Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Lire et écrire avec des outils informatiques

Tissage d’un projet de compensation pour des adolescents dyslexiques
mercredi 21 juin 2017 V. Bacquelé

Pour citer cet article :

Bacquelé, Vanessa (2017). Lire et écrire avec des outils informatiques. Tissage d’un projet de compensation pour des adolescents dyslexiques. Adjectif.net Mis en ligne mercredi 21 juin 2017 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article432

Résumé :

Cette contribution présente une synthèse d’une recherche doctorale qui s’est intéressée aux aides technologiques proposés aux élèves en situation de handicap et, plus particulièrement aux élèves dyslexiques.

Les technologies numériques composant notre paysage quotidien, sont reconnues comme faisant partie intégrante de nombreux aspects de la vie des citoyens et peuvent s’avérer être des outils de promotion d’une plus grande inclusion sociale. En éducation, le recours au numérique est plébiscité et il est rappelé que « si le numérique est un outil particulièrement intéressant pour la réussite des élèves ordinaires, il se révèle indispensable pour les élèves en situation de handicap » [1].

Mots clés :

Dyslexie, Pratiques écrites, TICE

Introduction

Dans le cadre d’une recherche doctorale, dont une synthèse est présentée ici, les aides technologiques proposés aux élèves en situation de handicap et plus particulièrement aux élèves dyslexiques ont été étudiées. Il apparaît qu’un nombre important de ces élèves, à qui ont été attribués des ordinateurs assortis de logiciels de lecture et d’écriture, ne parviennent pas à utiliser ce matériel en classe et à en tirer parti de manière efficace. Ces constats de terrain ont d’ailleurs été renforcés par un rapport de 2011 de l’UNESCO sur les technologies accessibles, rapport qui explicite le faible usage des ordinateurs et des logiciels spécifiques par les élèves présentant des troubles des apprentissages.

Mise en perspective de la scolarisation des adolescents dyslexiques

Dans la classification des maladies (CIM, 2008), la dyslexie est comptée parmi les « troubles spécifiques du développement des acquisitions scolaires » (tableau 3.III). Lyon, Shaywitz et Shaywitz (2003, p. 3) expliquent plus précisément qu’il s’agit d’un :

[…] un trouble spécifique de l’apprentissage dont les origines sont neurobiologiques. Elle est caractérisée par des difficultés dans la reconnaissance exacte et/ou fluente de mots ainsi que par une orthographe des mots (spelling) et des capacités de décodage limitées.

D’autres difficultés, comme des troubles visuels (Ramus, 2012) ou des troubles visuo-attentionnels (Bosse, Tainturier, Valdois, 2007), sont recensées et les débats quant à l’étiologie de la dyslexie sont encore de mise. Le modèle de lecture à double-voie de Coltheart (2001) permet quant à lui de rendre compte des processus cognitifs mis en œuvre dans l’activité de lecture. À partir de celui-ci sont déclinés les typologies des dyslexies et les multiples difficultés rencontrées par les élèves. En lecture, on retrouve notamment les erreurs de conversion grapho-phonémique et, plus globalement, des défaillances dans le décodage des textes, en écriture, ce sont particulièrement des difficultés orthographiques plus ou moins sévères. De plus, ces difficultés d’apprentissage peuvent avoir des répercussions sur l’estime de soi des jeunes dyslexiques, notamment au moment de l’adolescence, et poser obstacle à leur engagement dans les activités de lecture et d’écriture.

Les troubles du langage écrit sont considérés dans cette recherche à partir des questionnements sur les différentes approches d’enseignement du français et de la lecture qui ont nourri les débats pédagogiques et didactiques. Ils sont aussi abordés au travers des controverses portant sur les explications de ces troubles et de la manière d’y répondre efficacement.

L’accompagnement des élèves dyslexiques et la mise en accessibilité des apprentissages sont considérés dans le cadre du concept de l’inclusion, compris comme :

[…] une approche dynamique de répondre positivement à la diversité des élèves et de considérer les différences entre les individus non comme des problèmes, mais comme des opportunités d’enrichir l’apprentissage. (UNESCO, 2006, p. 12)

Le recours au modèle du fonctionnement et du handicap présenté par l’OMS (2001) dans la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, permet quant à lui, d’analyser les situations des élèves. Cette classification met en avant la complexe intrication entre les problèmes de santé et les facteurs contextuels et permet ainsi d’identifier les causes individuelles et environnementales entraînant les situations de handicap.

Cette dimension sociale et environnementale du handicap ; quoique confirmée en France en 2005 avec la loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », cède le pas à une approche bio-psycho-sociale qui conditionne l’octroi des moyens de compensation. En effet :

« constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou trouble de santé invalidant » (article 2)

Par ailleurs, les aides dont les élèves bénéficient sont déclinées au travers de divers dispositifs de soutien et notamment du projet personnalisé de scolarisation, comprenant non seulement les modalités de déroulement de la scolarité, mais aussi les mesures du plan de compensation. Ces soutiens passent aussi par le filtre de l’évaluation des besoins éducatifs particuliers et de la mise en place d’adaptations spécifiques au sein des classes.

Pour terminer cet état des connaissances, l’introduction des aides technologiques pour les élèves dyslexiques est abordée dans le contexte d’un plébiscite du numérique en éducation. Un état des lieux des usages et du non usage de ces outils rend compte d’une plus-value encore incertaine de ces moyens de compensation des difficultés de lecture et d’écriture. En effet, les études de Higgins et Raskind (2005) comme celles de Gotesman et Goldfus (2010) montrent, par exemple, de meilleurs résultats en compréhension lorsque les élèves recourent à la lecture vocale ; une revue de littérature effectuée par Stetter et Hughes en 2010 met en lumière des résultats quelques fois peu significatifs et des avis mitigés quant aux véritables apports de ces outils.

Les questions qui demeurent

Si la revue de littérature éclaire les enjeux et les tiraillements qui existent autour du cheminement scolaire des jeunes dyslexiques, de nombreuses interrogations émergent et jalonnent cette étude : comment les outils informatiques sont-ils intégrés, acceptés et quels bénéfices les élèves dyslexiques en tirent-ils ?

Existe-t-il finalement une adéquation entre les desseins mis en avant quant aux ressources numériques, à l’efficacité des aides qu’elles proposent pour les jeunes dyslexiques et les véritables expériences d’utilisation dans l’apprentissage du langage écrit ?

Problématique

L’objectif principal de cette recherche est de savoir dans quelle mesure les outils informatiques constituent une aide en lecture et en écriture pour les adolescents présentant des troubles du langage écrit, mais aussi de mieux définir et comprendre le parcours de ces élèves afin de déterminer ce qui facilite l’usage des technologiques numériques en classe ou au contraire, ce qui y fait obstacle.

La question principale est définie de la manière suivante : si des adolescents dyslexiques et dysorthographiques scolarisés en collège et en lycée peuvent faire usage des outils informatiques pour faciliter leur accès au langage écrit, dans quelle mesure et à quelles conditions ces outils permettent-ils d’atteindre cet objectif ?

La première hypothèse est que les outils informatiques permettent aux élèves dyslexiques d’être plus rapides en lecture et de mieux comprendre les textes lus et qu’ils favorisent aussi la production d’écrits plus riches et de meilleure qualité au niveau orthographique et syntaxique. La deuxième hypothèse est que le recours à ces outils n’est efficace que si leurs usages s’appuient sur des piliers technologique, humain et pédagogique pensés au sein des environnements d’usage, familial, ré-éducatif ou scolaire, qui soient cohérents, concertés et stimulants.

Méthodologie

Pour mener cette étude, divers champs disciplinaires ont été convoqués telles les sciences cognitives pour mieux appréhender les troubles du langage écrit et leurs répercussions, la psychologie pour une approche du vécu des élèves à travers l’estime qu’ils nourrissent d’eux-mêmes, la pédagogie pour analyser les choix des enseignants pour rendre accessible aux élèves l’apprentissage du langage écrit tout en facilitant le recours aux outils de compensation, ou encore l’ergonomie informatique pour étudier les interactions entre l’élève et sa machine.

Une vision globale et située de l’adolescent et de l’usage qu’il fait de son ordinateur est adoptée. Elle combine le modèle écologique du développement humain de Bronfenbrenner (1993) et l’approche anthropocentrée de Mahlke (2008) qui s’intéresse plus spécifiquement aux interactions entre l’homme et la machine tout en tenant compte de l’environnement de ces usages et des caractéristiques et des perceptions de l’utilisateur. Il s’agit donc de faire dialoguer l’usage d’instruments informatiques par les élèves, avec ce qui fait leur singularité : leur âge, leurs représentations, leur parcours scolaire, leurs expériences et les multiples interactions qui s’établissent et se tissent entre les différents acteurs des projets de compensation tout au long, autour, et au sein même de leur mise en œuvre.

L’enquête de terrain a pris pour cadre le département de la Savoie. L’accès à des données statistiques de la Maison départementale des personnes handicapées et de la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale a été rendu possible grâce à des conventions signées avec les partenaires. Des listings précis ont été fournis en fonction de plusieurs indicateurs proposés comme filtres au traitement statistique initial. A partir de ces listings, la population d’étude a pu être recensée et une consultation des dossiers de chaque élève concerné a permis une caractérisation des profils.

Par la suite, une première investigation par questionnaires comprenant entre 9 et 13 questions ouvertes et fermées selon le type d’interrogés (voir le questionnaire élève en annexe 1), a concerné 63 collégiens ou lycéens recensés avec des troubles du langage écrit : 40 questionnaires ont été renseignés par les élèves, 41 par leurs parents et 41 par leurs professeurs de français ou de philosophie. S’y est ajoutée l’utilisation de l’Échelle toulousaine d’estime de soi (voir annexe 2) mise au point par Oubrayrie, De Léonardis et Safont (1994), échelle composée de 60 affirmations formulées positivement ou négativement à propos desquelles l’adolescent est appelé à se prononcer. Il s’agit d’une méthode introspective qui permet à l’adolescent de s’évaluer sur différents domaines : social, physique, scolaire, projectif et émotionnel.

Des entretiens semi-dirigés, au nombre de 45, ont également été réalisés avec 13 élèves, 12 mères de famille (dont l’une est présidente d’association de parents), 13 professeurs, 3 ergothérapeutes et 4 enseignants référents, dans le but d’obtenir une photographie du contexte des projets de compensation, avec leurs facilitateurs et obstacles, et afin de recueillir des discours situés permettant de mieux connaître les usages et les représentations des acteurs. De plus, 14 élèves ont été soumis à des tests de lecture et d’écriture effectués avec et sans appui des aides technologiques afin de mesurer la plus-value de ces outils.

Les données collectées grâce à ce dispositif méthodologique donnent lieu à une analyse à la fois quantitative (cotation des points aux questionnaires, temps d’exécution des tâches de lecture et écriture, dénombrement des erreurs de lecture, des mots et erreurs d’écriture) et qualitative (analyse thématique des questions ouvertes des questionnaires et du contenu des entretiens). Par ailleurs, une analyse statistique des données lexicales des entretiens est couplée à l’analyse de contenu et un procédé de triangulation amène à considérer les différents points de vue des acteurs autour d’une même variable.

Résultats

Trois objectifs dirigent la présentation des résultats de cette recherche : définir les caractéristiques personnelles des élèves ayant bénéficié d’outils informatiques, considérer l’environnement dans lequel l’usage de ces outils s’est opéré et rendre compte de leur efficience pour compenser les difficultés des élèves dyslexiques en langage écrit.

Les profils des élèves

L’analyse des usages des aides technologiques par les élèves, effectuée à partir des réponses aux questionnaires permet de les classer en trois groupes : les utilisateurs en classe et à domicile, les utilisateurs à domicile uniquement et les non utilisateurs. Ils ont en commun un fort taux de redoublement, des difficultés en lecture et particulièrement en compréhension, des difficultés orthographiques et des problèmes de lenteur et de mémorisation. Les élèves utilisateurs se démarquent des non utilisateurs par un usage antérieur de l’informatique. Les élèves utilisateurs des outils informatiques en classe sont ceux qui ont les profils les plus complexes, cumulant notamment la dyslexie à des difficultés praxiques. Ils ont aussi une estime de soi générale plus faible par rapport aux deux autres groupes.

Parmi les différents obstacles à l’usage des outils informatiques mis en avant par tous les interviewés, la crainte de la stigmatisation ressort comme le principal frein. Si les parents en témoignent déjà dans les questionnaires, ce sont les entretiens avec les élèves qui offrent le plus de données quant à ce sujet, comme l’illustre ce témoignage d’élève : « En fait, je me sentais pas normale déjà, j’avais l’impression euh ben je sais pas d’être vraiment handicapée, quoi ! Et en fait euh voilà j’avais l’impression de (.) justement avoir l’ordinateur ou avoir des aides c’était pas juste par rapport aux autres »

Le trouble rendu visible au regard des autres par le recours à un ordinateur à titre individuel entraîne une difficulté de la part des élèves dyslexiques à jouir de leurs outils de compensation parce qu’il les distingue, les isole ou attire l’incompréhension des pairs.

Les soutiens

Une analyse des soutiens dont les élèves ont pu bénéficier au sein des questionnaires et des entretiens de tous les acteurs montre que ceux qui ont disposé le plus d’aide sont ceux qui utilisent désormais le plus couramment leur matériel informatique, notamment en classe. Les parents occupent une place prépondérante dans l’aide apportée aux jeunes dyslexiques puisqu’ils sont cités par la moitié des élèves interrogés.

Sur 41 enseignants ayant répondu au questionnaire, seulement 11 ont suivi des élèves qui utilisaient leur ordinateur en classe. Parmi ces 11 enseignants, seule la moitié d’entre eux environ estime que le fait de compter un élève utilisant du matériel informatique à titre compensatoire dans la classe a altéré son enseignement. Les principaux changements opérés dans la conduite de classe se situent autour de la gestion de l’espace de la classe avec le placement des élèves dyslexiques près d’une prise électrique et une mise à disposition d’une table supplémentaire.

Par ailleurs, parmi l’ensemble des adaptations pédagogiques proposées aux élèves dyslexiques et exposés lors des entretiens avec les enseignants, la plupart vont dans le sens d’une aide aux élèves et non dans le sens d’un usage de leur matériel informatique. Les enseignants cherchent davantage à adapter les tâches proposées aux élèves (allègement des exercices, octroi de temps supplémentaire), plutôt qu’à faciliter l’emploi de l’ordinateur et de ses logiciels qui réclame une organisation spécifique avec l’élève pour le transfert de supports numérisés et une connaissance et une maîtrise des technologies numériques. Il apparaît aussi que l’usage du numérique ne supplante pas le travail sur cahier ou classeur ; tous les élèves de l’étude utilisant de manière effective leurs outils technologiques fonctionnent avec les doubles supports : papier et numérique.

La plus-value des usages

A partir des tests de lecture et d’écriture effectués par les élèves, si l’on se place du point de vue de l’analyse des performances des outils informatiques, on constate une certaine hétérogénéité des résultats. En effet, le recours à un logiciel de synthèse vocale, qui propose un retour vocal du texte écrit, permet à un peu plus de la moitié des élèves dyslexiques testés d’être plus rapides dans la découverte du texte car son déchiffrage est facilité ou pris en charge par la machine. Il est donc moins coûteux, la relecture est par ailleurs favorisée et le maintien en mémoire des informations entendues plus aisé. Toutefois, on constate un certain nombre d’obstacles à une meilleure compréhension du texte lu, comme les difficultés d’ordre lexical, syntaxique ou inférentiel que l’usage des outils informatiques ne permet pas de dépasser.

Par ailleurs, si les élèves présentent des difficultés d’ordre exécutif, c’est-à-dire des difficultés à planifier la tâche à accomplir, à mémoriser ou à maintenir leur attention, alors les bénéfices de l’outil sont nettement amoindris voire nuls. Les données recueillies au cœur des entretiens avec les élèves et leurs parents montrent aussi que le manque de confiance en soi et en sa capacité à résoudre la tâche, le défaut d’acquisition de stratégies d’utilisation de la machine dans une activité de lecture ou encore, l’intolérance à la voix de synthèse sont aussi des limites à l’efficacité de l’aide technologique, comme en témoigne cet élève : « Voilà ben ça j’aime pas du tout. C’est une voix robotisée, j’aime pas du tout, voilà. (...) c’est très carré, c’est, voilà j’aime pas. J’aime vraiment pas l’utiliser. Je l’ai utilisée une, deux, trois fois mais j’ai jamais aimé en fait ».

Au plan du langage écrit, le recours au traitement de texte assorti de son correcteur, ou l’usage du logiciel de reconnaissance vocale, logiciel qui transcrit le discours oral de l’élève, permet aux élèves de travailler plus longtemps sur leur écrit et de fournir des productions écrites plus longues. Ils sont libérés du geste graphique qui peut être problématique pour certains d’entre eux et sont moins gênés par les difficultés orthographiques, souvent coûteuses d’un point de vue cognitif. De plus, on constate une meilleure correction orthographique des textes écrits mais ce constat doit être nuancé quand les propositions orthographiques initiales de l’élève sont trop éloignées du mot correctement écrit, rendant caduques les solutions proposées par le correcteur orthographique.

Néanmoins, les entretiens avec ergothérapeutes et les parents d’élèves montrent que la plus-value des aides technologiques en écriture dépend de l’acquisition par les élèves d’une vitesse de frappe proche ou supérieure à leur vitesse d’écriture manuelle ou d’une maîtrise suffisante de la dictée vocale. Elles sont aussi corrélées à une motivation certaine de la part des élèves à recourir à ce type d’outils pour écrire et à l’acquisition de stratégies de relecture qui peuvent être initiées et apprises en classe ou lors de séances rééducatives aux côtés d’ergothérapeutes.

En ce qui concerne la correction syntaxique, les performances sont inférieures à celles de la correction orthographique. Ceci s’explique par la faible efficacité du correcteur intégré au traitement de textes sur cet aspect de l’écrit et met en évidence la nécessaire élaboration de stratégies de révision de l’écrit par l’élève en prenant appui sur les logiciels de lecture notamment.

Dans le cadre de tâches complexes, l’ordinateur et ses logiciels sont davantage à considérer dans leur dimension instrumentale, c’est-à-dire des aides à l’expression des multiples compétences que réclament les activités de lecture et l’écriture, plutôt que dans leur dimension prothétique, c’est-à-dire soulageant et prenant en charge l’ensemble de ces activités. Cela revient à dire que l’efficacité des outils proposés repose non seulement sur l’acquisition par l’élève de compétences informatiques mais aussi sur une identification claire de ses points d’appui, de ses faiblesses pour adapter, moduler et développer une expertise de cet usage pour répondre à ses besoins et donc améliorer ses compétences. Sans cela, l’accessibilité aux apprentissages par ce type d’outils est mise en péril et l’usage des aides technologiques vécu comme un fardeau. En effet, les résultats issus de l’analyse lexicométrique du contenu des entretiens soulignent combien les expériences des élèves sont caractérisées par la peur, l’isolement, l’insatisfaction, mais aussi par la détermination, la colère et par la défaite.

Discussion

La mobilisation des savoirs scientifiques déployés autour des parcours scolaires et des profils des jeunes dyslexiques couplée à nos résultats de recherche a permis de constituer un vivier de connaissances. C’est à partir de celui-ci qu’il est possible de distinguer quatre axes fondamentaux de la mise en place et de l’usage des aides technologiques par les adolescents dyslexiques en classe.

La dimension technologique et matérielle

La reconnaissance et la maîtrise des contraintes de l’ordinateur, du point de vue logistique ou manipulatoire, sont des préalables incontournables à une bonne mise en œuvre du projet de l’élève. Au cours de ce temps d’appropriation plus ou moins long selon les élèves, se construit une aisance dans la manipulation de l’objet mais s’établit aussi une familiarisation voire une accoutumance à la présence de celui-ci.

La dimension humaine

Il apparaît que ce sont les élèves qui ont pu bénéficier d’un accompagnement qui parviennent le mieux à faire usage de leur outil de compensation, notamment en contexte de classe. Ces mesures d’accompagnement reposent sur la nécessaire concertation des participants au projet, leur compréhension et leur conviction du bien-fondé de leur soutien et leur adhésion à un objectif commun, à savoir l’appropriation par l’élève d’outils informatiques pour favoriser l’expression de ses compétences et développer son autonomie.

Cet accompagnement doit être continu, progressif et modulaire, c’est-à-dire évoluant en fonction des besoins d’apprentissage, des compétences technologiques développées par l’élève utilisateur et des contextes d’utilisation. Il nécessite aussi la mise en place de canaux de transmission des évolutions du jeune entre les professionnels et en lien avec la famille et l’élève lui-même.

La dimension pédagogique

L’accompagnement des enseignants oscille entre des mesures adaptatives dites « universelles » (Rose et Meyer, 2002) et des mesures plus spécifiques, en direction unique de l’élève dyslexique pour faciliter son usage de l’ordinateur dans des activités de lecture et d’écriture. Toutefois, ce soutien peut être mis à mal par le défaut de connaissance des enseignants des outils attribués à l’élève, leur manque de maîtrise technologique, des difficultés organisationnelles mais aussi des représentations qu’ils nourrissent de la dyslexie et des nouvelles technologies dans le cadre des apprentissages scolaires.

Ainsi, la mise en œuvre du projet de compensation est difficilement réalisable si les besoins spécifiques des élèves n’entraînent aucune modification du cadre pédagogique existant. Elle nécessite une conduite du changement, c’est-à-dire une transformation des pratiques enseignantes pour la réussite de tous les élèves (Bergeron, St-Vincent et Rousseau, 2014).

Il s’agit donc pour les enseignants de rendre accessibles les apprentissages tout en facilitant le recours aux outils informatiques et donc de proposer des activités et des supports adaptés qui encouragent directement l’usage de ces outils et indirectement l’apprentissage du langage écrit. Il réclame aussi une évolution des indicateurs pédagogiques auxquels les enseignants se réfèrent habituellement. Les pratiques inclusives ne relèvent pas seulement d’une adaptation des pratiques habituelles mais bel et bien de l’élaboration et de la reconnaissance par les enseignants d’un nouveau cadre de références. Ceux-ci sont amenés à identifier les nouvelles compétences que l’élève dyslexique pourrait développer dans des situations d’apprentissage prenant appui sur les outils informatiques.

La dimension symbolique

L’usage des aides technologiques en classe met en lumière un processus au cours duquel le regard des pairs participe de l’acceptabilité des outils et où la réponse à des besoins spécifiques considérés comme exclusifs se heurte au besoin d’appartenance au groupe-classe de l’adolescent dyslexique. La peur de la stigmatisation est dominante chez les élèves dyslexiques et freine de manière notable l’usage de l’outil en classe.

Ce rapport houleux que certains nourrissent avec la machine interroge la manière dont l’élève vit sa situation de handicap, l’espace ténu qui sépare la difficulté scolaire de la dyslexie, l’instauration d’un contexte d’usage dans lequel la singularité est vécue comme une tare et où l’individuel ne peut que difficilement se conjuguer avec le groupe.

Le contexte éducatif inclusif est donc un contexte qui ne s’établit pas au nom d’une déficience qui circonscrirait l’approche et le regard portés sur l’élève mais doit pouvoir permettre à celui-ci de recouvrer une juste image de lui-même et parier sur sa réussite. Il implique la conception de scénarii pédagogiques au sein desquels la mise en œuvre du projet de compensation ne relève plus uniquement d’une solution technologique aux besoins d’un seul élève. Il conduit davantage à un enrichissement des situations d’apprentissage en diversifiant les modalités des interactions entre les élèves, en ouvrant de nouvelles voies de collaboration et en faisant des élèves habituellement en difficulté de nouvelles possibilités de ressources.

Conclusion

Si ces résultats ont permis de dégager quelques points d’éclairage quant à l’efficacité des aides technologiques pour accéder au langage écrit, il est aussi apparu combien de multiples facteurs tant personnels qu’environnementaux influençaient les performances de l’élève, et tout simplement sa propension à utiliser son ordinateur en classe.

Le projet de compensation de l’adolescent dyslexique s’inscrit donc dans la durée tant par l’acquisition de savoirs multiples autour et avec la machine, que par la transformation des attitudes et des représentations des accompagnateurs et de ceux qui sont témoins de cet usage sans pour autant y prendre part. Si l’on ne veut pas prendre le risque de créer pendant encore longtemps de la désillusion et de laisser les plus fragiles sans réponse alors qu’institutionnellement, les engagements en termes de moyens de compensation sont estimés honorés, comment concevoir et réfléchir des usages situés des objets technologiques dans le cadre des projets de compensation des élèves en situation de handicap ?

Références

Annexe 1 : questionnaire adressé aux élèves

Annexe 2 : questionnaire de l’échelle toulousaine de l’estime de soi

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