ils devaient parallèlement effectuer leurs activités professionnelles. Néanmoins cette continuité d’activités scolaires pendant cette période, bien qu’ayant été difficile à mettre en œuvre pour les jeunes élèves, a eu le mérite de les occuper sainement.

Références

ARTCI (mars, 2020). Abonnés-Téléphonie Mobile https://www.artci.ci/index.php/marches-regules/10-observatoire-du-secteurs-des-telecoms/sevice-mobile/89-abonnes-service-mobile.html

ARTCI (septembre, 2020). Abonnés–Internethttps://www.artci.ci/index.php/marches-regules/11-observatoire-du-secteurs-des-telecoms/service-internet/75-abonnes-service-internet.html

Béché, E., & Schneider, D. K. (2019). État des lieux de la recherche francophone sur les formations ouvertes et à distance. Distances et médiations des savoirs. Distance and Mediation of Knowledge, 27, Article 27. https://doi.org/10.4000/dms.3910

Café pédagogique (juin, 2020). Tribune : Continuité pédagogique ou rupture d’égalité ?

http://www.cafepedagogique.net/Documents/23032020Article637205439981695522.htm

Cerisier, J.-F. (82020). Covid-19 : heurs et malheurs de la continuité pédagogique à la française, The conversation : https://theconversation.com/covid-19-heurs-et-malheurs-de-la-continuite-pedagogique-a-la-francaise-133820

Charlot, G. (2020). La continuité pédagogique à l’épreuve des inégalités, revue Les Cahiers du Développement Social Urbain 2020/2 N° 72 | pages 18 à 19 :
https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-developpement-social-urbain-2020-2-page-18.htm

CREDOC (2019). Baromètre du numérique 2019, visible en septembre 2020 sur le site : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cge/barometre-numerique-2019.pdf

Dieuzeide, H. (1994). Les nouvelles technologies, outils d’enseignement, Nathan, 247 p.

Holo, A., K., koné, T., et Mian, S., B., A. (2020). Étude d’un dispositif technopédagogique en formation ouverte et à distance : le cas de l’Université Virtuelle de Côte d’Ivoire (UVCI), revue frantice, Numéro 17 - Septembre 2020 : http://frantice.net/index.php?id=1666. ISSN 2110-5324

Le Monde (mars, 2020). « L’enseignement à distance nécessitera à l’avenir une formation et un équipement adéquat » : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/09/l

L’Express (mars, 2020). Nous avons perdu entre 5 et 8% des élèves’.

https://www.lexpress.fr/education/nous-avons-perdu-entre-5-et-8-des-eleves-assure-jean-michel-blanquer_2122443.html

Le Point (mars, 2020). « Continuité pédagogique » : la gestion catastrophique de la pandémie dans l’Éducation nationale https://lepoing.net/continuite-pedagogique-la-gestion-catastrophique-de-la-pandemie-dans-leducation-nationale/

Wagnon, S. (2020). La continuité pédagogique  : Méandres et paradoxes en temps de pandémie. Recherches & éducations, HS. https://journals.openedition.org/rechercheseducations/10451 .

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