Pour citer cet article :
Queyriaux Laura (2016, décembre 14). Le tutorat et les tuteurs à distance : un nouvel accompagnement ? Adjectif.net [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article418
Résumé :
Avec le développement du numérique, le tutorat à distance connaît un regain d’intérêt important. Son objectif principal est de permettre à des apprenants d’acquérir des connaissances, principalement dans des situations de formations ouvertes et à distances. Ces nouveaux tuteurs jouent des rôles multiples d’accompagnement et d’entraide. Pour cela, plusieurs outils de communications sont utilisés, afin de faciliter les échanges.
Mots clés :
Formation à distance, Formation des adultes, TIC - Technologies - Numériques, Tutorat
En 2000, Geneviève Jacquinot-Delauney évoquait le tutorat comme étant une « pièce maîtresse et pourtant parent pauvre des systèmes et dispositifs de formation à distance ». Selon Jacky Caillier (2000), cette notion de tutorat est généralement associée au pédagogue tchèque, du XVIe siècle, Coménius, qui avait pour principale volonté de réduire le travail des instituteurs, dans des classes chargées. Par conséquent, Coménius choisissait les meilleurs élèves afin d’aider ceux présentant des difficultés, pour permettre, à chacun, un accès plus facile aux apprentissages.
Nous vivons actuellement dans une société dite du « numérique » et la notion de tutorat a évolué. L’objectif est plutôt de proposer des formations ouvertes et à distance, pour répondre à des besoins d’apprentissages en offrant aux apprenants de nouvelles méthodes pour apprendre. Cet enseignement à distance s’appuie, notamment, sur les usages des technologies, avec, par exemple, l’arrivée de tuteurs virtuels, c’est-à-dire de personnes qui facilitent les interactions entre apprenants, tout en permettant un apprentissage à distance, afin d’éviter l’isolement des apprenants, comme le souligne Michel Lisowski (2010).
Le tutorat est toutefois un terme ancien. Comme évoqué précédemment, dès le XVIe siècle, Coménius l’évoquait afin de réduire le travail des enseignants. Selon Thierry Bedouret (2003), c’est au cours du 18e siècle qu’Andrew Bell initie à la pratique d’enfants-instructeurs, permettant à ces derniers d’acquérir un certain statut et de favoriser l’entraide entre les enfants. Le 19e siècle voit l’essor du tuteur en Angleterre, qui devient un professionnel universitaire, afin d’aider individuellement les enfants en difficultés.
Le développement de l’enseignement à distance a conduit à un développement du tutorat. Il serait donc intéressant de comprendre comment mettre en place un accompagnement spécifique de ces tuteurs intervenant à distance, qu’on pourrait qualifier de « virtuels » ?
Les caractéristiques des tuteurs à distance restent encore floues par manque d’informations sur ces derniers. En effet, les tâches sont diversifiées, les tuteurs représentent différents statuts, il n’y a pas de formation précise et leurs rôles ou fonctions sont variés. Ainsi, la notion de tuteur peut être extrêmement large par les diverses définitions que l’on peut trouver.
2.1 La formation des tuteurs à distance
Il existe une multitude de fonctions assurées par les tuteurs à distance. Ils peuvent être des enseignants, des chercheurs, des professionnels de la discipline concernée, etc.
Actuellement, en France, il n’y a pas de formation pour ces tuteurs, qui apprennent généralement sur le tas. Dès lors, chacun peut mettre en place son propre fonctionnement. Néanmoins, il existe quelques formations qui incluent la fonction tutorale, comme la formation européenne Net-Trainers (Glikman, 2011).
Alix Creuzé (2009) évoque la création d’une formation qui serait intitulée « Devenir tuteur dans un dispositif à distance ». L’idée est de faciliter l’appropriation des nouvelles technologies par les enseignants, d’accompagner les étudiants tout au long de leur formation, et d’accroître les échanges entre tuteurs et étudiants. En effet, ces derniers auraient la possibilité de réaliser des travaux de groupe, et les tuteurs pourraient échanger avec d’autres tuteurs, notamment dans leur domaine de prédilection, sur leur façon de fonctionner ou sur des échanges de cours.
2.2 Les rôles et fonction de ce nouvel accompagnement
Il est difficile de considérer les tuteurs à distance comme ayant un métier, malgré les nombreux rôles et fonctions qui leur sont attribués. En effet, la fonction de tuteur est très récente dans le champ éducatif. On le retrouve généralement dans les universités, où les formations à distance ne cessent de se développer. Ainsi, divers rôles leur sont associés, comme apporter un soutien didactique, méthodologique, métacognitif aux apprenants ; mais aussi une aide sociale, personnelle, technique (face aux nouvelles technologies), spécialisée (pour les étudiants présentant des difficultés) mais également de permettre aux étudiants de rencontrer d’autres étudiants, faciliter la communication grâce aux travaux collectifs, afin d’éviter tout isolement personnel, qui est l’une des premières causes d’abandon. Néanmoins, chaque tuteur peut avoir sa propre organisation. Les attentes sont ainsi différentes en fonction de chaque personne, comme le soulignent Depover, De Lievre, Peraya, Quintin et Jaillet (2011).
Finalement, comme le précise Jacques Rodet (2007), les tuteurs peuvent intervenir dans des champs bien particuliers. Il distingue divers rôles : agir sur les plans cognitif, socio-affectif, motivationnel et métacognitif, rompre l’isolement afin d’éviter l’abandon, « encourager et féliciter », lui permettre de devenir autonome tout en organisant un travail collaboratif, permettant la collaboration entre étudiants.
2.3 L’importance des compétences et des modes d’intervention
Il existe néanmoins d’autres instruments de communication, utiles aux tuteurs, qui peuvent être synchrones ou asynchrones. La communication synchrone permet aux tuteurs et aux apprenants d’entrer en communication, comme le téléphone ou encore la messagerie instantanée. La communication asynchrone nécessite plus de temps avant d’avoir une réponse de chaque participant, comme les mails, les forums ou encore les blogs.
3.1 L’exemple de la France et de l’Europe
Il est encore difficile aujourd’hui de considérer le tutorat à distance comme étant un métier en France. Certes, il n’y a pas de formation spécifique reconnue, comme le souligne V. Glikman (2011), ce qui n’empêche pas aux tuteurs d’acquérir des connaissances importantes. Il s’agit principalement de personnes volontaires, qui exercent une activité temporaire, qui accompagne l’emploi principal du tuteur. Dans les universités, il n’y a pas de communauté, de convention, de groupements.
Dans les pays européens, il existe un développement plus ou moins important des activités professionnelles de tutorat. Prenons l’exemple de trois pays, qui sont des pays développés en termes de numérique, mais qui ont un développement différent.
Commençons par l’Espagne, où il existe l’UNED (Université Nationale d’Enseignement à Distance). Il s’agit d’une université entièrement à distance, qui a été créée en 1972, et est reconnue par l’Education Nationale. Les tuteurs sont rémunérés et engagés par les centres annexes dans lequel ils travaillent et exercent. Ils devront orienter, guider, aider leurs étudiants dans leurs choix personnels mais également pour les travaux de groupes. Les tuteurs sont généralement des enseignants de l’université, et parfois des étudiants. Cette université peut fournir des licences, des Master et des doctorats, comme le précise le site de l’université.
Il existe également une université à distance au Royaume-Uni, l’Open-University. Elle délivre des licences, masters et doctorats, à des étudiants principalement d’Angleterre mais également d’autres pays européens, africains ou encore asiatiques. L’enseignement à distance se fait grâce à internet, la télévision ou tout autre moyen. Sachant que les étudiants peuvent parfois être loin physiquement, les tuteurs soutiennent leurs étudiants grâce au téléphone, aux mails ou par des séminaires. Les tuteurs ont pour objectif d’accompagner les étudiants tout au long de l’année, en les aidants, leur donnant des conseils et en les accompagnants dans les projets et les exercices à faire.
Finalement, l’Italie est l’un des pays où l’on ne trouve pas d’université à distance et où ce tutorat connait des difficultés à se développer. En effet, il y a très peu d’universités proposant un enseignement à distance. Cependant, voyant la démocratisation de l’enseignement à distance, certains étudiants italiens ont souhaité mettre en place une série d’actions afin d’augmenter la distance dans l’enseignement. Dès lors, la CUD (Consorzio per l’Università a Distanza) propose des licences entièrement à distance et une partie d’enseignements à distance. Il existe donc très peu de tuteurs à distance ; ce sont principalement des enseignants volontaires des universités, qui accompagnent et soutiennent leurs étudiants.
3.2 Un projet européen : la recherche ATLASS
Viviane Glikman (2011) présente la recherche ATLASS (Supporting adult learners to achieve success), qui est un projet européen, initié entre 1997 et 2000 [1]. Elle a été menée dans trois pays, qui sont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni afin de répondre à deux principaux objectifs. D’une part, elle s’orientait sur les différentes conceptions associées à la notion de tuteur dans ces trois pays. D’autre part, elle souhaitait analyser les différences entre ces trois pays.
Pour cette recherche, des entretiens ont été menés et ont permis de mettre en place deux groupes. Le premier groupe est celui des apprenants, caractérisés principalement par leur motivation face à la difficulté du travail autonome. Dès lors, quatre groupes d’apprenant ont été créés : les déterminés, les marginaux, les hésitants et les désarmés. Ces apprenants ont pour tous comme volonté d’enrichir leurs connaissances et d’apprendre, afin de se perfectionner dans la filière ou le domaine choisi.
Le deuxième groupe est celui des tuteurs, eux-mêmes regroupés en quatre groupes, qui sont dénommés les formels (qui cherchent l’acquisition de connaissances), les compatissant(e)s (principalement des femmes centrées sur l’acquisition de connaissances), les challengers (issus généralement de formations académiques) et les post-modernes (cherchant un développement personnel). L’activité de ces tuteurs varie en fonction de plusieurs variables.
Pour commencer, « l’idéologie pédagogique des dispositifs de formation » souligne l’importance du développement de l’apprenant, de sa capacité d’autonomisation, c’est-à-dire l’ensemble des aides ou conseils que le tuteur pourra transmettre à ses apprenants. Puis, « la formation première des tuteurs et à leur expérience professionnelle » : chaque tuteur a suivi une formation différente (formation académique, formation sur le terrain, formation en entreprise…) et n’aura donc pas le même positionnement (instructeurs, accompagnateurs, guide…). Finalement, la dernière variable est « la satisfaction des tuteurs par rapport à l’exercice d’une fonction tutorale ». L’idée est de souligner que les tuteurs peuvent avoir des statuts, conditions de travail ou rémunération qui diffèrent, ce qui peut jouer sur leur investissement.
3.3 D’autres projets : La télé-université du Québec
Créée en 1972, cette université est entièrement à distance. Elle accueille aujourd’hui plus de 18.000 étudiants et emploie 150 tuteurs à distance. La TELUQ ne recense que 20% de tuteurs à distance à temps plein. Plusieurs critères de sélection sont demandés tels que des connaissances, des compétences et des savoirs disciplinaires, le baccalauréat et parfois, une maîtrise, comme le précise le site officiel de la TELUQ. Certains ont reçu une formation mais n’ont aucune qualification en termes de tutorat à distance puisqu’il n’existe pas de formation spécifique. Contrairement à la France, le tutorat à distance peut être considéré comme étant un métier. Pour autant, il existe un syndicat « des tuteurs et tutrices » auquel il est obligatoire d’adhérer. Ils sont ainsi reconnus en tant qu’enseignants et ont une convention collective, comme le souligne Viviane Glikman (2011).
La notion de tuteur à distance est très récente en France et a pour objectif principal d’aider les étudiants en difficulté, en apportant une aide méthodologique (concernant notamment l’utilisation des technologies), psychologique et affective. Mais par manque de formation, il est vraisemblablement difficile de percevoir et concevoir une identité professionnelle.
Mais, les pays tendent à développer les accompagnements dans les formations à distance. La télé-université du Canada est un bon exemple, où l’enseignement ne se fait qu’à distance, et les tuteurs sont reconnus comme ayant une identité professionnelle spécifique. En Europe, l’Angleterre (avec l’Open-University) et l’Espagne (avec l’UNED) sont de bons exemples pour les activités de tutorat à distance. Cependant, ce développement n’est que faible. En effet, certaines de ces formations sont diplômantes, c’est-à-dire qu’elles permettent à des personnes, pour des raisons géographiques, de suivre la formation à distance mais d’être présentes lors des examens afin d’obtenir un diplôme, ce sont notamment les formations à distances que l’on retrouve dans les universités. Il existe également les formations à distance certifiantes, généralement utilisées pour les emplois, qui permettent d’apporter de nouvelles compétences, afin d’améliorer la qualification de l’apprenant. Finalement, comme le souligne Besma Ben Salah (2009), les formations à distance peuvent être une difficulté pour les apprenants ayant un métier prenant, ce qui limite la conciliation entre leur travail et la formation à distance
Bedouret T. (2003), Autour des mots. « Tutorat », « Monitorat » en éducation : mises au point terminologiques. Disponible en ligne : http://ife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/recherche-et-formation/RR043-08.pdf
Ben Salah B., Tuteur de formation à distance : une fonction, des tâches multiples. Disponible en ligne : http://cursus.edu/article/9870/tuteur-formation-distance-une-fonction-des/#.WCBV7TPbLIU
Caillier J., Tutorat entre élèves : un dispositif pour apprendre en communiquant entre pairs. Disponible en ligne : http://maternelles-ia62.etab.ac-lille.fr/public/COMPTES-RENDUS/BOULOGNE-MONTREUIL/Tutorat_entre_eleves__un_dispositif_pour_apprendre_Caillier.pdf
Cecconi L. et PIRIA L., L’enseignement à distance en Italie. Disponible en ligne : http://www.lmi.ub.es/teeode/thebook/files/belga/html/4ital.htm
Creuze A. (2009), Former les tuteurs à distance. L’expérience de l’Institut français de Madrid. Disponible en ligne : http://www.cairn.info/revue-distances-et-savoirs-2010-3-page-447.html
Depover C., De Lievre B., Peraya D., Quintin J.J et Jaillet A. (2011), Activités et responsabilités des tuteurs en ligne. Disponible en ligne : http://ds.revuesonline.com/gratuit/DS9_2_11_lecture_critique.pdf
Eduscol (2008), Notions d’accompagnement et de collaboratif. Tutorat, accompagnement. Disponible en ligne : http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/archives/eformation/notion-accompagnement-notion-collaboratif/tutorat-accompagnement
Glikman Viviane (2011), Chapitre 7. Tuteur à distance : une fonction, un métier, une identité ? Disponible en ligne : https://www.cairn.info/le-tutorat-en-formation-a-distance—9782804163426-page-137.htm
Jacquinot-Delauney G. (2000), Le tutorat : pièce maîtresse et pourtant parent pauvre des systèmes et dispositifs de formation à distance. Disponible en ligne : http://www.inrp.fr/biennale/5biennale/Contrib/194.htm
Lisowski M., L’e-tutorat. Disponible en ligne : http://www.centre-inffo.fr/IMG/pdf/AFP220-4357.pdf
Ralphson P., Le rôle du Tutorat dans l’enseignement en ligne. Le cas de la Licence en ligne de sciences de l’éducation. Disponible en ligne : http://www.memoireonline.com/03/08/996/m_role-tutorat-enseignement-en-ligne-licence-sciences-education-paris-VIII3.html
Rodet J. (2007), Tutorat à distance, une fonction essentielle. Disponible en ligne : http://jacques.rodet.free.fr/xchroete.htm
Rubio Carbo A., L’enseignement à distance en Espagne. Disponible en ligne : http://www.lmi.ub.es/teeode/thebook/files/belga/html/6spain.htm
UNED, Université Nationale d’Enseignement à Distance. Disponible en ligne : http://portal.uned.es/portal/page?_pageid=93,1&_dad=portal&_schema=PORTAL
[1] Glikman Viviane (2011), Chapitre 7. Tuteur à distance : une fonction, un métier, une identité ? Disponible en ligne : https://www.cairn.info/le-tutorat-en-formation-a-distance—9782804163426-page-137.htm