Auteure :
Guerda Rodríguez, Eva ; Ingénieure Pédagogique au Pôle d’élaboration de ressources linguistiques de l’Université de Paris, Doctorante en Sciences du langage, laboratoire EDA, Université de Paris
Pour citer cet article :
Guerda Rodríguez, Eva (2021). Réflexions sur l’évaluation en ligne et son éventuel potentiel formatif. Une étude de cas en anglais LANsad. Revue Adjectif, numéro thématique 1 : Productions d’écrits et technologies... Regards contemporains. Mis en ligne le 10-04-2021 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip.php?article555
Résumé :
L’enquête présentée dans l’article vise à évaluer l’utilité que les étudiant·e·s perçoivent à rédiger sur traitement de texte avec la possibilité de faire des recherches en ligne vs. la rédaction manuscrite sans aucune recherche. Les 160 étudiant·e·s de la promotion ont été interrogé·e·s via un questionnaire d’opinion à réponse libre (n=45 répondant·e·s) ; lorsque cela a été possible les notes aux deux types d’épreuves ont été comparées (n=28).
Près des deux tiers des enquêté·e·s a estimé la rédaction sur traitement de texte avec internet plus formatrice, même si le calcul d’un solde des avantages et des inconvénients nuance ce résultat. L’inconvénient évoqué le plus fréquemment ; le manque de temps ; suggère que la vérification de la langue a été perçue comme une question supplémentaire extérieure à la composition. Enfin, l’aide lexicale a été mentionnée plus fréquemment que celle apportée par le traitement de texte dans le signalement des erreurs d’orthographe, de grammaire ou de syntaxe.
Mots clés :
Anglais LANsad, Évaluation à distance, Enseignement Supérieur, France, Langues et TICE, Productions d’écrits
Dans le contexte des grèves de janvier 2020, le partiel d’anglais habituellement fait sur table a été fait en ligne ; l’adaptation de l’examen a induit un changement paradigmatique. De sommative dans le partiel en présentiel, l’évaluation en ligne pourrait a priori être qualifiée de potentiellement formative. La nouvelle modalité a atténué l’importance des connaissances antérieures tout en étant plus proche d’une tâche authentique [1] (Conseil de l’Europe 2002 : 24).
Contrairement à l’intuition, ce partiel est loin d’avoir paru plus avantageux aux apprenant·e·s, très mitigé·e·s quant aux deux principaux gains du partiel en ligne par rapport à la modalité manuscrite sur table : à savoir, le traitement de texte avec correction automatique ainsi que la possibilité de faire des recherches sur la toile.
Après avoir dressé le contexte de l’expérience, nous présenterons les notions centrales, la méthodologie suivie et les principaux résultats.
L’ingénieure pédagogique numérique que nous sommes a suggéré que les L3 passent une épreuve qui corresponde davantage à une situation pédagogique « socialement vraisemblable » (Beacco 2007 : 186). Partant également du constat que les étudiant·e·s n’ont pas pour réflexe de vérifier l’orthographe et n’utilisent pas systématiquement les correcteurs automatiques du traitement de texte, l’adaptation principale par rapport au devoir en présentiel a consisté à maintenir la question unique à débattre propre à l’examen final de L3, tout en appelant à rendre compte de dix recherches effectuées qu’il fallait inscrire dans un tableau (cf. annexe 2). Par rapport à la tâche de L2, la lecture d’un article de presse à lire et à présenter a été remplacée par le tableau des recherches, une tâche bien moins chronophage. L’objectif était d’inciter les apprenant·e·s à s’autocorriger et à vérifier leurs doutes ; éventuellement iells pourraient rechercher des informations. Dans un cas, le capital lexical et la mémorisation étaient évalués, tandis que dans le cas présent, est valorisée la capacité à obtenir les outils requis, qu’ils soient lexicaux, factuels ou conceptuels. Un quart de la note (5/20 points) a été attribué au classement des recherches explicitant la démarche suivie (remplissage du tableau).
Bourguignon note que, « s’il est aujourd’hui très souvent question d’évaluation dans la formation et particulièrement pour l’enseignement/apprentissage des langues étrangères ou secondes, la réalité montre que les apprenants sont le plus souvent soumis à des contrôles » (Bourguignon 2004) c’est-à-dire, des évaluations visant à mesurer les connaissances au lieu de contribuer à les construire. Or, comme nous l’avons déjà relevé dans d’autres études, l’épreuve individuelle sur table de production écrite est la plus discriminante pour les apprenant·e·s de niveau faible (Guerda Rodríguez 2019). Elle est nécessairement de type sommatif puisqu’elle valorise la culture et le niveau antérieurs. À l’inverse, une évaluation autorisant les vérifications pourrait être potentiellement davantage formative, en ce sens qu’elle neutraliserait l’importance des capitaux linguistiques (notamment l’orthographe et le lexique) en mettant en avant la capacité à rechercher les termes appropriés et à les employer à bon escient.
Hayes et Flower dans leur modèle de processus cognitif pour l’écriture distinguent trois procédures principales : la planification, sous-divisée en conception, organisation et recadrage ; la mise en texte et enfin la révision sous-divisée en lecture et mise au point. Écrire sur traitement de texte aiderait donc à mieux organiser puis à mieux réviser son propos (Hayes et Flower, 1980).
Les enquêtes sur les recherches à partir des outils en ligne ont surtout porté sur le travail en bibliothèque (voir, par exemple, Roselli, 2010). En didactique des langues, celles-ci ont été plus particulièrement étudiées par les linguistes de corpus tels que Boulton (2019) et les spécialistes du lexique comme Cavalla (2019). Nous n’avons pas trouvé d’étude qui rende compte des perceptions des étudiants quant à l’utilisation des outils que compte un logiciel de traitement de texte et la possibilité de faire des recherches lors d’une épreuve en temps limité.
L’enjeu de cette étude exploratoire est de mieux comprendre le ressenti des apprenant·e·s à partir de deux questions d’opinion proposées à la suite à l’épreuve (cf. annexe 1) mises en relation avec les notes obtenues. Sur la promotion de L3 d’anglais LANsad, seul·e·s les réponses des répondant·e·s sont analysé·e·s ici : nous avons estimé que 45/62 réponses à la question libre étaient suffisamment personnelles pour être utilisables dans l’enquête [2].
Les deux questions d’opinion visaient à mieux comprendre l’utilité pour l’apprentissage perçue par les étudiant·e·s. La première les poussait à trancher, de manière volontairement binaire, sur l’utilité de cette modalité de passation par rapport à la modalité d’examen final sur table (n=80) ; la seconde, une question ouverte où il leur était demandé de justifier leur choix, permettait de nuancer la question fermée : les réponses à la seconde question constituent l’essentiel des données sur lesquelles s’appuie cette analyse (n=45). Son caractère libre a laissé émerger ce qui a semblé essentiel aux répondant·e·s : iells n’ont donc pas été interrogé·e·s sur des points précis que la chercheuse aurait voulu voir se vérifier ou non. L’analyse des réponses a consisté à attribuer à ces dernières des indicateurs relatifs aux contenus, à la langue, aux facteurs psycho-affectifs et au caractère signifiant de la tâche. Nous avons ensuite classé ces indicateurs selon qu’ils faisaient plutôt état d’un avantage ou d’un inconvénient ; ce qui a ensuite permis alors de quantifier, au sein de l’ensemble des réponses, l’expression d’avantages et d’inconvénients.
Avant de présenter les justifications données via les verbatims, nous examinerons les grandes tendances en nous appuyant sur les réponses au questionnaire ainsi que sur les notes obtenues.
5.1. Les résultats généraux
Après avoir mis en évidence le caractère mitigé des réponses par rapport à l’utilité, nous l’illustrerons par les verbatims des répondant·e·s.
5.1.1. La Majorité a trouvé la nouvelle modalité plus utile mais les réponses sont nuancées
Lorsque nous leur avons demandé de trancher sur la question fermée, près des deux tiers des répondant·e·s (59/80) ont déclaré que la modalité en ligne avec la possibilité de faire des recherches leur avait paru plus utile aux apprentissages. Les étudiant·e·s citent dans l’ensemble au total cinquante-quatre avantages contre quarante-quatre inconvénients (cf. tableau 2, infra). Pourtant l’examen du nombre d’inconvénients et d’avantages cités par chaque individu nuance fermement ce résultat. Un même individu y a vu à la fois un soutien aux lacunes et un cadeau empoisonné, une dualité qui correspond au concept socratique du Pharmakon lequel définit simultanément le remède et le poison (Platon traduit par Vicaire, 2012). Nous avons identifié des combinaisons de réponses en fonction du nombre d’avantages et d’inconvénients cités.
Après quoi, nous avons calculé un solde d’avantages en soustrayant les inconvénients aux avantages. Si l’étudiant·e citait deux avantages et un inconvénient alors le solde (en l’occurrence 1) était positif ; inversement si l’étudiant·e avait cité deux inconvénients et un avantage, le solde (ici, -1) était négatif. Le tableau 1 répertorie les combinaisons obtenues pour chaque couple du nombre d’inconvénients/avantages, le solde par avantages perçus ainsi que le nombre d’individus ayant cité chacune des combinaisons pour chaque solde. La colonne la plus à droite indique le nombre d’individus pour chaque type de solde : neutre, négatif, positif.
Le tableau 1 montre que vingt personnes ont cité plus d’avantages que d’inconvénients donc, iells sont le double à avoir cité plus d’inconvénients que d’avantages. Mais une autre lecture serait que seuls vingt individus y ont vu un bénéfice ; les vingt-cinq autres sont au mieux migités (15/45) au pire opposés à l’idée que l’évaluation avec traitement de texte et recherches soit plus favorable à l’apprentissage (10/45).
Tableau 1 : Combinaisons obtenues par couple avantage/inconvénients, solde et effectifs par solde neutre, négatif ou positif par rapport aux avantages perçus
Le ressenti par rapport au sentiment de réussite à l’épreuve ainsi que le caractère formateur (ou non) de l’exercice semblent parfois se confondre. Ainsi l’étudiante suivante, que nous appellerons Flavie, a non seulement coché la case « moins utile à l’apprentissage », mais elle a aussi eu la sensation d’avoir raté l’examen. Elle a aussi estimé que ce type d’épreuve lui avait été moins bénéfique que la précédente en expliquant que :
« Remplir le tableau m’a fait prendre 30 minutes de mon temps sur les deux heures demandées. De plus, une exigence supérieure était accordée sur l’orthographe et la longueur des phrases, […] Par exemple, j’ai vérifié chacun des mots sur internet que je considérais connaitre afin d’être sûre de moi puisque l’exigence était supérieure ! Ça m’a fait perdre du temps et j’ai donc dû bâcler mon devoir. […] Je vous avoue que c’est le pire partiel que j’ai pu faire, toutes matières confondues depuis le début de la licence ».
Or cette étudiante a obtenu 11/20 en 2019 et 18/20 en 2020. Ce type de cas indique, certes le rôle du stress dans la sensation de réussite à l’épreuve, mais encore que cette étudiante ayant trouvé la nouvelle modalité moins utile à l’apprentissage a pourtant procédé à un travail rigoureux de vérification, lequel était bien le but du compte rendu des recherches. L’apprentissage relevant d’une volonté consciente, il est donc effectivement possible que Flavie ait fait toutes ces recherches sans en avoir retiré de bénéfices ; mais ni l’écart des notes qui indique un rendu de meilleure qualité, ni la description de la démarche ne vont dans le sens du sentiment de l’étudiante.
5.1.2. Des illustrations par verbatims et par niveau
Examinons à présent les justifications données par des étudiant·e·s. Trois apprenantes de niveau débutant ont déclaré être moins désavantagées notamment grâce au travail collaboratif :
« N’ayant pas un bon niveau en anglais, cela me paraît plus simple comme cela. L’autre point positif c’est que nous pouvons travailler à plusieurs et d’avoir une discussion autour du sujet pour avoir d’autre point de vue ». (N. 14/20).
« Je n’ai pas un niveau d’anglais magnifique, donc le fait de pouvoir trouver des mots qui m’échappent grâce à google traduction ou aux personnes de mon entourage qui sont fortes dans cette matière est très rassurant ». (M. 09/20).
« Je trouve que cela est beaucoup plus adapté à l’apprentissage d’une langue. Parce que souvent quand c’est un devoir sur table sans aide, sans documents, il y a beaucoup de mots ou d’expression que l’on n’a pas et qu’on aura Sûrement jamais car on ne va pas forcément le chercher et surtout le retenir après le partiel. […] Je trouve que ce partiel a été un succès pour ma part […]. Je pense que nous sommes ici pour apprendre et […], c’est en cherchant, en fouillant les informations pour s’améliorer et c’est surtout une manière de mieux retenir les choses ». (M. 11/20).
Si les fausses débutantes y ont vu une opportunité, certaines au niveau le plus avancé ont déclaré ne pas être avantagées. Cette étudiante-ci, parce qu’elle estime son capital lexical à disposition comme pouvant se passer de vérifications :
« Je pense que cette modalité d’examens ne m’a pas aidée à apprendre car j’ai atteint un niveau d’anglais « suffisamment élevé » pour que le fait de pouvoir chercher dans le dictionnaire ne m’apporte plus grand-chose […] ». (J.17/20).
Cette autre parce qu’elle n’a pas dû faire appel à sa mémoire :
« Non [il ne m’a pas été plus utile à l’apprentissage], car le faire sur Word avec accès à internet est plus un exercice qu’un examen puisque l’on n’applique pas vraiment ce que l’on a appris en cours, il n’y a pas besoin de par cœur […]. Internet « mâche » le travail ». (S.17,5/20).
Une étudiante issue d’une Khâgne BL avec un niveau avancé attribue sa préférence pour la composition sur table à l’habitude qu’elle a prise dans les Classes Préparatoires aux Grandes Écoles (désormais CPGE) :
« Je préfère les épreuves sur table. Je suis en effet plus à l’aise avec l’écriture manuscrite qui me permet de mieux réfléchir et construire mon propos (sans doute par habitude de composer comme ça). ». (J. 16/20).
Après ce tour d’horizon général, voyons les propos des étudiant·e·s en nous appuyant sur les indicateurs identifiés.
5.2. Les résultats par indicateur
À l’exception d’une étudiante, les répondant·e·s n’ont pas fait mention des avantages du traitement de texte comme outil de correction de la langue. On peut émettre l’hypothèse que lorsque les étudiant·e·s ont regardé le tableau pré-rempli par l’ingénieure pédagogique (cf. annexe 2) iells ont remarqué que le traitement de texte ne figurait pas parmi les outils cités. Pourtant, il apparaît cité en premier dans la consigne que nous reproduisons ci-dessous (c’est l’auteur de l’article qui surligne) :
Cette absence surprend donc. Après avoir fait un état des lieux des indicateurs cités, nous examinerons ceux qui ont été le plus fréquemment cités : le stress et la ressource lexicale.
5.2.1. L’ensemble des indicateurs cités : les avantages du traitement de texte quasi-absents
L’analyse des réponses libres des répondant·e·s, a fait apparaître les indicateurs suivants, répertoriés dans le tableau 2 :
Sans doute faut-il s’étonner que les trois principales notions identifiées par Hayes et Flower, à savoir la planification, la mise en texte et la révision ne figurent pas dans les regroupements effectués (Hayes et Flower 1980). Sur les quarante-cinq individus, une seule apprenante que nous appellerons Stella considère les avantages du traitement de texte qu’elle isole par rapport à la feuille de papier.
« Faire mon essay sur word m’a aidée car je suis beaucoup plus à l’aise pour écrire rapidement. De plus, je peux organiser, réorganiser, désorganiser mes parties, mes phrases, les déplacer comme je le souhaite ». (Stella 15/20, étudiante d’anglais LV2, espagnol LV1).
Rigoureusement tou·te·s les autres passent sous silence cette révolution qu’a constitué le traitement de texte par rapport à l’écriture manuscrite (Becker 2007 : 150-172).
Tableau 2 : classement des principaux indicateurs en fonction des avantages et des inconvénients
Les autres avantages sont diversifiés : ils comprennent le caractère plus accessible de l’épreuve par rapport au niveau du/de la répondant·e (3/15), la rapidité pour écrire, une meilleure réflexion, le fait que cela soit plus agréable à lire pour le/la correcteur·ice, etc… Seule Stella a évoqué une aide à la structure.
Les autres inconvénients ont concerné le fait que l’utilisation des documents sur la toile ne contribuait pas à exercer la mémoire, l’effet de surprise et enfin le fait que l’épreuve aurait été moins difficile (cas d’une étudiante bilingue).
5.2.2. Le stress : l’inconvénient le plus fréquemment cité
L’inconvénient le plus fréquemment cité, 35/45 cas, est le stress. À l’instar de Flavie, 16/35 étudiant·e·s ont majoritairement estimé que le temps à disposition était trop court, ce qui a généré un sentiment de panique. Iells ont signalé qu’il était identique à celui de l’épreuve manuscrite alors qu’il comprenait un exercice supplémentaire (l’explicitation des recherches effectuées). Les autres facteurs de stress cités sont le sentiment que les recherches ont constitué une perte de temps (6/19 cas), la crainte du bug informatique ou le sentiment de noyade (chacun cité 3/19 fois) et enfin le caractère « stressant » sans explication particulière (6/19). Une seule personne a mentionné le fait que l’espace familial permettait une moins bonne concentration que l’épreuve sur table surveillée.
Le manque de temps, voire la perte de temps, a été cité pour la moitié des cas (22/45). Le fait que bon nombre d’étudiant·e·s aient estimé que les recherches constituaient un exercice supplémentaire perçu comme une perte de temps (6 mentions) au lieu de les avoir considérées comme au service de l’écriture corrobore le constat d’enseignante selon lequel les étudiant·e·s n’ont pas le réflexe d’utiliser les outils de correction automatique proposés par le traitement de texte ou de vérifier l’orthographe par d’autres moyens. La réponse de cette étudiante dit bien que, selon elle, la vérification et l’autocorrection ne font pas partie de l’exercice (c’est l’auteur de l’article qui surligne) :
« Non, [cela n’est pas du] pas du tout [utile aux apprentissages] car on passe plus de temps à chercher des infos plutôt que de répondre à la questions [3] ». (C. 11/20).
Pour l’ingénieure qui a conçu l’exercice, la recherche des informations notée sur cinq points était la première étape de réponse à la question. La conceptrice de l’exercice estime que le remplissage du tableau (cf. annexe 2) prend dix à quinze minutes pour l’ensemble [4] et qu’elle est moins chronophage que la lecture de l’article de presse et sa présentation résumée requises dans l’épreuve des L2, promotion soumise à la nouvelle modalité en L3.
Contrairement à l’intuition, les étudiant·e·s issues des CPGE ayant répondu à la question ont majoritairement trouvé l’exercice plus utile aux apprentissages à 6/9 contre 3/9. L’une d’entre elles indique :
« J’ai préféré faire le partiel sur word avec documents autorisés car je trouve cela plus encourageant et gratifiant ». (Z. 17,5/20).
L’énoncé de cet étudiant, également issue de CPGE, qui, lui, n’a pas trouvé la nouvelle modalité plus utile, révèle à la fois un malaise avec l’instrument lui-même (l’ordinateur et la plateforme de remise du devoir) d’autant plus grand qu’il est à l’aise dans l’écriture manuscrite. L’étudiant n’a d’ailleurs pas pu déposer le devoir sur la plateforme et a dû l’envoyer par courriel. Sa réponse ne répond pas à la question de l’utilité de l’apprentissage mais pose comme principe que l’évaluation doit nécessairement se faire sur une rédaction manuscrite :
« Je pense qu’un partiel doit toujours être effectué en présentiel. Le fait de devoir l’écrire à la main est essentiel. La gestion du temps, les conditions d’examen ne sont vraiment pas les mêmes, ce qui peut être déstabilisant. Pour ma part, étant très mauvais avec les ordinateurs et les manipulations qui y sont liées ; j’ai ressenti un grand stress à ne pas répondre aux consignes correctement et surtout à l’envoi du fichier où j’ai par ailleurs fait une manip. de plus, j’ai failli effacer mon travail par erreur pendant le temps imparti, encore une grande source de stress. Passer le partiel à distance est extrêmement désavantageux pour toutes les personnes qui ne sont pas à l’aise avec les pratiques à l’ordinateur ». (N. 17/20).
Deux CPGE ne se sont pas prononcées : si nous prenons en compte ces non-réponses, comme le recommande Bourdieu (1981), peut-on y lire un refus de trancher cette question ?
Si nous en revenons à la question du stress, à l’inverse, les quatre les étudiant·e·s ayant trouvé l’épreuve moins stressante ont cité une meilleure confiance et la possibilité de se dépasser, étant débarrassé·e·s du problème que constituait le lexique, cité dans 14/20 cas et apparaissant comme étant à l’origine d’un cercle vertueux.
« Je me sens beaucoup plus confiante quand je retrouve le mot en anglais sans « inventer » ou se poser des questions si ce mot existe vraiment dans la langue anglaise ». (A.14/20).
« Il me semble que c’est plus utile, tout d’abord car cela permet d’être plus confiant et serein avant l’épreuve quant à la barrière linguistique ». (K. 13,5/20).
« Selon moi, lorsque l’on fait des recherches cela pousse à s’investir davantage dans le devoir et donne envie de rendre quelque chose d’encore mieux. C’est surtout la mise à plat de toutes mes recherches que j’ai trouvée utile ». (M. 18/20).
5.3. L’aide linguistique, l’avantage principal le plus cité : la ressource lexicale
Parmi les avantages linguistiques, la correction de l’orthographe n’est citée qu’une seule fois, contre 14/20 fois pour le lexique. Or, la possibilité de faire des recherches lexicales semble avoir eu des répercussions sur les contenus et avoir généré une moindre pression psycho-affective laquelle a poussé à fournir à davantage de travail. Nous retrouvons ici l’idée d’une forme de cercle vertueux.
3/45 signalent qu’il s’agit d’un gain de temps et que cela permet de lever un blocage qui a pour origine une lacune lexicale :
« Tout d’abord, le fait d’avoir des ressources en ligne à disposition a été un gain de temps [5] : chercher un mot dans le dictionnaire m’a permis de me débloquer facilement lorsque je ne trouvais pas la traduction d’un mot/une expression en anglais ». (I.16,5/20).
Pour cette étudiante, il semble que la simple possibilité de ne pas être jugée sur ses connaissances, lève une limite qui l’ait poussée à se dépasser dans ses efforts :
« Quand on fait le partiel sur table, on a l’impression de ne pas progresser parce qu’on est bloqué par des mots de vocabulaire [...] Cet examen en ligne est pour moi, l’unique façon de chercher et retenir des mots. J’AI RESSORTI MON DICTIONNAIRE ANGLAIS<->FRANCAIS EXPRÈS POUR L’ÉPREUVE, JE N’AVAIS PAS UTILISÉ CE DICTIONNAIRE DEPUIS 3 ANS !!!!!! [...] MERCI MADAME :-) [6] ». (O.E.I. 14/20).
Une apprenante de niveau faux-débutant signale que l’accès aux ressources linguistiques influe sur les contenus :
« J’ai beaucoup apprécié l’accès aux ressources qui permet d’approfondir les recherches et être plus satisfait de son travail final. L’accès aux documents m’a permis d’aborder de façon sereine l’examen, je pense que cela est plus positif que de se limiter à de la restitution de cours ; cela permet une réelle investigation et des réponses plus développés ». (T. 9/20).
Ces deux autres rapportent que l’apprentissage est lié, pour elles, à la notion de besoin et que celui du vocabulaire doit se faire en contexte : l’apprentissage est ainsi rendu signifiant. Cette position est à rapprocher de celle du neuroscientifique Desmurgets qui explique que l’enfant apprend les mots dont il a besoin dans une situation réelle (Desmurgets 2012 : 36’- 40’). Pour elles, l’épreuve de rédaction avec la possibilité de faire des recherches répond à cette exigence et à celle d’une situation de communication aux « enjeux [plus] authentiques » (Guichon 2012 : 115).
« Ça permet aussi d’apprendre par l’expérience plutôt que d’apprendre seulement pour un partiel et tout oublier ensuite, ça rentre peut-être parfois mieux quand on expérimente, on se souviendra pendant le contrôle avoir cherché un mot ou une notion dont on avait absolument besoin » (E.L. 16/20).
« J’ai l’impression que ça […] nous met aussi dans une situation réelle contrairement à l’examen en présentiel ». (J. 15,5/20).
Cet autre étudiant met en exergue le paradigme qui lui permet d’apprendre tout en étant évalué :
« À mon avis, le test fait sur table sans documents écrit ne permet en rien un apprentissage. Il permet simplement d’évaluer l’étudiant. L’idée que l’examen soit un moment d’apprentissage en même temps d’être un moment d’évaluation me fait très plaisir. Déjà, car je n’ai pas souvenir que ça me soit déjà arrivé durant l’entièreté de ma scolarité de faire un test n’ayant pas pour unique objectif d’évaluer ». (G. 15,5/20).
L’étudiant emploie un terme affectif « me fait très plaisir », qu’il renforce d’un raisonnement rationnel plus large sur les objectifs de l’éducation. Le fait que l’école se centre davantage sur le fait de tirer et sélectionner des élites que sur les apprentissages a été constaté par les sociologues (Merle, 2007) et les penseurs en sciences de l’éducation (Gauthier, 2014).
L’ingénieure pédagogique que nous sommes avait d’abord pensé que l’essai sur traitement de texte avec documents autorisés paraîtrait nettement plus formateur aux étudiant·e·s qui apprendraient des termes en voulant les employer, corrigeraient leur syntaxe et leur orthographe grâce aux outils de correction automatique du traitement de texte.
Pourtant, à l’exception d’une étudiante, la promotion a ignoré les avantages du traitement de texte par rapport à l’organisation des idées telle que mentionnée par Becker et qui constituent une révolution pour l’écriture (Becker 2007 : 150-172).
Obligé·e·s à trancher, les deux tiers des répondant·e·s ont déclaré avoir trouvé plus formateur le partiel en ligne avec l’aide logicielle à l’écriture et la possibilité de faire des recherches contre 16/80 qui ont exprimé l’inverse et cinq qui ne se sont pas prononcé·e·s. Pourtant, l’analyse des justifications données et le calcul d’un solde d’avantages et inconvénients nuance fortement les réponses : le solde positif est le double du solde négatif mais iells sont quinze à avoir un solde neutre et dix un solde négatif soit vingt-cinq à ne pas penser qu’il est plus avantageux que le devoir manuscrit sans recherches autorisées.
Le classement des réponses fait apparaitre le stress et la correction linguistique comme les éléments les plus fréquemment cités dans les réponses libres. L’analyse des réponses confirme que la correction de la langue et la vérification de l’orthographe sont pour nos apprenant·e·s un exercice supplémentaire : pour elles/eux les vérifications linguistiques ne font pas partie intégrante de l’écriture.
Cette étude ne se fonde que sur les déclarations des apprenant·e·s. L’enquête gagnerait à être approfondie par l’analyse des recherches effectuées : on déterminerait alors quel type de recherche prévaut (correction automatique ou recherche lexicale) et avec quels outils. Par ailleurs, alors que les enquêté·e·s déclarent dans les questionnaires le lexique comme étant leur principal frein, l’expérience des correctrices montre que ce sont surtout les erreurs de grammaire et de syntaxe qui influent sur la correction de la langue ; mais il apparaît ; et cette enquête semble le confirmer ; que nos apprenant·e·s n’ont pas conscience de ce type d’erreurs, ce qui rend leur correction plus difficile. Enfin la capacité à rechercher du lexique ne signifie pas que les apprenant·e·s aient trouvé effectivement le terme approprié.
Beacco, J.-C. (2007). L’Approche par compétences dans l’enseignement des langues. Didier : Paris.
Becker, H. (2007). Writing for Socal Scientists. Chicago : Chicago University Press
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Bourguignon, C., Delahaye, P. et Vicher, A. (2005). L’Évaluation de la compétence en langue : un objectif commun pour des publics différents. Éla. Études de linguistique appliquée, no 140(4), 459-473. doi:10.3917/ela.140.0459.
Gauthier, R.-F. (2014). Ce que l’École devrait enseigner. Paris : Dunod
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Merle, P. (2009). Notes, Secrets de Fabrication. Paris : PUF
Narcy-Combes, M.-F. (2005). Précis de didactique – Devenir professeur de langue. Paris : Ellipses.
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Boulton, A. (2019). L’impact du numérique dans le champ du savoir ; Table ronde https://www.youtube.com/watch?v=6mOT8UJp_GE&feature=emb_title
Cavalla, C. (2019). Corpus Numériques : Critères pour l’enseignement des langues https://www.youtube.com/watch?v=JdrQgzriUBM&feature=emb_title
Desmurgets, M. (2015). TV Lobotomie, la vérité scientifique sur la télévision. Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=NvMNf0Po1wY
9.1. Annexe 1 : Les deux questions posées aux étudiant·e·s après l’épreuve au nouveau format
Question 1 : Faire mon essay sur traitement de texte avec documents autorisés me semble plus utile pour apprendre que le faire sur table en écriture manuscrite sans documents autorisés.
Oui
Non
Question 2 : Justifiez/expliquez votre réponse en étant le plus précis·e possible.
9.2. Annexe 2 : Copie à retourner remplie aux enseignant·e·s
Partiel d’anglais : semestre [notez-ici le semestre]
Nom de l’enseignante dans le groupe où vous étiez inscrit.e. si ce partiel rattrape le S5 :
NOM, prénom :
Numéro d’étudiant.e.
9.2.1. Barème :
Contenus (devoir et brouillon) : 7 points
Anglais : 8 points
Réflexivité sur les recherches : 5 points
Illustration 1 : Cadre pour le brouillon
9.2.2. Explicitation de 10 des recherches effectuées / 5 points.
Dans ce tableau vous devez classer les recherches par type de recherches effectuées. Ne procédez pas par ordre chronologique => regroupez les « corrections automatiques du traitement de texte », la « traduction de mots de l’anglais vers le français », la « traduction de mots du français vers l’anglais », la « recherche d’un concept ».
Les recherches citées ici doivent obligatoirement être présentes dans votre devoir.
Soyez le plus précis·e possible. Dans cette partie on valorisera la précision des informations données.
Si vous demandez à quelqu’un précisez qui est cette personne, pourquoi vous l’avez choisie, quel est son niveau, est-ce un camarade de promo, avez-vous l’habitude de travailler ensemble …..
Indiquez si la recherche a été fructueuse ou infructueuse, si vous êtes passé par plusieurs étapes….
Illustration 2 : Cadre pour la démonstration des recherches
Le type de recherches le plus important concerne :
…..
J’ai surtout fait des recherches pour …..
9.2.3. Essay : 350 mots
Vous fournirez une réponse structurée en deux parties avec une introduction soignée et une conclusion.
Sujet choisi :
Illustration 3 : Cadre pour le sujet choisi
[1] « Le proposer des textes, des situations et des tâches qui simulent la « vraie vie » sans essayer de la reproduire à l’identique » Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues.
[2] Lorsque les répondant·e·s ont répondu à la troisième personne, nous avons considéré que la réponse était trop vague pour correspondre au ressenti personnel de l’étudiant·e : ce type de réponses ont été écartées du corpus. Ainsi cette réponse d’une étudiante de sexe féminin qui répond au masculin à cause des détours utilisés : « Faire un essay sur word avec documents autorisés est beaucoup plus intéressant car cela permet à l’élève de s’en sortir beaucoup mieux car il peut faire des recherches tandis qu’un essay sur table sans document est un moyen d’échec pour un étudiant qui a des grosses difficultés ». (C’est l’autrice de l’article qui surligne).
[3] Les fautes de français ou d’orthographe ont été corrigées.
[4] Flavie, l’étudiante qui a exprimé son agacement par rapport au caractère chronophage du remplissage du tableau des recherches sur lequel elle aurait passé une demi-heure (cf. supra), a également renseigné vingt recherches alors que la consigne n’en exigeait que dix, soit le double. Même lorsque le travail est particulièrement soigné comme dans le cas de Flavie, l’estimation du temps de la conceptrice de l’exercice (quinze minutes, au plus, pour dix recherches) s’avère confirmée.
[5] C’est la répondante qui a mis en gras et qui a souligné.
[6] C’est l’étudiante qui met en majuscules et qui ajoute le « smiley » final.