Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Enseigner avec le jeu vidéo 

L’exemple de la mise en réseau d’oeuvres et de personnages en classe de CM2
vendredi 10 juin 2016 L. Hien

Pour citer cet article :

Hien, L., (2016). Enseigner avec le jeu vidéo. L’exemple de la mise en réseau d’oeuvres et de personnages en classe de CM2. Adjectif.net [En ligne]. Mis en ligne le 10 juin 2016. URL : http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article397

Résumé :

Cette contribution, synthèse d’un mémoire de master "Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation", présente les résultats d’une séquence pédagogique pluridisciplinaire dans une classe de CM2 portant sur les figures du Mal, et qui s’appuie sur les sciences du jeu et les travaux littéraires de Catherine Tauveron.

En exploitant le jeu vidéo comme point de départ de cette séquence via l’exemple de la série Final Fantasy, cette recherche pose la question de la légitimité du jeu vidéo en tant qu’outil pédagogique afin d’aborder les enjeux littéraires et artistiques de la mise en réseau d’œuvres et de personnages. Il s’agit également d’observer en quoi les apports pédagogiques mis en évidence par les sciences du jeu favorisent cet apprentissage.

Mots clés :

école élémentaire, jeu vidéo, Stéréotype

Introduction

Les programmes d’enseignement de l’école élémentaire entrant en vigueur à compter de la rentrée scolaire 2016 fixent, parmi les objectifs d’apprentissage du français, la compréhension et l’interprétation de textes, de documents et d’images, ainsi que la constitution d’une « posture d’auteur ». Or, la mise en évidence de réseaux artistiques est un outil important au service de ces deux objectifs : « toute compréhension suppose une mise en relation » selon Catherine Tauveron (2003). Cette mise en relation peut s’articuler autour du genre ou d’un personnage-type, et fournir un matériau culturel de référence pour l’élève dans le cadre d’une production d’écrit.

Cette recherche est centrée sur un exemple de mise en réseau autour de personnages-types, les figures du Mal. Pour point de départ de ce travail, j’ai choisi la série vidéoludique Final Fantasy. Née en 1987, cette série de jeux de rôle japonais a vu sa narration s’enrichir avec l’évolution technique des générations de consoles successives, et compte de nombreuses figures antagonistes exploitables dans cette activité de relation. Ce choix a pour principal intérêt de s’interroger sur l’exploitation du jeu vidéo dans l’enseignement, à la fois sur sa légitimité culturelle et pédagogique et sur la façon de l’utiliser.

Cadre de référence

Cadre théorique

Cette problématique s’inscrit dans le domaine des « game studies », les sciences du jeu, qui ont émergé dans les années 1980 et qui cherchent notamment à analyser les rapports complexes entre jeu vidéo et joueurs. Il s’agit à la fois de répondre aux questions de la violence et de l’addiction, et de souligner ses possibilités en matière d’éducation ou d’information. Pour Serge Tisseron (2008), « les jeux vidéo ont longtemps été accusés de tous les maux, jusqu’au moment où l’idée est venue de s’intéresser non seulement à leurs dangers, mais aussi à leurs formidables possibilités éducatives. Car ils ne manquent pas d’atouts ». Il fait alors référence aux jeux sérieux, des jeux vidéo conçus en premier lieu pour éduquer, entraîner, informer ou promouvoir un produit commercial ou une idéologie de façon ludique, et qui contribuent à une autre vision du jeu vidéo, utile et instructif, au-delà de l’image négative qui peut se dégager des polémiques dont il souffre.

Le jeu vidéo suscite effectivement de nombreuses idées reçues : évoqué régulièrement suite à des drames criminels comme la fusillade de Columbine, il apparaît comme un loisir violent et addictif, pratiqué principalement par des joueurs adolescents masculins aux relations sociales fragiles. Le Syndicat National du Jeu Vidéo s’est cependant appuyé sur la réalité du marché vidéoludique pour combattre ces stéréotypes : sur son site internet, le syndicat précise en effet que 70 % des jeux édités sont en effet destinés à de jeunes enfants, et l’émergence des nouvelles plateformes tels les smartphones ou les tablettes ont diversifié les pratiques du jeu vidéo. Celui-ci s’adresse à un public plus large, et le joueur moyen est actuellement une femme d’une quarantaine d’années.

Pour guider les consommateurs face à la variété de jeux proposés, l’industrie vidéoludique a mis en place des outils de prévention à destination des consommateurs, notamment des parents : en Europe, le système de classification PEGI fournit ainsi pour chaque jeu des indications sur l’âge conseillé et sur la présence de contenus susceptibles de choquer tels que la violence physique ou verbale. Quant à la question de l’addiction, Serge Tisseron corrige en évoquant plutôt la « pratique excessive » de certains joueurs, l’addiction relevant de pathologies précises, alors que la science n’a pas démontré d’addiction au jeu vidéo comparable à celle suscitée par les drogues ou l’alcool. Valleur (2009) estime également « qu’il n’y a pas de vraie définition objective possible de l’addiction » dans le cas de la cyberdépendance, mais propose de la définir subjectivement comme l’état de souffrance du joueur incapable de mettre un terme à sa pratique vidéoludique, bien qu’il ait conscience qu’elle soit excessive et peut lui porter préjudice. Selon Braga et Calazans (2001), la source de cette controverse est la méconnaissance encore importante du jeu vidéo. L’école a alors pour rôle de répondre à « une attente en matière d’éducation » devant l’émergence de ce nouveau média.

Plusieurs études ont mis en lumière que le jeu vidéo favorisait la construction de compétences cognitives chez l’élève. Durkin et Barber (2002) ont montré que la grande diversité de situations problèmes au sein des jeux d’énigme et d’aventure affinait la perception spatiale, la réflexion stratégique, l’aptitude à résoudre des problèmes, la planification ou essai d’hypothèses. The Legend of Zelda, l’une des séries vidéoludiques principales de Nintendo, met à disposition du joueur de nombreux outils, de l’arc au boomerang. Le joueur, en découvrant de multiples façons de les utiliser, s’engage face à un obstacle dans un processus reprenant un déroulement similaire à la démarche d’investigation notamment mise en œuvre à l’école dans les disciplines scientifiques : la motivation, liée à la progression dans l’aventure, la problématisation, où le joueur évalue l’endroit à atteindre et l’obstacle à surmonter, la recherche en examinant les ressources disponibles (dans l’exemple de The Legend of Zelda, il s’agit d’objets aux facultés diverses, comme le boomerang, l’arc ou encore le grappin), la confrontation, en constatant la réussite ou l’échec d’une stratégie, et la terminaison, où le joueur prend conscience des possibilités de la ressource employée afin de les transférer dans d’autres situations.

Or, une compétence acquise est une compétence transférable. La progression dans le jeu, en plus de favoriser l’autonomie et l’autodiscipline, permet au joueur d’auto-évaluer le développement de ses compétences. En France, utiliser les jeux vidéo est une pratique encore peu répandue ; elle l’est davantage aux Etats-Unis et en Ecosse, souligne Arthur Jauffrey (2011). Derek Robertson (2007) relativise toutefois l’émergence des jeux sérieux, ces jeux conçus avec une visée pédagogique qui prend le pas sur l’aspect ludique. Selon lui, un partenariat entre les professeurs et les professionnels du jeu vidéo permettrait de concevoir des jeux adaptés pour un transfert de compétences vers des situations réelles en respectant le plaisir du joueur. S’inspirant de ces travaux, l’Education Nationale donne alors sa place au jeu vidéo dans ses instructions officielles.

Contexte institutionnel

Les textes officiels légitiment l’utilisation du jeu vidéo dans l’enseignement de l’Histoire des Arts : le Bulletin Officiel n°32 du 28 août 2008 est rattaché au domaine des arts visuels. Ce contact scolaire avec le jeu vidéo est également suggéré lorsque le croisement des domaines artistiques dans cet enseignement est justifié comme « une réponse à l’évolution des arts contemporains » : le jeu vidéo, parce qu’il lie les arts visuels et sonores au service de la narration, peut favoriser une « approche pluridisciplinaire et transversale » telle que les programmes le recommandent. Mais la perception du jeu vidéo comme une œuvre artistique et culturelle n’est pas unanime.

Le Syndicat National du Jeu Vidéo l’explique par la mise en avant des aspects ludiques et techniques voire enfantins (à travers des figures de proue comme Mario et Sonic) au détriment des aspects artistiques et culturels, et par le lien entre le jeu vidéo et deux médias mal considérés : la télévision et Internet. Le travail d’artistes populaires dans ce domaine (acteurs, musiciens, compositeurs), le rapprochement actuel de l’esthétique du jeu vidéo avec celle du cinéma, la recherche esthétique de concepteurs comme Fumito Ueda ou l’entrée du jeu vidéo dans les musées (à l’image de l’exposition Jeu vidéo à la Cité des Sciences et de l’Industrie) sont autant de réponses à ce manque de considération des œuvres vidéoludiques, et invitent au débat. C’est d’ailleurs, dans le cadre d’une séquence sur le texte argumentatif, cette question qui a été posée à la classe de CM2 dans laquelle cette recherche a été menée : le jeu vidéo est-il un art ?

Scénarisation choisie

La séquence pédagogique présentée ci-dessous a été réalisée dans la classe d’affectation de l’auteur de ce mémoire, à mi-temps lors de la deuxième année du master. Il s’agit d’une classe de CM2 du Pas-de-Calais, constituée de 10 garçons et de 10 filles âgés de 9 à 11 ans. L’école n’appartient pas à un réseau d’éducation prioritaire.

Le jeu vidéo a ainsi été la source de savoirs dans plusieurs disciplines. Dans le cadre d’un projet sur le portrait, un travail a été mené en éducation musicale sur les thèmes musicaux : le thème musical a été défini, situé dans l’Histoire de la musique via l’écoute de thèmes wagneriens, et un travail d’écoute a illustré la capacité du thème à illustrer le caractère bon ou mauvais d’un personnage, ou un type de lieu. En arts visuels, le pixel art, héritier de la mosaïque, a été expérimenté par les élèves dans le cadre d’une création de groupe. Ces enseignements précédant la séquence de déconstruction et de construction du Mal ont ainsi permis de légitimer le jeu vidéo comme outil pédagogique aux yeux des élèves.

Cette séquence s’inspire des travaux de Catherine Tauveron dans son ouvrage Lire la littérature à l’école (2003). Elle y décompose le processus d’activation du stéréotype en quatre étapes : la sélection de termes pertinents, l’élagage de détails qui ne font pas partie du schéma, l’assemblage de portions de discours dispersées dans l’œuvre, et le déchiffrement dans le sens du stéréotype. Elle illustre ce processus par une étude de l’Avare. La séquence de cette recherche reprend le déroulement de cette étude de l’Avare autour de trois exemples de figures de Mal récurrentes dans la culture populaire : le démon, le clown et le chevalier noir.

Chacune de ces séances débute par l’observation d’un extrait vidéo de la série Final Fantasy mettant en scène une occurrence de ces figures, suivie de premières réactions des élèves. Des questions de guidage leur permettent de s’intéresser aux différents aspects de l’extrait (narratif, graphique, musical) et de faire émerger des thèmes pertinents. Pour ce faire, les élèves doivent simplement répondre en utilisant des mots-clefs, listés sur le tableau. S’ensuit un travail d’élargissement culturel, lors duquel les élèves associent d’abord, par analogie, la figure étudiée avec d’autres figures populaires, puis sont amenés à effectuer un tissage entre cette figure et d’autres représentations du Mal à travers des documents de diverses natures.

Dans le cadre de la séance sur le démon, ils ont par exemple comparé la représentation de Chaos, antagoniste du premier épisode de Final Fantasy, à une gravure de Gustave Courbet représentant le Diable dans la Divine Comédie et à un extrait littéraire du mythe de Thésée contre le Minotaure. Un travail d’écoute a également permis de rapprocher le thème musical de Chaos de la Toccata et fugue en ré mineur de Jean-Sébastien Bach, régulièrement associé au Mal dans les Arts. Cet élargissement permet un travail d’élagage des caractères propres à chaque personnage et d’assembler les termes restants pour les déchiffrer dans le sens du stéréotype.

Dans l’exemple d’une étude sur le stéréotype de l’avare, l’apparence de l’Oncle Picsou, canard anthropomorphe, serait à élaguer, tandis que ses traits de caractère ou son amour de l’argent seraient des termes collectés et intégrés au stéréotype en question. C’est au moment de produire une synthèse, en autonomie et à partir de ces mots-clefs, que les élèves nomment collectivement le stéréotype étudié. L’objectif de ces séances de déconstruction du Mal est double : fournir des connaissances aux élèves sur ces différents stéréotypes, et développer la capacité de constituer un stéréotype.

Ces compétences font l’objet d’une évaluation formative, durant laquelle les élèves restituent ce qui caractérise chaque stéréotype (son apparence, son histoire personnelle, l’origine de ce stéréotype) ; puis, ils constituent un nouveau stéréotype, la créature artificielle, à partir d’un corpus documentaire liant des antagonistes de Final Fantasy à d’autres figures du Mal. Pour cette seconde phase, les élèves sont organisés en groupes hétérogènes, afin qu’un effet tutorat tel que le définit Philippe Meirieu (1989) permette à ceux qui ont acquis le processus d’activation du stéréotype d’aider et d’expliquer à des pairs plus en difficulté. Ce travail de déconstruction du Mal amène ensuite un réinvestissement en production d’écrits et en arts visuels. Chaque élève a pour tâche de créer le méchant d’une histoire.

Durant la première séance de production, chacun choisit un stéréotype de rattachement, en complétant un tableau à deux colonnes sur ce qui reliait le personnage créé au stéréotype sélectionné, et des détails particuliers. Puis une première ébauche de l’histoire est écrite, en s’appuyant sur les ressorts narratifs de chaque stéréotype (par exemple, le passage à la folie chez le clown). Le personnage est ensuite illustré, et nommé en fonction du stéréotype choisi (le Joker), un événement de son histoire (Kaïn) ou son but (Chaos).

La deuxième séance se concentre sur les actes de l’antagoniste et la conclusion de son histoire, à partir de questions guidant les élèves lors de leur travail de production. Est-ce que la quête du méchant va réussir ? Le méchant va-t-il mourir ? S’il survit, va-t-il rester méchant ? À partir des réponses, les élèves doivent composer un résumé de l’histoire de leur personnage, lors de laquelle ils ont la possibilité de s’auto-évaluer en ayant accès à la grille d’items attendus qui permet à l’enseignant d’évaluer les productions finales. Les connaissances acquises sur les stéréotypes, à travers les synthèses produites en autonomie, constituent des ressources pour construire ce personnage.

La capacité d’activer un stéréotype doit permettre aux élèves de créer un antagoniste qui soit inscrit dans un réseau de personnages tout en possédant ses caractères propres, ne faisant pas partie des attributs récurrents du stéréotype auquel il appartient. L’objectif est alors de faire évoluer la représentation que les élèves se font de l’écriture : pour construire une posture d’auteur, Catherine Tauveron (2003) souligne qu’il faut mettre en lumière que l’écriture est un acte de réappropriation, qui tisse de nombreuses références artistiques et littéraires, et non pas une création ex nihilo. En littérature, le stéréotype est important dans le traitement de l’information selon Ruth Amossy (1997) : c’est parce que l’acte d’écriture s’inscrit dans un ensemble de réseaux transtextuels. L’enjeu pour les élèves est donc de dépasser leurs représentations initiales, et de comprendre que la réécriture n’est pas un « acte délictueux ».

Résultats

Un sondage à choix multiples a été réalisé en amont de cette séquence, afin de connaître le profil des élèves interrogés, leur vision et leur pratique du jeu vidéo. Il leur a été proposé de choisir quelle vision ils avaient du jeu vidéo : une perte de temps, un simple passe-temps, un véritable loisir, une passion, ou un art. Parmi les résultats collectés, sur 20 élèves interrogés, 15 élèves considèrent que le jeu vidéo est un simple passe-temps, alors que 4 seulement le perçoivent comme un art. La classe a également été sondée sur les trois sources d’intérêt principales d’un jeu, parmi la jouabilité, l’histoire, la musique, les graphismes, les personnages, le mode multijoueur et les trophées. 16 élèves citent les personnages, ce qui s’avère favorable à une étude des personnages-types à partir d’exemples vidéoludiques.

Lors de la première séance de déconstruction du Mal, consacrée au démon, les observations des élèves relevaient essentiellement de la description graphique, sans aucune mise en réseau spontanée. Les questions de guidage ont permis de diriger leur attention sur les différents aspects de l’extrait : si le thème musical a essentiellement inspiré des mots-clefs relevant du champ lexical des émotions, un élève a tout de même relevé l’aspect héroïque du thème de Chaos, et l’a rapproché du mot-clef « combat final ». La phase d’élargissement culturel a fait émerger trois figures issues de la culture des élèves : un autre grand démon des univers vidéoludiques, Bowser, antagoniste principal de Mario ; le héros de comics Hellboy ; et une figure mythologique présente dans le corpus documentaire qui leur a été ensuite proposé, le Minotaure. La mise en commun a permis de relever les attributs récurrents du démon (l’aspect bestial, les cornes, les griffes, la queue, la présence d’un orgue dans le thème musical) et de nommer le stéréotype. En revanche, la majorité des synthèses rédigées en autonomie ne répondaient pas à la consigne donnée, qui était de synthétiser l’archétype étudié par une série de mots-clefs définissant ses attributs. Pour y remédier, des exemples de synthèses répondant à la consigne ont été distribués afin de constituer un modèle lors de la deuxième séance, consacrée cette fois au clown.

Spontanément, la figure de Kefka, antagoniste de Final Fantasy VI, a été reliée par les élèves à deux clowns criminels issus de la culture populaire : le Joker des comics Batman, et Tahiti Bob de la série d’animation Les Simpsons. En s’appuyant sur les modèles, les élèves ont cette fois produit des synthèses permettant un réel diagnostic de leur capacité à activer un stéréotype : la majorité des difficultés relevaient d’un problème de sélection, avec des traces écrites incomplètes ; quelques élèves présentaient un souci d’élagage et n’éliminaient pas les attributs individuels lors de la définition du stéréotype ; et une élève manifestait un problème de déchiffrement, et ne comprenait donc pas la notion de stéréotype. Des outils de différenciation ont donc été élaborés pour se focaliser sur ces difficultés lors de la dernière séance de déconstruction du Mal.

Cette dernière séance, centrée sur la figure du chevalier noir, a permis de retracer le parcours de ce personnage-type, de mettre en évidence l’importance de la trahison dans son opposition au héros, et de tisser du lien entre l’histoire de Kaïn de Final Fantasy IV avec celle de Dark Vador de la saga Star Wars, ainsi que de figures plus anciennes. L’origine arthurienne de ce stéréotype a été évoquée spontanément par un élève, qui a ensuite expliqué avoir rencontré le personnage du chevalier noir en visionnant la série télévisée Merlin. Lors de la production de synthèse en autonomie, un questionnaire de guidage a été distribué aux élèves peinant à sélectionner les termes pertinents, afin de les inciter à davantage d’exhaustivité. Pour les élèves peinant à élaguer les attributs individuels, un tableau de mots-clefs leur a été proposé, avec pour tâche de barrer tout ce qui ne qualifiait pas le stéréotype auquel les différents personnages étudiés appartenaient. Un encadrement individuel a permis à l’élève présentant un souci de déchiffrement de comprendre et d’interpréter les termes relevés dans le sens du stéréotype. De manière générale, la répétition de cette tâche autonome de synthèse lors de chaque séance de déconstruction du Mal a permis aux élèves de progresser, et d’acquérir le concept de stéréotype.

L’évaluation formative sur la créature artificielle a confirmé cette progression. Sur les six groupes hétérogènes, quatre groupes ont identifié le stéréotype de la « créature artificielle », dont trois groupes qui ont souligné la volonté de se venger de leur créateur. Un autre groupe a par ailleurs nommé ce stéréotype « le vengeur ». Hormis un groupe qui n’a pas approfondi suffisamment son analyse et a simplement nommé ce stéréotype « le monstre », tous ont exploité les différents aspects de chacune des figures proposées, notamment leur histoire, et ont dépassé le stade de la simple observation graphique telle qu’ils l’avaient manifestée lors de la première séance de déconstruction.

L’examen des productions écrites, qui constituaient l’évaluation sommative de cette séquence, a montré que l’activité avait été efficiente en termes d’évolution des représentations des élèves vers le concept de transtextualités. Seuls quatre élèves n’ont créé aucun lien entre un stéréotype et la figure du Mal qu’ils ont créée. Deux niveaux ont été identifiés au sein des productions : les élèves qui ne se sont pas détachés du stéréotype exploité via des attributs individuels, et ceux qui ont su créer une figure originale inscrite dans un réseau. Certains se sont inspirés de figures existantes étudiées ou non en classe (par exemple, le Grinch) voire ont emprunté des caractéristiques de plusieurs stéréotypes pour créer l’antagoniste de leur histoire.

Discussion

La problématique de départ de cette recherche est la légitimité culturelle et pédagogique du jeu vidéo, et la façon d’en exploiter les aspects qui le composent au profit des apprentissages des élèves. Les résultats de cette exploitation ont montré que l’utilisation de figures du Mal vidéoludiques avait permis aux élèves de comprendre le concept de stéréotype et de se l’approprier, tout en inscrivant certains des personnages issus de Final Fantasy dans un réseau d’oeuvres de natures et d’époques diverses.

Cette étude présente cependant des limites méthodologiques, qui n’ont pas permis d’exploiter pleinement les atouts artistiques et pédagogiques que les études sur le jeu vidéo ont fait émerger. La complexité artistique du jeu vidéo, qui mêle les domaines dans une forme d’Art total, ne s’incarne pas pleinement dans la production finale des élèves. Celle-ci, relevant des arts du langage, ne permet pas de relier les domaines artistiques pour donner vie à un personnage, tout comme peut le faire le jeu vidéo en le mettant en scène par une apparence graphique et un thème musical. Julien Llanas (2011), collaborateur du projet « Education et jeux vidéo » au sein de l’académie de Créteil, souligne à ce propos l’importance du statut artistique du jeu vidéo pour le faire entrer à l’école, et l’adaptabilité de ce nouvel outil à toutes formes de pédagogie. Par exemple, la pédagogie de projet, qui met l’activité des élèves au service d’une production finale dont ils ont connaissance dès le début de la séquence. Le travail des élèves sur les stéréotypes, mais aussi les représentations artistiques des figures du Mal et la notion de thème musical, deviendrait une ressource au service d’un projet reliant ces aspects : la conception d’un jeu vidéo.

La séquence présentée déconstruisant le Mal pour que les élèves le construisent ensuite, ce travail de déconstruction du jeu vidéo en apprentissages pluridisciplinaires pourrait aboutir à la construction d’un jeu vidéo. C’est ce que propose depuis 2009 le concours de création de jeux sérieux de l’académie de Créteil, ouvert dès le cycle 3. En 2013, une classe de sixième de St Jean de Luz proposait par exemple L’Odyssée d’Ulysse, un jeu vidéo construit sur le modèle des jeux de rôle japonais tels que les premiers Final Fantasy.

Conclusion

Exploiter le jeu vidéo en tant qu’outil pédagogique peut surprendre, y compris les élèves qui se sont interrogés en premier lieu sur le sens des activités proposées. Très vite cependant, le jeu vidéo a révélé son rôle motivant et sa légitimité artistique. A la fois parce qu’il mêle les arts du langage, les arts visuels et les arts sonores, et parce qu’il s’inscrit dans la culture humaniste à travers les domaines artistiques et les époques, il a été possible d’en faire émerger des savoirs et des savoir-faire. L’enjeu artistique de cette séquence de déconstruction et de construction du Mal est atteint, car la représentation des élèves a évolué sur la place des arts dans leur quotidien, y compris au sein d’oeuvres et de médias populaires. Pour en renforcer la légitimité pédagogique, il conviendrait d’exploiter le jeu vidéo non seulement comme une œuvre artistique observable, mais comme un média nouveau, avec lequel l’élève peut interagir, et s’appuyer sur les apports des sciences du jeu pour intégrer le jeu vidéo dans les différentes disciplines scolaires, et dans le cadre de projets transversaux.

Références

Bibliographie

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Loiseau, T. « Les genres vidéoludiques. Nouveau média, anciens contenus ? », dans Delavaud, G. (2009) Nouveaux médias, nouveaux contenus. Apogée, p. 65-72.

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Webographie

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