Pour citer cet article :
Duquesnoy Maxime (2016). ProSoTIC – Favoriser l’usage du numérique dans l’enseignement de promotion sociale. Un exemple en Belgique francophone Adjectif.net [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article391
Résumé :
Pour tenter de répondre aux enjeux que peut constituer le numérique tout en s’interrogeant sur les modifications que celui-ci peut générer dans les pratiques enseignantes voire dans l’institution elle-même, la Fédération de l’Enseignement de Promotion Sociale Catholique (FEProSoC) a développé un projet autour de ces questions depuis septembre 2014. Dans une démarche de recherche-action, les acteurs de ce projet interrogent à la fois les enjeux et les défis du numérique tout en développant des outils concrets pour développer son usage dans l’enseignement de promotion sociale. Cette contribution se propose de présenter ce projet nommé ProSoTIC en dessinant les contours de celui-ci, les premières inflexions qui lui ont été apportées et ses perspectives de développement.
Mots clés :
Belgique, Formation d’adultes, TIC
Initié en septembre 2014, le projet ProSoTIC est une initiative de la Fédération de l’Enseignement de Promotion Sociale Catholique (FEProSoC) en Fédération Wallonie-Bruxelles (Belgique). Ce projet vise à développer et à accompagner l’usage du numérique dans cette forme spécifique d’enseignement destiné aux adultes.
L’Enseignement de promotion sociale (EPS) offre aux adultes, aux parcours souvent très hétérogènes, un large panel de formations de niveau d’enseignement secondaire ou supérieur, au terme desquelles, il délivre des titres reconnus (certificats et diplômes). De fait, cette forme d’enseignement s’inscrit dans une dynamique d’éducation tout au long de la vie en rencontrant une double finalité : répondre aux demandes des milieux socioéconomiques et culturels, et concourir à l’épanouissement individuel de la personne [1].
Pour répondre aux objectifs assignés à l’EPS, ses acteurs doivent pouvoir se saisir des outils numériques afin de répondre aux besoins exprimés. Dans cette perspective, le numérique constitue aussi bien un enjeu qu’un défi mais surtout une démarche qui ne peut faire l’économie d’une réflexion majeure et en profondeur sur l’impact du numérique dans l’enseignement et plus largement dans la société. C’est sur cette base qu’a vu le jour le projet ProSoTIC.
Les enjeux de ce projet sont tout d’abord d’éviter une marginalisation de l’enseignement de promotion sociale par rapport à d’autres opérateurs d’enseignement ou de formation, publics ou privés qui investissent (ou ont déjà investi) les TIC(E) et leur implémentation dans leurs pratiques. Le risque existe d’une double fracture, entre des « enseignants technophiles versus technophobes et entre des déconnectés » versus hyperconnectés. Il faut également se méfier de conceptions trompeuses telles qu’une impression de maîtrise des outils informatiques qui ne signifie pas nécessairement de compétence pédagogique dans leur usage. Enfin, si ces outils présentent des atouts non négligeables, il est important d’éviter l’effet de mode porté par une effervescence ambiante.
Pour répondre à ce questionnement et renforcer la réflexion dans ce domaine, le projet ProSoTIC a été décliné en objectifs selon trois axes majeurs et interdépendants :
La présente contribution se propose de présenter ce projet, la démarche qui le sous-tend et d’en dresser, de façon globale, les lignes directrices et les inflexions qui lui ont été apportés. Nous aborderons tout d’abord les dimensions humaines de celui-ci et sa construction. Dans un second temps, nous reviendrons sur ses objectifs principaux et les adaptations apportées au fur et à mesure de son évolution.
Un projet qui se construit et se développe
Conscient de l’ampleur que pouvait représenter un tel projet, la mise en œuvre s’est faite, dans un premier temps, à une échelle réduite, pour éprouver sa faisabilité et son efficacité et effectuer les ajustements nécessaires. Aussi, il a été envisagé de travailler, en phase d’expérimentation, avec 7 établissements au cours de l’année scolaire 2014-2015. La limitation initiale à un nombre relativement restreint d’établissements, plus ou moins proches géographiquement, répondait à un nécessaire besoin de rencontres périodiques des personnes-relais. Si, au départ, le projet se limitait à quelques établissements, il n’en restait pas moins un projet qui avait pour vocation de s’étendre, ensuite, à l’ensemble des établissements de l’Enseignement de Promotion Sociale Libre Confessionnel. Ce fut le cas dès septembre 2015 où d’autres établissements rejoignirent le projet portant le nombre d’écoles participantes à 17. En avril 2016, trois écoles supplémentaires rejoignirent le projet.
Les personnes-relais, acteurs clés du projet
La particularité du projet, qui est aussi sa force, réside dans la création d’un réseau de personnes-relais. Au sein de chaque école, un membre du personnel revêt cette fonction. Il peut s’agir d’un enseignant dont l’horaire a intégré cette fonction, d’heures supplémentaires ajoutées à son horaire de base ou encore de membres de la direction de l’établissement. Les profils de ces personnes sont relativement variés : certains sont des enseignants dont la formation initiale intègre une composante liée au numérique tandis que d’autres sont des membres du personnel intéressés par le projet et le défi que celui-ci pouvait présenter, ne disposant pas pour autant de compétences spécifiques en informatique [2].
Le rôle des personnes-relais est large et varié puisqu’il s’agit de participer aux groupes de travail, d’assurer le relais de l’information aux enseignants de l’établissement et de produire et diffuser des ressources (présentation d’outils, test d’application.
Cette fonction est fondamentale. En effet, les personnes-relais assurent un rôle de proximité indispensable. Leur activité a permis de mettre en lumière que les réticences et les freins observés dans l’usage du numérique ne sont pas tant techniques que psychologiques. Les enseignants ont besoin de temps. Leur imposer l’usage des TIC n’a pas de sens mais, par contre, les amener, tout doucement, à l’usage du numérique est nécessaire. De fait, il ne faut pas s’imaginer un résultat immédiat. Il faut prendre le temps de voir les enseignants de manière individuelle, de les coacher, de changer les habitudes, ...
Inventorier et rendre visible l’existant
Durant l’année scolaire 2014-2015, deux enquêtes ont été menées afin de situer la place du numérique dans l’enseignement de promotion sociale catholique. La première s’est intéressée à l’équipement dont disposaient les écoles tandis que la seconde interrogeait les enseignants sur leur sentiment de compétences face aux TIC.
Une très grande hétérogénéité caractérise les écoles au niveau de leur équipement [3]. Certaines disposent d’un parc informatique conséquent et diversifié tandis que d’autres s’accomodent de ressources très limitées, voire inexistantes. Dans de nombreux cas, le nombre de machines est peu représentatif car l’âge avancé de celles-ci rend leur usage difficile voire impossible. Si les tablettes et les Tableaux Blancs Interactifs (TBI) font leur apparition, cela reste de façon sporadique. Généralement, il s’agit de matériel acquis dans le cadre d’appels à projets tels que les projets « Ecole numérique ».
L’hétérogénéité qui caractérise l’équipement est aussi présente dans les compétences des enseignants face aux TIC [4]. L’usage que les enseignants font des outils numériques semble être pragmatique, voire basique. Le traitement de textes est utilisé pour produire des cours tapuscrits ; le recours au mail s’entend comme un moyen de communication parmi d’autres. Par contre, dès que l’usage devient plus avancé, le sentiment de compétence diminue fortement. Les causes peuvent être diverses mais nous pouvons avancer deux hypothèses. La première serait celle du manque de formation à l’utilisation de ces outils. La seconde, qui pourrait être corrélée à la précédente, serait la méconnaissance de l’outil et donc de l’intérêt d’utiliser les fonctions avancées de celui-ci.
Un domaine semble particulièrement préoccupant, celui des dimensions légales et éthiques. Les enseignants semblent ignorer ou méconnaître les éléments relatifs à cette dimension. Ceci est d’autant plus préoccupant dans un type d’enseignement dont les fondements prévoient qu’il puisse « concourir à l’épanouissement individuel en promouvant une meilleure insertion professionnelle, sociale, culturelle et scolaire ». Qu’il s’agisse de l’usage d’internet, de la production d’exercices ou encore de la gestion des images et du son, les compétences semblent très hétérogènes avec de profondes variations dans ces domaines.
Les résultats de ces deux enquêtes ne doivent toutefois pas occulter nombre d’initiatives et de projets numériques menés dans les écoles. Les observations menées par les personnes-relais mettent en exergue de nombreux usages du numérique au sein des établissements : utilisation de plateformes numériques pour accompagner les étudiants et pour différencier les apprentissages ; usage croissant des TIC dans la communication entre enseignants et à destination des étudiants ; développement d’actions de formation et de coaching au sein des écoles, entre membres du personnel, [5] Toutefois, la visibilité de ces actions reste relativement réduite. Emanant le plus souvent d’initiatives personnelles, elles peinent à gagner en visibilité au sein de l’institution, plus encore hors des murs de l’école. Les enseignants hésitent à communiquer sur leurs actions, tiraillés entre le sentiment de ne pas avoir fait quelque chose qui mérite « une mise en lumière » et la crainte d’un jugement extérieur.
Développer un espace numérique d’échange de ressources
Le deuxième objectif du projet consistait en la création d’un espace numérique d’échanges de ressources [6]. Au départ, l’idée était de mutualiser, au sein d’un espace commun aux membres du projet, des ressources éducatives produites par les enseignants. Toutefois, cette action se heurta à la difficulté de collecter les documents et outils permettant d’alimenter cet espace. Les raisons sont multiples et certaines trouvent écho dans la littérature scientifique : crainte du jugement par les pairs, difficulté de partager ses productions avec d’autres personnes « inconnues », besoin de construction d’une identité professionnelle en amont d’une démarche de partage, (Barrère, 2003 ; Gelin, Rayou, Ria, 2007 ; Tardif, Lessard, 1999)
Ce sous-projet a donc connu une inflexion à la rentrée scolaire 2015-16. Différents groupes de travail ont émergé afin de travailler à la constitution de ressources pour lesquelles la mise à disposition, dans les autres établissements, était une condition sine qua non. De la constitution d’une banque d’exercices sur la maîtrise de la langue française à des répertoires d’outils en passant par la création de fiches-outils, la banque de ressources s’est constituée au fil du temps et poursuit, aujourd’hui encore, son enrichissement.
La ligne directrice des outils ainsi créés fut simple bien qu’essentielle : partir des besoins des enseignants et les intégrer dans le processus, dès le début. Ainsi, par exemple, les outils numériques proposés ont été testés par des enseignants préalablement à toute production. Ce n’est que lorsque l’outil semblait répondre aux besoins d’une majorité d’utilisateurs qu’une fiche et un tutoriel étaient créés. A nouveau, le rôle majeur des personnes-relais est à souligner tant il a permis de s’approcher au plus près des réalités du terrain et des besoins des équipes éducatives.
Adapter et infléchir l’offre de formation du personnel
Le troisième objectif du projet consistait à mener une réflexion sur la politique de formation continuée des enseignants. Sur base des enquêtes réalisées, plusieurs points d’attention avaient été soulevés. Tout d’abord, il s’agissait de pouvoir offrir de nouvelles modalités de formation qui prenaient en compte les horaires très fluctuants des enseignants tout en limitant les déplacements. En outre, il fallait pouvoir former les membres du personnel aux outils numériques de façon ciblée, sans verser dans un « saupoudrage » de connaissances dont la mise en pratique se serait révélée difficile voire impossible.
Afin de pouvoir répondre à ces diverses recommandations, une offre de formation en e-learning a vu le jour. Plusieurs modules ont ainsi été développés via une plate-forme : accompagner et former avec le numérique, création de quizz et de questionnaires, utilisation de vidéos et d’animations, usage du numérique dans les cours de langues ou encore utilisation du TBI. En parallèle, un séminaire résidentiel est venu compléter cette offre de formation, permettant à la fois de renforcer certains apprentissages tout en offrant la possibilité de « nouer du lien » en présentiel. En outre, afin de permettre une plus large diffusion tout en offrant la possibilité aux enseignants de mettre à jour leurs connaissances, certaines de ces formations ont été transposées en module d’autoformation, librement accessibles depuis le site web du projet.
Une indispensable présence numérique
Afin de visibiliser le projet et de faciliter les échanges, une « présence numérique » du projet s’est concrétisée peu à peu. Un site général a été mis en ligne (http://www.prosotic.be), tout comme un forum et un espace de partage de documents. Le projet a également développé une « présence » sur les réseaux socionumériques (Facebook et Twitter). Même si elle reste relativement discrète, elle apparaît comme un mode de diffusion efficace auprès des enseignants. Elle donne, en outre, une visibilité indispensable auprès des partenaires potentiels et des autres opérateurs.
Pour informer et sensibiliser les membres du personnel, plusieurs publications ont été créées. Après avoir évalué l’impact de celles-ci, il a été décidé de se recentrer sur une publication unique. Depuis septembre 2015, les « Clés pour les TIC » sont devenues l’unique publication envoyée dans le cadre du projet, de façon mensuelle et disponible sur le site du projet. Il s’agit de proposer, mensuellement, un focus sur certaines informations liées au numérique, de présenter brièvement divers outils et d’informer sur les formations et manifestations relatives au numérique.
Enfin, autour des espaces publics du site général, le serveur accueille aussi plusieurs plates-formes numériques (Moodle, Claroline, Chamilo), un espace accueillant des modules d’autoformation et d’autres outils numériques.
Bien qu’il repose sur le domaine informatique, le projet ProSoTIC est, avant tout, un projet « humain ». Son quotidien se compose des nombreux échanges entre les personnes-relais ; des apports des enseignants des différentes écoles mais aussi sur leurs interpellations, leurs demandes, Se fédérer autour de ce projet a permis aux écoles de visibiliser davantage l’existant, de mettre en lumière l’importance de l’enseignement de promotion sociale dans diverses manifestations, de coordonner les actions et de mutualiser les supports.
Le temps est une variable essentielle dans le processus que vise ce projet. Intégrer le numérique dans ses enseignements ne peut se décréter de façon unilatérale. Comme le souligne Devauchelle (2016), cette appropriation réside dans le sentiment d’assurance personnelle, d’auto-efficacité, d’estime de soi et de résilience [7]. Il est donc nécessaire que les enseignants puissent évaluer l’impact des TIC(E) sur leurs pratiques, qu’ils puissent essayer, tester et expérimenter en se sentant soutenus et accompagnés (Duquesnoy, 2016). Si le temps ne peut « suspendre son vol », il convient de laisser le vent s’engouffrer dans les voiles pédagogiques que dressent les enseignants, tout en laissant la brise numérique s’y engouffrer, peu à peu.
BARON, G.-L., DANÉ, E. (2007). Pédagogie et ressources numériques en ligne : quelques réflexions. EPINET
BARRÈRE, A. (2003). Travailler à l’école. Que font les enseignants du secondaire ? Rennes : PUR
DEVAUCHELLE, B. (2012). Comment le numérique transforme les lieux de savoirs, Le numérique au service du bien commun et de l’accès au savoir, FYP Editions
DUQUESNOY, M. (2016). Usages d’internet et du numérique chez les enseignants du primaire en Belgique francophone. Cerner les pratiques pour (re)penser l’accompagnement. Colloque Didapro6 – DidaSTIC, Namur (Belgique), http://didapro6.sciencesconf.org/
GELIN, D., RAYOU, P., RIA, L. (2007). Devenir enseignant. Parcours et formation. Paris : Armand Colin, coll. 128
LIÉNARD, G. ; PIRSON, J. (2011). Agir dans la crise : enjeux de l’enseignement de promotion sociale, Cahiers du CIRTES, Presses Universitaires de Louvain
TARDIF, M., LESSARD, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Expérience, interactions humaines et dilemmes professionnels. Québec : Presses de l’Université Laval
[1] Ces finalités sont, par ailleurs, inscrites dans le décret organisant l’enseignement de promotion sociale (1991)
[2] Cette fonction partage certains points communs avec les référents TICE en France ou avec les personnes-ressources dans l’enseignement secondaire belge mais ne revêt pas toutes les facettes de celles-ci, entre autres celles liées aux compétences techniques demandées dans ces dernières.
[3] Cette situation rejoint le constat posé par l’Agence du Numérique (anciennement AWT) dans ses enquêtes menées sur les TIC et l’école (Baromètre TIC) - http://www.awt.be
[4] Il ne s’agit pas là d’une spécificité de l’enseignement de promotion sociale mais d’un constat posé également pour d’autres niveaux d’enseignement.
[5] Certaines de ces actions sont, par ailleurs, relayées via le site web du projet et sa publication « Clés pour les TIC »
[6] Le terme de « ressource » serait, par ailleurs, à (re)définir et à interroger. Le texte de Baron et Dané (2007) pose, à cet égard, des balises et un questionnement riche desquels nous nous sommes inspirés au cours de ce projet.
[7] Devauchelle B., S’intéresser aux pratiques « ordinaires », 2016, en ligne www.brunodevauchelle.com/blog/ ?p=1874