Pour citer cet article :
Djeumeni-Tchamabé Marcelline et Mbodj Mar (2016). Carnet de voyages au cœur des TICE en Afrique de l’Ouest : un exemple de coopération Sud-Sud. Adjectif.net [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article414
Résumé :
A l’heure des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), il y a de plus en plus une nécessité de former des éducateurs pour la formation formelle, non formelle et informelle des jeunes en Afrique francophone. Face aux besoins pressent de constituer rapidement une masse critique suffisante pour l’encadrement de cette jeunesse, des potentialités de ces technologies sont mises en contribution pour la coopération sud-sud entre institutions universitaires de formation avec des perspectives intéressantes pour le développement rapide d’une culture numérique dans deux établissements du Cameroun et du Sénégal.
Mots clés :
Cameroun, Formation d’adultes, Sénégal, TICE
Les observateurs les plus optimistes estiment qu’avec l’ère des nouvelles technologies et des réseaux, il se présente aux pays africains une opportunité sans précédent d’accéder, de profiter, mais surtout de contribuer pleinement à ce nouveau monde basé sur l’information. Selon (Karsenti et Larose 2001), Internet et les TIC en général offrent plusieurs potentialités de communication et de coopération dans le domaine de l’éducation. Entre autres, elles permettent des modes de communication et d’interaction accrus, favorisent « la continuité du temps d’apprentissage, le lien d’échange et de relations pédagogiques à distance, dans toutes les situations où une communication directe peut se révéler utile, etc. » (Mission e-educ 2008). En ce qui concerne particulièrement le développement de la coopération, cette coopération peut prendre deux formes : la coopération stratégique de certains acteurs pour l’accès aux ressources détenues par d’autres acteurs. La coopération est alors définie comme un moyen pour accroître son potentiel et la coopération qui permet de réaliser une mission ou un projet en réponse à un objectif que se fixe une organisation. Selon (Philibert de Divonne ; 2005) ces deux formes de coopération ne sont pas exclusives l’une de l’autre car, toute action de coopération inclut ces deux modalités dans des proportions variables. Dans cette perspective, on peut utiliser les TIC pour transformer les pratiques.
Davantage de coopération pour la mettre au service des objectifs de l’organisation peut devenir un enjeu managérial fort pour les institutions de formation et celles en charge de la formation des futurs éducateurs où « les TIC donnent aussi l’occasion de repenser et de délocaliser, dans le temps et dans l’espace, par le recours aux fonctions synchrones et asynchrones, les échanges entre les personnes et elles ouvrent ainsi de nouvelles avenues pour accroître la participation.” (Baron, 2011) en se faisant, elles contribuent à l’émergence des TIC elle-même (Karsenti, 2004) à celle des acteurs impliqués et à l’amélioration des structures organisationnels des institutions participantes (Djeumeni, 2011)
La coopération SUD-SUD est un concept utilisé surtout par les économistes et les politiciens pour désigner les relations d’échanges entre deux pays en développement situé ou non sur le même continent. Ces échanges sont fondés sur la prise en compte des éléments suivants : infrastructurel, institutionnel, économique et socioprofessionnel ou scientifique.
Or, le développement des TIC en Afrique Subsaharienne souffre d’un contexte scientifique et pédagogique peu favorable (Djeumeni et al, 2014) caractérisé par une carence de ressources humaines formées à ce domaine et des difficultés liées à la mise en œuvre de modalités éducatives basées sur les TIC dues à l’absence de politiques et stratégies dans le domaine et des curricula ou référentiel de formation.
Le contexte institutionnel est celui de la scolarisation politique des TIC. Les TIC font alors l’objet de discours pour leur introduction dans les cursus de formation sans parfois mettre en place des politiques d’acquisition des outils ou sur un plan stratégique plus pédagogique de développement curriculaire et de formation des enseignants (Djeumeni, adjectif, 2008). A côté du politique, le contexte socioéconomique et professionnel global est caractérisé par des ressources insuffisantes avec différentes fractures qui risquent de s’élargir : équité numérique, accès aux outils et aux informations, le développement personnel des acteurs et des populations en général à l’usage des outils numériques, la participation des pays du Sud au développement des contenus. Ces différentes fractures peuvent être des freins au développement de la citoyenneté et à l’exercice de la démocratie au niveau des couches défavorisées (Fonkoua, 2016).
Des actions de coopération à différentes échelles, régionales, locales avec des organisations de la société civile, les institutions financières (Banque Islamique de développement, USAID) les organisations internationales (AUF, Unesco, UNICEF, OIF, UVA, AUA…) des entreprises (Orange, CISCO, MTN) des programmes comme TIKAR, Schoolnet Africa permettent de créer des programmes de coopération pour le développement des TIC. On peut s’interroger sur la façon dont cette coopération multiforme par ailleurs se développe dans le sens SUD- SUD ? Comment naît-elle ? Quelles sont les défis et les besoins qu’elles visent à relever d’une part et par ailleurs à satisfaire ? Qu’en pensent les acteurs impliqués ?
Nous avons effectué une mission dans le cadre de la coopération SUD - SUD et nous vous présentons dans ce texte quelques éléments de cette aventure somme toute enrichissante selon nous par certains points saillants que sont : une meilleure compréhension de l’état des TIC dans la formation des éducateurs au Sud, des mutations qui se profilent à l’horizon dans la francophonie et les formes de coopérations instrumentées qui se mettent en place.
2.1 L’Afrique subsaharienne francophone, la trajectoire Centre - Ouest et la fracture numérique
Au milieu des années 1990, l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) a mis en œuvre des actions en faveur de la lutte contre la fracture numérique. Dans cette institution, les projets de coopération sud -sud concernent la mobilité des enseignants entre universités du Sud. Les enseignants sont identifiés grâce aux réseaux de l’AUF selon leurs compétences et invités à donner des cours pendant une période donnée dans une autre université du Sud. Pour cet appui pédagogique, l’AUF s’occupe des volets financiers qui concernent le voyage, l’hébergement et la nutrition. La mission que nous avons menée entrait dans ce cadre et était essentiellement pédagogique. Elle devait aboutir à quatre actions.
2.2 Action 1 : Élaborer un référentiel commun en TICE pour les deux institutions (Afrique centrale et de l’Ouest)
La Technologie Educative (TE) fait partie des disciplines tardivement intégrées dans le cursus de l’enseignement universitaire de la plupart des pays francophones d’Afrique subsaharienne. Cette tardive introduction dans un contexte marqué par des moyens plutôt limités dont disposent la majorité des universités du continent noir, couplé au manque de ressources humaines, à la rapide évolution reconnue à cette discipline, constituent un désavantage pour le développement d’une ressource humaine qualifiée et compétitive dans le domaine des TIC. (Djeumeni et & ali 2014).
S’agissant des compétences à développer chez les formateurs pour la formation même des formateurs, en Afrique subsaharienne, cette relative jeunesse pose la question, dans un espace francophone comme celui de l’Afrique centrale et de l’ouest, d’un référentiel commun transposable en contexte pour faciliter la mutualisation des rares ressources existantes aux plans humains et infrastructurels. L’option de développement d’un cadre commun apparaît essentielle pour la mutualisation des ressources et la mobilité des enseignants ; C’est ainsi qu’au cours de cette mission sud-sud nous avons évalué les deux curricula des enseignements pour établir des parallèles et viser des profils similaires de formation à Saint Louis au Sénégal et à Yaoundé au Cameroun chez les futurs éducateurs qu’il s’agisse de les préparer au métier de l’enseignement ou plus globalement aux métiers d’éducateurs dans l’ensemble.
En ce qui concerne la méthodologie de travail mise en place, un ensemble de ressources est fourni aux apprenants qui en prennent connaissance et construisent leur culture générale sur la thématique qui est proposée. Les activités sont fournies ensuite pour permettre l’approfondissement des concepts et la résolution des problèmes. Enfin les étudiants sont amenés à produire individuellement ou en groupe des travaux. Les travaux sont alors échangés dans les deux sites et les remédiations ont lieu entre pairs et avec les deux enseignants (étudiants et enseignants).
Ci-dessous : l’esquisse d’un référentiel de formation des éducateurs adapté du modèle de référentiel TIC des enseignants (Unesco, 2008)
Figure 1 : référentiel élaboré
Le référentiel ainsi conçu doit se dérouler en 30 heures dans les deux sites. Les publics cibles sont des futurs éducateurs. Ils entament leurs premières années en éducation et ont néanmoins environ deux à trois ans de formation universitaire dans diverses disciplines. Les profils sont très variables dans les deux groupes. Certains étudiants sont des professionnels en formation continue alors que d’autres sont en formation initiale.
Compte tenu des besoins de ces publics, et de l’organisation disciplinaire du curriculum, un dispositif hybride est mis en place pour les types de contenus retenus pour être enseignés de part et d’autres du Sahara du centre et de l’ouest Ce dispositif comprend d’une part, les cours en présentiel dans les deux universités et des séances synchrones de visioconférences entre les deux classes. Les deux classes et leurs enseignants se connectent ensemble pour échanger sur les productions des apprenants et réaliser ensemble des feedbacks sur les difficultés des étudiants.
Lievrouw et Livingstone (2002) donnent de la technologie éducative une définition multidimensionnelle ; selon ces auteurs, elle comprend :
2.3 Action 2 : relever les défis technologiques (visioconférences, etc…)
La pratique d’une telle coopération nécessite un apport technique et technologique important que les institutions et les parties prenantes essaient de garantir. Cet appui est offert en ce qui concerne le cas de Yaoundé Cameroun par l’AUF et pour le Sénégal, l’Université compte un dispositif de visioconférence au sein même de son campus. Les campus numériques disposent de plusieurs dispositifs de visioconférences et d’une connexion permanente à Internet. Les contraintes de gestion des horaires d’ouverture et de fermeture et la prise en compte du temps de travail pour les personnels nécessitent une programmation et une flexibilité au niveau des emplois de temps des enseignants.
2.4 Action 3 : renforcer les approches innovantes en éducation
Cette approche de travail permet la communication synchrone et est utilisée pour permettre aux étudiants de pratiquer en temps réel leurs compétences technologiques et informationnelles dans une pédagogie se rapprochant de la pédagogie de projet dans l’acception de Meirieu (1996). Les étudiants postent en ligne via la plateforme du cours de l’université Gaston Berger leurs contributions aux différents séminaires, ils utilisent aussi les TIC (forum) pour co- évaluer les productions de leurs pairs, ils sont pris dans des interactions enseignants -étudiants et étudiants -étudiants. En multipliant ces interactions, le dispositif les aide à progresser vers les compétences visées.
L’université est confrontée au défi de renouveler ses méthodes pédagogiques et ses programmes. Ces classes à distance via visioconférences peuvent permettre aux équipes pédagogiques en synchrone de tenir plusieurs étudiants du continent à la fois si ces défis technologiques et organisationnels sont résolus. Ce qui pourrait être une alternative à la massification et aux problèmes d’isolement de la Formation A Distance (FAD) ou FOAD
2.5 Action 4 : renforcer les partenariats
Dans leur version originale, les missions de mobilité d’enseignement, ont une limite dans le temps de généralement 30 jours. Or avec ce dispositif, l’enseignant missionnaire continue d’appuyer et d’accompagner en dehors de la période de mission définie l’institution partenaire. En prolongeant ainsi le temps de mission, il se construit un partenariat effectif et durable entre les parties prenantes et un perfectionnement professionnel conséquent se met en place. Le renforcement du partenariat se met en place à travers les liens entre chercheurs et institutions. Ce volet s’inscrit dans la mobilité des enseignants et des chercheurs et sert de mission d’appui et d’enseignement. Une feuille de route est communiquée aux étudiants par les échanges un réseau se met en place entre pairs. Le développement des réseaux sert “... à valoriser et à promouvoir le développement de la science en français” et notamment dans le domaine des TICE
Au cours de la rentrée académique prochaine, le dispositif ainsi élaboré sera effectivement testé avec les deux groupes d’étudiants. En attendant, une hypothèse qui se dégage est que les TIC utilisés judicieusement permettent d’accroître le potentiel de l’éducation affirmait Kofi Annan. Ce constat se justifie aussi bien dans le cas de la coopération entre université du sud qui vivent presque à l’identique les mêmes problèmes et qui souhaitent les résoudre ensemble et globalement. La coopération sud-sud apparaît ainsi comme un potentiel à exploiter pour améliorer rapidement l’encadrement des jeunes - chercheurs doctorants déjà en activité dans les universités du Sud. En s’appuyant sur de tels dispositifs on en tire au moins trois (3) gains :
La coopération permet d’optimiser le potentiel des organisations de formation des éducateurs. Ils peuvent ainsi à la fois atteindre un double objectif à savoir premièrement un objectif de formation des étudiants et en même temps, deuxièmement de développement professionnel des ressources humaines. Le professionnel ne quitte pas sa classe et en même temps sur le plan pratique continue sa formation permanente et son développement professionnel.
La recherche doctorale dans ce contexte s’appuie sur les éléments de pratique de sorte que la formation recherche et la formation professionnelle se rejoignent pour soutenir les jeunes -chercheurs au sud du Sahara qui veulent s’orienter vers la recherche doctorale en TICE car l’encadrement de la formation universitaire et de la recherche en TICE est un processus complémentaire. Les mobilités de mission d’appui et d’enseignement pourront ainsi s’ajouter un volet accompagnement de jeunes - chercheurs pour rendre les institutions rapidement autonomes. Les institutions de formation des éducateurs au sud du Sahara sont des institutions qui ont peu de moyens financiers pour la recherche, la coopération stratégique pourrait dans ce cadre améliorer les réseaux de recherche en TICE mettre en place des projets de manifestations scientifiques, de colloques, de publications et de se perfectionner pour effectuer une recherche dans le domaine des TICE. Le chercheur - junior, le développement de la francophonie, la recherche, la coopération et la valorisation du patrimoine scientifique de l’Afrique à travers des publications, le partage et la solidarité comme principe de la coopération internationale en francophonie trouveront ainsi leur place
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