Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Réflexion sur la formation à distance des directeurs d’école en Guinée dans le cadre du projet RESAFAD

lundi 22 avril 2019 Marie-Paule Crochet-Thery

Pour citer cet article :

Crochet-Thery, Marie-Paule (2019). Réflexion sur la formation à distance des directeurs d’école en Guinée dans le cadre du projet RESAFAD. Adjectif : Analyses et recherches sur les TICE, 2019 T2 Mis en ligne mercredi 17 avril 2019 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article491

Résumé :

Le RESeau Africain pour la Formation À Distance (RESAFAD) est créé à la demande des pays africains lors de la Conférence des ministres de l’Éducation des États et gouvernements de la Francophonie (CONFEMEN) en 1992. Lancé en 1995 sa mise en œuvre effective va débuter en 1997. RESAFAD fut une expérience innovante dans sa conception et ambitieuse dans ses objectifs. Le ministère français de la coopération, par l’adoption du FAC-IG (fond d’aide et de coopération d’intérêt général) de 1997, permit de faire démarrer l’expérimentation simultanément dans quatre pays : le Burkina-Faso, la Guinée, le Mali et le Togo, rejoint par le Bénin en 1999. L’objectif de cet article, volontairement limité à la formation des directeurs d’école primaire, est de témoigner en premier d’une expérience vécue. Il s’agit aussi d’interroger comment la FADDE a pu être pensée au départ au moins comme une « Recherche-Action », termes à plusieurs reprises employés par Bernard Dumont, Jacques Guidon ou Jacques Wallet, sans doute avec le souci de rattacher le projet RESAFAD à un travail universitaire.

Mots clés :

Guinée, RESAFAD, Le RESeau Africain pour la Formation À Distance, FAD, FADDE, Formation à distance des directeurs d’écoles

Origine et contexte

Le RESeau Africain pour la Formation À Distance (RESAFAD) est créé à la demande des pays africains lors de la Conférence des ministres de l’Éducation des États et gouvernements de la Francophonie (CONFEMEN) en 1992. Lancé en 1995 sa mise en œuvre effective va débuter en 1997.

Sa création ne doit rien au hasard. Pour comprendre les raisons de l’émergence d’un tel projet à ce moment précis, il convient sans doute de lire l’ouvrage de Jean-Claude Balmes [1] écrit en 2014 à la demande de l’AFD, consultable en ligne [2] et en particulier la section 9 consacrée à la Coopération éducative française en Afrique subsaharienne de 1960 à 2015.

On y voit que RESAFAD s’inscrit dans une volonté politique traduisant un changement de paradigme de la Coopération française qui adhère à la fin des années 80 à la proposition de la Banque mondiale d’un « partenariat plus ouvert entre agences et ministères africains de l’éducation ». S’en suivit une accentuation de la logique de projets, par opposition à celle d’aide directe par substitution et une volonté marquée de promouvoir des réseaux d’expertises. Une succession de projets de ce type virent le jour entre 1992 et 1998. Le dernier d’entre eux était RESAFAD.

Le 15 juin 2018 le séminaire qui lui a été consacré à l’université Paris Descartes a permis de rendre hommage à Jean Valérien, son rôle éminent dans la réalisation et l’animation de ce projet dont il fut à la fois l’initiateur et dès la fin 1996, le coordinateur, consultant expert au Ministère des affaires étrangères, aux côtés de Jacques Wallet et de Jacques Guidon.

Le site Web [3], créé à la suite de cette journée avec l’appui du laboratoire EDA, permet de mieux appréhender l’ampleur du projet RESAFAD, la diversité des actions entreprises et mettre en évidence ses liens avec les universités et les grands opérateurs français nationaux et internationaux du monde éducatif.

RESAFAD fut une expérience ambitieuse dans ses objectifs puisque ceux-ci étaient à la fois nationaux et transnationaux pour les pays africains concernés. Il faut ajouter que le choix d’imposer Internet comme vecteur du réseau à un moment (1995) où son usage était loin d’être répandu et même admis [4], où ses capacités en termes d’utilisations étaient également très loin des performances auxquelles nous sommes habitués, était la marque d’une vision audacieuse de l’avenir.

Le ministère français de la coopération, par l’adoption du FAC-IG (fond d’aide et de coopération d’intérêt général) de 1997, permit de faire démarrer l’expérimentation simultanément dans quatre pays : le Burkina-Faso, la Guinée, le Mali et le Togo, rejoints par le Bénin en 1999. Deux ans auparavant un précédent FAC avait permis l’élaboration du premier projet qui allait servir de test de faisabilité : celui de la formation des directeurs d’école élémentaire. C’était la première fois que l’on s’intéressait spécifiquement à la formation de cette catégorie de personnel et le choix du ministère de faire appel à un laboratoire universitaire, le LID de l’Université Paris VII [5], montre bien la volonté politique d’inscrire le projet dans une expertise de haut niveau tout comme celle de choisir trois membres de ce laboratoire comme responsables de la mise en œuvre du RESAFAD dans l’un de ces pays. C’est ainsi que l’auteure de cet article se retrouva à Conakry en Guinée, à l’automne 1996.

Par la suite la Guinée équatoriale, Madagascar, la Mauritanie et le Sénégal devinrent des pays partenaires au sein du RESAFAD devenu RESAFAD-TICE (RESeau d’Appui Francophone pour l’Adaptation et le Développement des Technologies de l’Information et de la Communication en Éducation). Cette nouvelle appellation répondait à une volonté de mettre l’accent sur le volet des technologies numériques éducatives et sur l’émergence, à partir de l’an 2000, de nouveaux projets comme celui de « l’Université en Ligne, Premier Cycle Sur Mesure » (UeL-PCSM), réalisée en partenariat avec le Réseau Universitaire des Centres d’Auto formation (RUCA).

L’objectif de cet article, volontairement limité à la formation des directeurs d’école primaire, est de témoigner en premier d’une expérience vécue. C’est d’ailleurs pourquoi seul le cas de la Guinée est abordé ici. C’est aussi de dépasser le simple récit narratif d’une exécutante bien informée et choisie pour sa technicité, pour se pencher sur la démarche qui a pu la guider en tant que responsable RESAFAD expatriée dans la mise en place de cette formation-test. Elle a été confrontée à cette dualité d’être à la fois une praticienne de terrain et une chercheure gardant une certaine mise à distance vis-à-vis des actions entreprises et ceci dans une perspective qui puisse inscrire le projet FADDE (nom de la formation des directeurs d’école élémentaire en Guinée) dans le continuum des recherches en éducation.

Le projet FADDE

La conception de cette formation fut une action de ré-ingénierie de la formation à distance, de type télé-enseignement, qui devait s’insérer dans la formation continue du personnel du secteur éducatif.

La Formation à distance mise en place était une autoformation assistée (tutorat) avec quelques regroupements périodiques. Son contenu fut axé essentiellement [6] sur « la bonne gouvernance » de l’école et sa gestion administrative et financière [7]. Qualifiante, la formation va concerner environ 1000 directeurs d’écoles de six classes et plus (960), choisis par le ministère guinéen de l’enseignement pré-universitaire et de l’éducation civique (MEPU-EC).

Le premier travail, une fois rendue sur site, était la formation de formateurs-concepteurs de modules capables de travailler en réseau national et transnational et de créer des produits de formation nationaux (modules), qui soient en adéquation avec ceux faits par les équipes RESAFAD des autres pays concernés.

En Guinée il fallait absolument tenir compte de la grande hétérogénéité des cursus des enseignants en place. Héritage direct de l’ère de Sékou Touré (1959-1984), elle affectait l’ensemble du personnel enseignant de l’Élémentaire à l’Université. Si l’on s’en tient au cas des enseignants du primaire puisque c’est parmi les instituteurs que le ministère nommait les directeurs, on sait que dès les premières années de l’indépendance, un abaissement du niveau d’exigence pour enseigner se produisit sous la pression des besoins.

De plus, de 1968 à 1984, l’enseignement en primaire et au collège se fit en langues nationales. La moyenne d’âge des directeurs à former étant de 45 ans, beaucoup n’avaient pas appris le français en classe. Cette réalité explique le soin qu’apportera l’équipe de conception à la rédaction et à la mise en page des guides et des modules, le choix drastique d’un vocabulaire précis ; mais obligatoirement simple et usuel ; et la volonté d’associer pour chaque notion nouvelle un exemple concret à sa définition afin de permettre à tous les formés d’acquérir un bagage et un savoir-faire commun.

La FADDE fut-elle une "Recherche-Action » ?

La FADDE a été définie par ses promoteurs comme une recherche-action, sans doute avec le souci de rattacher le projet RESAFAD à un travail universitaire. C’était, aussi, autant que j’en puisse témoigner pour moi-même, le ressenti des « expatriés » du LID partis la mettre en œuvre, conscients de la part importante d’initiatives et de formalisation qu’ils devaient entreprendre pour mener à bien le projet sur place.

Ce type de démarche était alors au cœur des préoccupations de la recherche en didactique. En 1986, un colloque à l’Institut National de Recherche Pédagogique (INRP) avait été consacré à ce type de recherche dont le compte rendu en 1987 par Claude Seibel et Anne-Marie Hugon portait justement le titre « Recherche-Action, formation : quelles articulations ? » [8].

En 2002, un article de Michèle Catroux dans la revue « Recherche et pratiques pédagogiques en langues de Spécialités » [9], ciblait les marqueurs caractéristiques d‘une recherche-action dans le cadre bien délimité d’un chercheur enseignant en situation de classe. A l’instar des conclusions du colloque de 1987, elle mettait en exergue la flexibilité [10] et la nécessité pour ce type de recherche d’être « participative et collaborative ».

Claude Seibel et Anne-Marie Hugon avaient évoqué « un processus de co-formation » [11].

Enfin Georges Louis Baron évoque son actualité en 2016 : « Je crois à la nécessité de continuer à développer ce type de recherche, exploratoire : nous sommes dans un contexte où les technologies évoluent vite et il y a perméabilité entre la recherche et l’action. On parlait autrefois de « recherche-action » [12]

Le travail effectué en Guinée me semble toujours par certains de ses aspects relever de ce type de recherche même si, avec le recul du temps, il faut reconnaître qu’il y manque la dimension de capitalisation des acquis qui l’empêche de mériter pleinement ce nom.
De mon point de vue on peut l’y rattacher par deux caractéristiques : la flexibilité et le travail collaboratif.

La FADDE et la Flexibilité

Comme une recherche-action, la FADDE a dû s’adapter et se confronter à la réalité. Ce fut un élément indispensable pour pouvoir avancer, à la fois dès le début du projet mais aussi en cours de réalisation.

Comme le projet RESAFAD, la formation des directeurs d’école primaire avait été minutieusement pensée et préparée à Paris 7. Un certain nombre de choix, d’actions prévues se révélèrent malgré tout sur place inadéquats et durent être amendés. Deux exemples vont permettre de saisir la nécessité des adaptations au terrain.

Le premier résulte d’une carence de la technique

En Guinée, en septembre 1996, lors de mon arrivée, Internet n’était pas encore en place. Le lancement officiel eut lieu à Conakry lors d’un séminaire un an plus tard.

Par la suite la mauvaise qualité de l’Internet, ajoutée à une couverture très réduite, explique, que sauf dans le cadre d’échanges avec les centres RESAFAD du Burkina et du Togo et avec la base arrière de Paris pour le travail de conception, toute la formation se soit faite sur support papier. Les modules et les devoirs ont été envoyés par voie postale aux Directeurs Préfectoraux de l’Éducation (DPE) et dispatchés aux directeurs à partir des préfectures parfois dans des conditions acrobatiques, le Sud de la Guinée étant affecté par la guerre en Sierra Léone à partir de l’an 2000.

La conséquence fut que le projet ne débuta effectivement à Conakry qu’en décembre 1997, au très faible et irrégulier débit de 56 bits/s ; le plus souvent réduit de moitié. S’y ajoutaient les fréquentes coupures d’électricité dans les villes desservies. La très grande majorité des petites villes, des villages et même des sous-préfectures, n’avaient toujours pas accès au courant électrique à la fin des années 2000 et il fallait se contenter de générateurs alimentés en essence et coûteux en carburant.

A cette difficulté, s’ajoutait une carence en matériel informatique. Si la salle de ressources RESAFAD était équipée, le parc informatique du pays, même dans la capitale, était pratiquement inexistant. Les rares ordinateurs existants dans le secteur de l’éducation servaient à des traitements de type administratif.

Il devenait très difficile dans ces conditions d’échanger avec les équipes des autres pays et utopique de penser pouvoir travailler en réseau au plan local sans une extension de la couverture d’Internet a minima à quelques grandes préfectures régionales comme Labé, Kankan ou N’zérékoré.

Dès l’arrivée d’Internet dans ces trois villes, en l’an 2001, fut alors entrepris un travail de formation à l’enseignement à distance avec les maîtres formateurs des Centres d’Appui Pédagogique et Linguistique (CAPL) créés dans ces villes par la coopération française afin de mettre sur pied un travail collaboratif en réseau avec des équipes de formateurs distantes. Le résultat fut inégal mais trois modules furent réalisés, deux à Labé et un à N’zérékoré (Cf. Carte des préfectures de la République de Guinée en annexe).

Impossible dans ces conditions de mettre en place la synchronisation, prévue à l’origine, de l’élaboration des modules sur un thème précis avec possibilité d’interactions d’un pays à l’autre.

Le second exemple porte sur les limites imposées par les spécificités des pays concernés.

Malgré l’existence avérée de besoins communs aux directeurs d’école de la sous-région, la connaissance in situ de la réalité de chaque pays montra les limites d’une base collective pour l’élaboration de modules. Ainsi, le statut des directeurs différait radicalement d’un pays à l’autre. Régi par des textes législatifs et réglementaires au Burkina, il n’existait pas en Guinée. Aucun texte ne le définissait et tout l’enjeu de la formation a été de négocier avec le Secrétaire Général du ministère de l’Enseignement Pré-Universitaire et de l’Éducation Civique (MEPU-EC), une formation qualifiante reconnue par un certificat d’aptitude.

Le choix de faire débuter la formation seulement après l’achèvement de l’ensemble des seize modules et l’obtention de l’aval du ministre de l’Enseignement pré-universitaire sur leurs contenus, fut acté à la suite des observations de deux membres de l’équipe de conception FADDE, appartenant à l’ISSEG (Institut Supérieur des Sciences de l’Éducation en Guinée). Ces derniers avaient attiré l’attention du groupe sur les difficultés considérables rencontrées pour mener à terme une formation à distance pour le personnel administratif de l’enseignement. La formation avait débuté alors que seuls les premiers modules étaient terminés et les retards de réalisation des modules suivants, voire leur non réalisation, avaient entraîné la désorganisation du planning des cours et des devoirs.

Conséquence de cette décision, la formation des directeurs en Guinée commença un an plus tard que celle des autres pays. Par la suite le calendrier prévu d’une formation sur douze mois, vacances incluses, fut tenu sans incident ni retard.

La FADDE et la démarche collaborative et participative

Une collaboration soutenue entre le chef de projet FADDE et la responsable RESAFAD-Guinée (moi) était indispensable à propos de l’élaboration du plan de formation, de sa mise en œuvre, de l’évaluation formative et sommative des apprenants, du suivi sur le terrain et toutes les initiatives et décisions qui en découlaient. Elle représentait une nouveauté par rapport à la gestion des projets antérieurs. Elle serait cependant restée insuffisante si cette démarche participative ne s’était appliquée aussi à l’ensemble des ressources humaines fonctionnelles, c’est à dire à l’équipe de conception et aux tuteurs de la formation. Le projet de formation des directeurs aurait sans doute aussi été inopérant si cette démarche ne s’était pas étendue aux acteurs institutionnels directement impliqués : les autorités guinéennes déconcentrées, mais aussi le service ministériel dont dépendait la formation et le comité de pilotage créé tout exprès et composé d’une douzaine de hauts responsables guinéens de l’éducation [13].

Cette collaboration a concerné également les apprenants en tant qu’acteurs de leur formation.

Application à l’équipe de conception

L’équipe de conception fut la cheville ouvrière de la formation. Elle se composa de six personnes, choisies sur liste par le chef de projet FADDE [14], responsable de l’élémentaire dans l’une des cinq communes de Conakry. Lui-même avait été choisi par le comité de pilotage. Tous les membres du groupe étaient volontaires, et appartenaient au monde de l’éducation. Parmi eux se trouvait un chef d’établissement d’école primaire.

C’est cette équipe qui, après une formation à l’utilisation de l’ordinateur, d’Internet et à la méthodologie de la FAD, allait concevoir entièrement la formation et son déroulement : les modules, les devoirs et leurs corrigés et participer à la mise en œuvre du plan d’action et de son calendrier, du tutorat, ainsi que du suivi sur le terrain à mi-parcours.

De bout en bout, il s’est agi d’un travail collectif d’élaboration, d’analyse, de réflexion et discussions. Il a permis d’aboutir à un consensus pour chaque module, chaque action entreprise. Dans cette équipe, la responsable RESAFAD que j’étais, était à la fois l‘animatrice et un simple membre du groupe lorsqu’elle travaillait en binôme avec un autre formateur à l’élaboration d’un module.

Application vis-à-vis des autorités institutionnelles

Les autorités institutionnelles sont des responsables au ministère de l’Enseignement pré-universitaire mais aussi des responsables des administrations déconcentrées : Inspecteurs Régionaux de l’Education (IRE) et Directeur Préfectoraux de l’Éducation [15] (DPE) sous l’autorité de qui, se déroulait en région, la formation.

Il convenait donc de les informer, de les consulter régulièrement en sollicitant leur avis et de leur fournir tout le matériel pédagogique produit. Une véritable collaboration s’est peu à peu installée qui s’est manifestée principalement dans le domaine de l’évaluation des directeurs en formation directement et uniquement placée sous l’autorité et la responsabilité des Inspecteurs régionaux.

C’est d’ailleurs à leur instigation que fut modifiée radicalement l’organisation pratique des devoirs et des corrections après leur refus d’avaliser la première proposition pour pallier toutes fraudes et pressions sur les tuteurs comme celles survenues récemment lors d’une formation d’instituteurs organisée par la Coopération canadienne.

Application au niveau des tuteurs

Préalablement formés à leurs tâches lors de séminaires, destinataires d’un guide et de fiches techniques, les tuteurs furent impliqués directement par des échanges écrits selon un calendrier programmé, des rencontres et par la prise en compte effective de leurs observations durant le déroulement de la formation.

Application au niveau des apprenants eux-mêmes

Outre l’ensemble des dispositifs destiné à faciliter l’implication des apprenants dans la formation, les directeurs d’école furent également consultés et appelés à donner leur avis au moins à deux reprises : une partie non négligeable d’entre eux (environ 16 %) furent consultés au moment des tests d’élaboration des modules puis en cours de formation. Près des deux tiers des apprenants purent s’exprimer lors de rencontres dans chaque préfecture lors des missions de suivi à mi-parcours.

L’évaluation du projet FADDE : points forts et limites

L’évaluation dont il est question ici ne concerne pas l’évaluation des apprenants telle qu’elle avait été conçue et réalisée lors de la formation mais celle de la FADDE une fois celle-ci achevée.

Il s’agit de déterminer en quoi le projet a été efficient pour les apprenants et, au-delà de ce premier objectif, de voir dans quelle mesure il a pu participer à une amélioration durable de la qualité de l’enseignement primaire en Guinée par une meilleure gestion des écoles primaires par les directeurs formés.

L’évaluation fut positive pour les formés comme l’ont démontré non seulement les résultats de fin de formation (802 reçus/957 inscrits, 5 % d’abandon), mais aussi les réponses à un questionnaire adressé par l’équipe de conception aux tuteurs après la formation (Sur 45 tuteurs, 29 ont répondu) [16] et une évaluation extérieure effectuée par un enseignant, évaluateur à l’ISSEG, indépendant de l’équipe de formation FADDE [17].

Cependant et au-delà de ce renforcement des savoir-faire des directeurs en place, l’objectif de participer à l’amélioration de l’enseignement élémentaire guinéen en influant sur la gestion des écoles primaires entraînait l’obligation de pérenniser cette formation. Cette nécessité avait d’ailleurs été abordée par le Secrétaire Général du MEPU-EC lui-même lors de la séance de clôture du projet du comité de pilotage en 2003. Après s’être félicité des résultats obtenus et de l’implication des directeurs formés, il avait préconisé l’implication du RESAFAD dans un projet guinéen subventionné par le projet EPT de la Banque mondiale.

Des ressources existaient pour le faire. Des personnes avaient été formées. Des outils méthodologiques avaient été mis en place par l’équipe de conception. Un partenariat avait même été signé avec l’ISSEG en 2004 pour continuer à faire fonctionner le centre de ressource RESAFAD à Conakry. De plus le réseau inter-état qu’était RESAFAD-TICE et sa base arrière dirigée et animée par trois coordinateurs, Jean Valérien jusqu’à son décès en 2005, Jacques Wallet et Jacques Guidon, pouvaient jouer un rôle important dans l’appui et dans le partage des informations [18].

Des ressources financières étaient à prévoir. La salle de ressources, les ordinateurs, les frais d’accès à Internet avaient été assurés durant toute la période d’élaboration et de mise en œuvre de la formation par un financement de la coopération française au moyen d’un FAC. Toutefois il existait des pistes fiables pour rentabiliser la salle de ressources et rémunérer les formateurs.

Le facteur décisif pour continuer était qu’existât une volonté politique. Deux facteurs semblent avoir joué en défaveur de la poursuite du projet.

Côté français, la disparition en décembre 1998 d’un ministère autonome de la coopération, représenté désormais au sein du ministère des affaires étrangères par un ministre délégué à la coopération, a engendré une zone de turbulence politique et créé des tensions internes qui n’ont pas permis la dotation d’un nouveau FAC en appui [19].

Coté des autorités guinéennes, contrairement à ce qui s’est passé au Sénégal, ni le ministère guinéen de l’Enseignement pré-universitaire, ni aucun autre ministère ayant en charge l’éducation, ne se sont impliqués pour utiliser RESAFAD et en faire une composante dynamique de leurs actions.

Finalement l’évaluation de la FADDE est demeurée incomplète. À cette époque les projets ne faisaient pas l’objet d’une évaluation ex post ( J-CL Balmes).
Aucune évaluation ultérieure ne fut réalisée en Guinée pour confirmer ou infirmer chez les directeurs formés la modification de leurs pratiques qui ne fit pas davantage l’objet d’un suivi. La majorité d’entre fut d’ailleurs promue par le ministère dans des postes de responsabilité administrative et aucune reprise de la formation pour de nouveaux directeurs ne fut mise sur pied.
Expérience réussie mais unique et limitée dans le temps, la FADDE ne put atteindre l’objectif souhaité d’une amélioration de la gestion de l’ensemble des écoles primaires par une meilleure formation de leurs directeurs et par là une amélioration de la qualité de l’éducation de base.

En conclusion

Cet article, basé sur un témoignage, a été axé volontairement sur un pays, la Guinée et sur une formation, celle des directeurs d’écoles élémentaires. Il ne peut donc rendre compte de l’intégralité de l’expérience RESAFAD. Celle-ci s’est déroulée non pas dans un pays mais dans neuf et avec à chaque fois une dynamique et des réalisations propres. De plus, dans un État au moins, le Sénégal, l’expérience se poursuit encore en 2019.

Il convient aussi de considérer que la formation des directeurs d’écoles élémentaires n’a pas été le seul projet mené à bien [20]. Grâce à un partenariat RESAFAD/RUCA (Réseaux Universitaires de Formation Continue) et l’implication de sa présidente Nicole Bernard, des initiatives intéressantes et porteuses d’avenir ont eu lieu en direction des universités locales avec la mise à disposition de ressources issues de l’Université en Ligne appliqués aux premiers cycles [21]. Des innovations à l’initiative de la base arrière furent réalisées avec l’utilisation d’un portail « Edusud » pour la diffusion de l’information et la possibilité d’un travail collaboratif.

Ces expériences et de façon plus générale l’ensemble des actions du RESAFAD, son implantation même dans divers pays d’Afrique ont ouvert au Sud une voie à un moment où il n’était nullement évident de parier en éducation sur l’avenir d’Internet et de la numérisation en y jumelant l’enseignement à distance même si le produit final était sur support papier pour des raisons de contingence. Vingt ans plus tard, même si des difficultés à ne pas négliger subsistent en termes de capacités techniques entre les pays du Sud et ceux du Nord en matière d’accessibilité aux débits élevés et à des coûts moindre, la diffusion et les utilisations des technologies (que l’on ne peut plus qualifier de « nouvelles ») aidant, les mentalités ont changé, utiliser des outils technologiques dont les usages semble maintenant relever de l’évidence.

Si de nombreux problèmes continuent d’exister en éducation dans les pays africains, pour reprendre une phrase de Jacques Wallet dans son article de présentation du séminaire de l’anniversaire des vingt ans de RESAFAD [22] : « La question des technologies n’est pas la question centrale. » à se poser et à résoudre. Si elle ne l’est pas ou plus, c’est peut-être et sans doute, un peu à des projets comme RESAFAD qu’elle le doit.

Pour aller plus loin

Archives RESAFAD http://www.20-ans-resafad.net/

Baron, Georges-Louis (2002). Applications et usages éducatifs des technologies de l’information et de la communication : éléments pour une analyse de la conjoncture scientifique, Document de travail réalisé pour le RESAFAD, 2002 http://www.adjectif.net/spip/IMG/pdf/Baron_resafad_2002_3.pdf

Guidon, Jaques et Wallet, Jacques (2004). RESAFAD TICE. Réseau d’appui francophone pour l’adaptation et le développement des technologies de l’information et de la communication en éducation. 1997-2003. Paris : Association pour la Diffusion de la Pensée Française, ministère des affaires étrangères

Meimon, Julien (2007). « Que reste-t-il de la Coopération française ? », Politique africaine, 2007/1 (N° 105), p. 27-50. URL : https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2007-1-page-27.htm et

Théry, Marie-Paule (2004). RESAFAD TICE. Réseau d’appui francophone pour l’adaptation et le développement des technologies de l’information et de la communication en éducation. 1997- 2003. Paris : RESAFAD / ADPF, ministère des affaires étrangères

Wallet, Jacques (2008). De l’usage des réseaux numériques en formation. Questions pour le Sud. Conférence d’ouverture au colloque international « Langues, espaces numériques et diversité », octobre 2008, Limoges

Valérien, Jean (1999). Etude de cas. Le Resafad. Une initiative de la coopération française. Revue internationale de Sèvres, 23, 97-

Vivet, Martial (1998). RESAFAD : « RESeau Africain pour la Formation A Distance ». In : Sciences et techniques éducatives, volume 5 n°4, 1998. Le livre électronique, sous la direction de Éric Bruillard, Brigitte de La Passardière et Georges-Louis Baron. pp. 410-412.DOI : https://doi.org/10.3406/stice.1998.1597 et
www.persee.fr/doc/stice_1265-1338_1998_num_5_4_1597

Carte des préfectures de la République de Guinée

[1Balmas, J-Claude, Repères et outils pour l’amélioration de l’éducation de base, AFD, 2014, 143 p.

[3http://www.20-ans-resafad.net/ la revue Adjectif signale et commente sa parution le 14 mars 2019.

[4En France, l’opérateur France télécom bataillait en faveur de l’usage du Minitel contre celui d’Internet.

[5Le LID, laboratoire d’Ingénierie Didactique était alors dirigé par le professeur Bernard Dumont.

[6Les rapports avec les associations de parents d’élèves furent particulièrement évoqués dans les différents modules.

[7Les rapports avec les associations de parents d’élèves sont particulièrement évoqués. Le rôle d’aide pédagogique aux enseignants l’est peu cette partie étant du ressort de l’inspection et des conseillers pédagogiques. Deux modules sur seize en parlent : « Le conseil aux maîtres » et « L’aide aux jeunes maîtres ».

[8Seibel Claude, Hugon Marie-Anne. Recherche-Action, Formation : quelle articulation ? In : Recherche & Formation, N°2, 1987. Les professions de l’éducation : recherches et pratiques en formation. pp. 9-20.DOI : https://doi.org/10.3406/refor.1987.897 www.persee.fr/doc/refor_0988-1824_1987_num_2_1_897

[9Catroux Michèle, « Introduction à la recherche-action : modalités d’une démarche théorique centrée sur la pratique », Recherche et pratiques pédagogiques en langues de spécialité, Vol. XXI N° 3 | 2002, p.8-20

[10« Une des grande richesse de la recherche action est sa flexibilité » Michèle Catroux, ibidem.

[11« La participation met en jeu des capacités rarement requises dans des recherches en éducation classiques, capacités à négocier, à gérer avec les acteurs les dispositifs de recherche, capacités à animer les groupes, capacités à transmettre des savoirs à des interlocuteurs appartenant à des horizons professionnels différents » Seibel Claude, Hugon Marie-Anne, Ibidem.

[12Baron, Georges-Louis (2016). Un point de vue sur la recherche en TICE au Sudhttp://www.frantice.net/docannexe/file/1415/3.baron.pdf.

[13Le chef de file pour le secteur éducatif de la Coopération française et la responsable du RESAFAD faisaient partie de ce comité.

[14La fonction de chef de projet FADDE ne doit pas être confondue avec celle de chef du projet RESAFAD en Guinée dont la FADDE ne représentait qu’un élément.

[15La Guinée en dehors du gouvernorat de Conakry est découpée administrativement en 7 régions et 33 préfectures.

[16Baldé Djénabou et Thery Marie-Paule, « Un cas d’évaluation en formation à distance en Guinée, un exemple de la gestion de l’évaluation institutionnelle au cours de la formation qualifiante des directeurs de l’enseignement élémentaires » IIPE, Dakar 2005.

[17Camara Ansoumane, Rapport d’évaluation de la formation des directeurs d’école élémentaire de six classes et plus », ISSEG, Conakry, 18 mars 2003, 35 pages et annexes.

[18RESAFAD bénéficiait aussi de l’appui d’un consortium d’universités (Le Mans, Paris 6, Paris 8, Paris 13, Rouen) et d’IUFM (IUFM de Bretagne et de Versailles).

[19Sur cette période l’article de Julien Meimon « Que reste-t-il de la coopération française ? » Paru dans la revue Politique africaine en 2007 et publié numériquement par Cairns dont on retrouvera les coordonnées dans la bibliographie en fin d’article, apporte un éclairage intéressant.

[20DU de communicateur multi média / Séminaire interactif des responsables de la planification/ appui à la création d’un premier produit multimédia / mise à disposition des ressources de l’UeL.

[21Ressources élaborées au sein de 18 universités françaises.

[22Jacques Wallet, Contexte du RESAFAD, quelques mots de présentation, U. Paris Descartes, 15 juin 2018, https://20-ans-resafad.sciencesconf.org/resource/page/id/4


 

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