Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Étude de cas sur l’usage pédagogique des tablettes tactiles en enseignement primaire

Une synthèse
jeudi 7 août 2014 Loic Boujol

Pour citer cet article :

Boujol, Loïc (2014). Étude de cas sur l’usage pédagogique des tablettes tactiles en enseignement primaire. Une synthèse. Adjectif.net [En ligne], mis en ligne le 24 juillet 2014. URL : http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article301

Résumé :

Cette contribution présente une synthèse de notre recherche de master portant sur l’usage pédagogique de tablettes tactiles dans l’enseignement primaire. Nous aborderons tout d’abord quelques informations liées à notre thématique et nos questions de recherche. Nous exposerons ensuite brièvement le contexte méthodologique sur lequel s’appuie notre recherche. Enfin, nous détaillerons quelques éléments en lien avec la thématique des usages pédagogiques réalisés en classe ainsi qu’un résumé des manifestations perçues et observables qui nous semblent importantes. En fin de compte, nous donnerons notre point de vue au travers d’une courte conclusion [1].

Mots clés :

Tablette tactile numérique ; Enseignement primaire ; Usages pédagogique des TICE ; Intégration pédagogique des TICE ; Pratique enseignante ; Projet prospectif ; Service École-Médias ; Étude de cas ; Suisse.

Contexte

Si l’intérêt pour les technologies mobiles remonte à plus d’une décennie, l’apparition de tablettes tactiles performantes a suscité un regain d’enthousiasme qui a vu fleurir de nombreuses expériences d’implémentation en contexte pédagogique. La majeure partie de ces expérimentations se fondent sur une approche « un pour un », la tablette devenant un cahier interactif qui accompagne l’élève en classe et à domicile. Toutefois, une approche alternative, en usage partagé de quelques tablettes par classe, pourrait davantage inciter à la collaboration et à l’hybridation des outils (technologiques et « traditionnels »). Le format de ces nouveaux outils tactiles numériques, leurs nombreuses fonctionnalités, les applications et contenus pouvant y être intégrés, ainsi que le mode d’interaction tactile avec ces mêmes contenus, produisent des conséquences sur les usages que l’on peut faire en contexte pédagogique. Ainsi, l’intégration de la tablette tactile dans la pratique de l’enseignant-e nécessite un travail de découverte, d’investigation et d’appropriation important, ainsi qu’une réflexion sur sa manière de scénariser ses leçons et de les dispenser.

Cette étude de cas s’inscrit dans le cadre d’un projet prospectif mené par le secteur Formation/Prospective du Service École-Médias de Genève. S’étendant sur une période de 21 semaines, cette recherche est illustrée par une étude de cas portant sur les usages pédagogiques de la tablette réalisés dans une classe d’école primaire publique du canton de Genève, en Suisse (7p HarmoS [2] = élèves de 11 ans). La classe que nous avons observée est partagée par deux enseignantes au taux de 50/50%.

Questions de recherche

Notre travail de recherche a tenté de répondre aux deux questions suivantes :

  1. Quels sont les usages pédagogiques réalisés par les enseignantes et les élèves dans le cadre d’activités médiatisées par la tablette tactile ?
  2. Quelles sont les manifestations positives et négatives perçues et observables liées à l’usage des tablettes tactiles ?

Méthodologie et modèles théoriques

Notre étude de cas est issue de deux modèles théoriques distincts. Le premier propose une typologie d’usages des technologies de l’information et de la communication en enseignement (Bétrancourt, 2007). Le second est, quant à lui, un modèle d’intégration pédagogique des technologies éducatives (Barrette, 2011) et dont les trois dimensions identifiées par Christian Barrette sont les suivantes : les effets positifs, perçus et observables sur les élèves, les dispositifs en termes de rôle enseignant/posture élèves, et les conditions organisationnelles.

Ce travail fait appel à une méthodologie croisée basée sur l’observation en classe, la récolte de données filmées/photographiées et écrites, ainsi que sur plusieurs entretiens enregistrés et réalisés auprès de deux enseignantes volontaires et des dix-huit élèves. Le nombre de tablettes mises à disposition [3] variait selon la période et l’activité menée.

L’analyse de type qualitative se base sur un corpus dont les données (principalement de nature écrite et audio) proviennent d’un carnet de bord rédigé par les enseignantes, d’entretiens réalisés auprès des élèves et des enseignantes, du contenu d’un blog de classe et d’observations personnelles réalisées lors de nos visites en classe. Les résultats sont ainsi discutés en termes de recommandations pour l’intégration de tablettes en usage partagé.

Synthèse de résultats suite au traitement du corpus

Types d’usages pédagogiques accomplis
Notre classification des usages accomplis par les élèves et les enseignantes nous démontre qu’il est possible de réaliser des activités pédagogiques médiatisées par la tablette tactile en lien avec les objectifs et les compétences transversales du plan d’études romand (PER) [4]. Ainsi, notre inventaire répertorie six domaines disciplinaires à travers lesquels des activités pédagogiques notables ont été réalisées, à savoir : français, géographie, géométrie, histoire, mathématique, sciences de la nature. Néanmoins, d’autres activités n’étant pas directement en lien avec un domaine disciplinaire ont aussi été recensées. Des usages pédagogiques effectués spontanément par les élèves, lors de moments libres classés sous l’appellation de « divertissement », ont eux aussi été observés à maintes reprises.

Au final, notre analyse démontre qu’une variété d’usages correspondant aux quatre catégories du modèle de Bétrancourt ont été effectués (Stockage/réutilisation, Visualisation, Communication/collaboration, Traitement automatique). Aussi, nous notons que sur les quatre catégories citées précédemment, le versant utilisation de contenu et ressources par les élèves se retrouve en première place, suivi par le versant production par les élèves de contenus ou ressources. Néanmoins, les deux enseignantes ont confirmé que leurs élèves n’avaient, jusque-là, jamais autant produit depuis l’apparition des tablettes dans leur classe, et ce surtout en français (production textuelle).

L’ensemble des usages recensés établissent que l’artefact tablette tactile a été observé majoritairement dans les mains de l’élève, ce qui démontre ainsi une utilisation principale de l’outil par ce dernier plutôt que par l’enseignante. Néanmoins, plusieurs activités ont été effectuées uniquement par les enseignantes, et plus majoritairement en « back office » [5] (gestion et préparation des cours, recherche et constitution de matériel pédagogique.). À travers ces activités, les enseignantes visent :

  • une meilleure appropriation technique de l’outil (point important pour nos enseignantes, et qui semblerait avoir un impact sur leur confiance personnelle et leur niveau de stress lors de la manipulation de la tablette face aux élèves) ;
  • les tests et utilisations d’applications (réalisés en amont afin d’orchestrer au mieux la séance prévue) ;
  • la gestion technique de l’appareil et des contenus (mises à jour, recharge du matériel, transferts de fichiers…) ;
  • la recherche de nouvelles applications pour les prochaines activités prévues (l’activité prévue influence le type de recherche d’applications ou contenus).

Toutes ces activités constituent, à leurs façons, une découverte de fonctionnalités et un soutien à la prise en main de l’outil (processus d’instrumentalisation) et modifie la perception des enseignantes au sujet du champ des possibles et de leurs manières d’organiser les savoirs (processus d’instrumentation). Il nous semble important de préciser que ces activités réalisées en « back office » présentent une forte composante chronophage. Ainsi, organiser une activité dite pédagogique et misant sur l’usage de la tablette a demandé un temps de préparation important pour les enseignantes. Cependant, cette durée tend à se réduire au fil d’une pratique fréquente et régulière. Notons aussi que les compétences antérieures en matière d’usages des TICE favorisent la diminution du temps de préparation.

Intégration pédagogique de la tablette tactile
Les trois principes présentés dans le modèle de Barrette nous permettent, quant à eux, d’étudier l’intégration pédagogique de la tablette, en pointant les différentes manifestations positives et négatives, perçues et observables, liées à l’usage de la tablette et d’identifier la présence de conditions gagnantes d’une intégration pédagogique des TICE selon 3 principes.

Combinaisons entre types de dispositifs/scénarios/stratégies pédagogiques
Ainsi, le premier principe du modèle de Barrette (combinaison entre les différents types de dispositifs, scénarios et stratégies pédagogiques proposées par les enseignantes) nous a permis de remarquer une mixité d’approches psychopédagogiques sur l’ensemble des activités prescrites par les enseignantes et réalisées par les élèves.

Les enseignantes ont proposé à leurs élèves, via l’usage de la tablette, autant d’activités basées sur les courants psychopédagogiques de type béhavioriste, cognitiviste que socioconstructiviste et ce, dans des proportions quasi-similaires. Cette situation va dans le sens des observations présentées par Marcel Crahay (2006) et qui démontre dans son bilan des recherches processus-produit sur l’enseignement, qu’un même enseignant utilise inévitablement et nécessairement plusieurs approches psychopédagogiques en fonction des moments et des besoins. C’est pourquoi, il n’est pas possible de réduire un enseignant à l’utilisation d’un seul et unique style pédagogique. Nos deux enseignantes passent ainsi d’une posture à l’autre pour arriver aux résultats qu’elles visent et qui leur sont demandés à travers le plan d’études en vigueur.

Les combinaisons entre but de l’enseignant, type de dispositif utilisé, posture d’élève et rôle de l’enseignant ont concordé de manière adéquate. Autrement dit, lorsque les stratégies des enseignantes visaient prioritairement la transmission de contenus (ex. activité en individuel – mathématique – calculs de nombres rationnels sous forme de drill), leurs choix se sont tournés vers des dispositifs adaptatifs et différenciés d’exercices répétés (exerciseurs tels que ceux présents dans l’application iTooch math CM2). L’élève, quant à lui, adoptait une posture dite réactive et les enseignantes se sont vu assumer un rôle de didacticien. Lorsque les stratégies des enseignantes visaient prioritairement la co-construction de connaissances (ex. activité en duo - géographie - production de cartes d’identité des cantons de la Suisse), leurs choix se sont tournés vers des dispositifs d’apprentissage collaboratif (Safari, Wikijunior, Wikipedia mobile, Google Earth, Pages). L’élève se voyait revêtir une posture dite interactive et les enseignantes un rôle de guide-animateur. Et dans le dernier cas, lorsque les stratégies des enseignantes visaient prioritairement la maîtrise consciente d’habiletés cognitives (ex. activité en individuel - géométrie - développer la vision dans l’espace à travers des exercices de déploiements d’un cube), leurs choix se sont tournés vers des dispositifs favorisant la métacognition (Application : Solid Elementary HD). L’élève tendait à prendre une attitude proactive et les enseignantes se tenaient en facilitateur.

Conditions organisationnelles
Le second principe du modèle de Barrette s’intéresse au niveau des conditions organisationnelles ayant une influence sur les effets recherchés (niveau de compétences, équipement adéquat, motivation des enseignants à s’engager dans des projets novateurs misant sur les tablettes).

Ainsi, nous avons pu percevoir que le niveau de compétences à l’intérieur du groupe élèves et au sein du groupe enseignantes n’est aucunement homogène. Cette situation soutient la démystification de l’existence de générations dites « digital native » et « digital immigrant » (Prensky, 2001). En effet, la soi-disant grande facilité d’utilisation des technologies dont feraient preuve les enfants et la méconnaissance et maladresse d’utilisation de ces mêmes technologies par les adultes n’est pas observable de manière aussi catégorique dans notre étude. Il réside donc une hétérogénéité en termes de compétences dans les deux tranches d’âge. Nous pensons que cela est notamment dû au fait que certains élèves n’avaient jusque-là jamais touché une tablette alors que d’autres en possédaient soit déjà une ou en avait déjà utilisé (via les parents, amis, famille, relatif donc à la socialisation primaire). Néanmoins, la progression de tous les élèves en termes de gestion technique de l’outil fut particulièrement rapide. Les enseignantes ont d’ailleurs maintes fois mentionné leur étonnement à ce sujet.

De surcroît, il arrive même parfois qu’une certaine inversion des rôles entre élèves et enseignantes se manifeste. Ces moments surviennent lorsque l’enseignante ne possède pas les compétences (généralement techniques) nécessaires pour mener à bien l’activité, ou que l’élève accède à une information puisée sur Internet qui contredirait ou nuancerait ce qui a été dit par l’enseignante. Ainsi l’élève devient pour un court instant le transmetteur de savoir et l’enseignant se retrouve en posture d’apprenti, un fait pouvant paraître rare en enseignement. Malgré cela, nos deux enseignantes n’ont pas mal vécu ces courts moments d’inversion des rôles et ont même eu tendance à y percevoir un certain intérêt.

Les enseignantes que nous avons suivies ayant un profil non technophile et un usage des TICE que nous pourrions considérer comme se situant entre le niveau débutant et intermédiaire ont, elles aussi, démontré une bonne progression de l’appropriation de l’outil tablette. Elles ont confirmé qu’il leur était tout à fait possible de réaliser des usages pédagogiques complémentaires et différents dans plusieurs disciplines et ce, en adéquation avec leurs objectifs et ceux du PER. Nous avons ainsi pu constater une très claire motivation des enseignantes à s’engager dans un projet novateur misant sur les tablettes. Nous voyons là un effet de contagion entre la forte motivation des élèves sur celle des enseignantes. De plus, la plus-value et l’utilité de la tablette perçue par les enseignantes n’ont fait qu’augmenter leur intérêt à reconduire à nouveau une expérience avec les tablettes, mais cette fois-ci sur une année scolaire complète (2014-2015).

Nous pensons toutefois que certains enseignants pourraient se retrouver face à des défis difficiles à relever et ce, tout particulièrement pour les enseignants non préparés ou dont les compétences en matières d’usage des TICE seraient trop limitées. C’est pourquoi, il nous paraît nécessaire de fournir un support technopédagogique à l’enseignant désirant utiliser les tablettes tactiles ou tout autre TICE à travers son enseignement, support que nous avons assumé à maintes reprises pendant ce projet prospectif. En ce sens, une intégration pédagogique réussie des tablettes tactiles (et des TICE en général) dans l’enseignement tiendrait donc avant tout à une formation adéquate des enseignants lors de leurs études pédagogiques ou de formations continues.

Adéquation de l’équipement (matériel)
Concernant l’équipement adéquat au niveau du matériel, nous percevons que le nombre de tablettes disponibles dans une classe génère chez l’enseignant un choix d’orchestration (répartition entre les groupes, tournus, etc.) et produit par répercussion un impact au niveau des usages effectués. En règle générale, les enseignantes ont eu tendance à proposer des activités majoritairement en duo, sous forme d’atelier et en demi-classe. Nous pensons que ce choix est dû au nombre de tablettes disponibles (4 pour une classe de 18 élèves) [6] et à la recherche d’un certain confort permettant autant aux élèves qu’aux enseignantes d’atteindre les objectifs visés à travers les activités prévues. Quant à nos observations durant la période dite « one to one », nous n’avons pas remarqué d’usages plus prolifiques et pertinents que lors de la présence de 4 tablettes en classe, et ceci bien que la tablette soit clairement conçue par les constructeurs pour être avant tout un outil individuel.

Ce faisant, nous conseillerions un nombre de 6 tablettes pour une classe de 20 élèves (5 tablettes pour les élèves et 1 pour l’enseignant). Ce chiffre permettrait aux professeurs de réaliser des activités en demi-classe, sous forme de duo (5x2) et de ne faire qu’une seule rocade (voire trois rocades consécutives dans le cas d’une activité réalisée en individuel).

L’intégration physique de la tablette, toujours là, à portée de main, sous un cahier ou dans le bureau, augmenterait l’accessibilité à la tâche. Cette accessibilité est d’ailleurs augmentée par la rapidité de sortie du mode veille de la tablette.

L’accès Wi-Fi semble indispensable pour tirer le meilleur profit des tablettes (envoi de productions écrites sur le blog de classe, accès aux images du Moyen-Âge via Dropbox en cours d’histoire). De plus, certaines applications ne fonctionnent qu’avec une liaison à l’internet (ex. Google Earth en géographie). La possibilité d’accès à Internet par les élèves a néanmoins généré un stress éthique chez l’une des enseignantes (peur liée à une éventuelle consultation non volontaire d’images à caractère choquant) et ce, malgré le système de filtrage d’Internet mis en place et assuré par le DIP [7]. Ainsi, les recherches sur le web ont été soit guidées au sein d’un site spécifique (ex. Wikipedia), soit accompagnées par les enseignantes.

L’interface tactile, spécificité de la tablette tactile, induirait une utilisation très différente par rapport à l’utilisation de l’ordinateur (clavier/souris) ainsi qu’une interaction qui semble plus naturelle et directe. D’une part, ce type d’interaction paraît clairement plus facile à apprendre et à mettre en pratique. D’autre part, il semblerait nettement faciliter la production écrite des élèves en général, et plus particulièrement des élèves dits « dys » [8]. Bien que nous n’ayons pas poussé nos recherches plus loin, les enseignantes et nous-mêmes pensons que l’usage du clavier virtuel pourrait libérer certaines ressources cognitives liées à la motricité fine (tenue du crayon, formation des lettres cursives, etc.) ce qui permettrait à l’élève de se concentrer sur d’autres éléments.

Adéquation de l’équipement (logiciels)
Concernant l’équipement adéquat au niveau des logiciels (applications) et la configuration type d’une tablette, nous déconseillerions la mise à disposition d’une tablette dite « sous cellophane » dans laquelle tout resterait à faire par les enseignants (configuration, installation, recherche d’applications…). Nos deux enseignantes se sont clairement exprimées sur ce sujet et il leur semble inconcevable de recevoir une tablette n’intégrant pas de contenus sur lesquels se baser pour démarrer leurs activités pédagogiques. De ce fait, nous préconiserions plutôt une mise à disposition de tablettes configurées embarquant un certain nombre de contenus et applications, et dont la configuration serait adaptée au niveau scolaire visé. Ces derniers devraient permettre aux enseignants de réaliser des activités pouvant être aisément identifiées comme étant compatibles avec le plan d’études. Nous aimerions préciser que le bouquet d’applications/contenus intégrés dans la tablette, ou mis à disposition de l’enseignant via une logithèque, devrait être utilisable sous différentes formes et représenter plusieurs types d’inspirations psychopédagogiques (béhaviorisme, cognitivisme, constructiviste, socioconstructivisme) afin de permettre à l’enseignant de varier sa pédagogie et de répondre aux besoins et attentes de tous les élèves présents dans sa classe.

Nos deux enseignantes nous ont fait part de leur envie de pouvoir installer elles-mêmes diverses applications supplémentaires en fonction des besoins, idées et thématiques rencontrés sur le moment dans leur programme. Nous pensons qu’une configuration présentant la possibilité d’installer (et désinstaller) diverses applications favoriserait les utilisations pédagogiques des tablettes par les enseignants dans leur classe.

Le coût lié aux applications et autres éventuels accessoires complémentaires devrait être sérieusement pris en considération car celui-ci pourrait augmenter de manière non négligeable le prix de départ d’une tablette. Il semble important de préciser qu’une application classée dans les plateformes de téléchargement au sein d’une catégorie nommée éducation ou enseignement ne garantit aucunement son potentiel pédagogique. A contrario, de nombreuses applications classées hors catégorie éducation/enseignement, peuvent se révéler particulièrement intéressantes pour un usage en contexte pédagogique.

Dans l’idéal, mettre à disposition des enseignant-e-s une sélection de ressources et applications préalablement testées et validées par un personnel adéquat (enseignants ingénieurs pédagogiques…) pourrait être un bon projet. De ce fait, les applications ayant un fort potentiel pédagogique et répondant à certains critères (adéquation avec le plan d’études, absence de publicité…) seraient ainsi disponibles dans une « applicathèque » présente sur le portail du département de l’instruction publique.

De plus, donner la possibilité aux enseignants de proposer sur une plateforme d’échanges des scénarios pédagogiques, de courtes séquences vidéo tournées en classe et diverses astuces pourrait favoriser la perception du champ des possibles et la mise en perspectives d’usages pédagogiques réalisables en classe. Cette démarche rejoindrait d’une certaine manière la vision de Guyomar pour qui il semble effectivement important « d’éveiller la curiosité des enseignants non-innovateurs [9]et de les attirer vers la mise en place de leurs propres actions pédagogiques nouvelles » (2012). Pour ce faire, Guyomar conseille de diffuser plus largement les actions innovantes, de décrire leur mise en œuvre, et de pointer les valeurs ajoutées possibles que chaque acteur pourrait en retirer.

Effets positifs d’une intégration pédagogique efficace des TICE
Le troisième principe du modèle de Barrette s’intéresse au niveau des effets positifs d’une intégration pédagogique efficace des TICE selon trois manifestations interreliées (améliorations des résultats scolaires, motivation et intérêt accrus chez les élèves et les enseignantes, manifestation accrue d’opérations cognitives complexes).

Motivation, concentration, opérations cognitives complexes
La motivation chez les élèves semble être l’élément visible le plus incontestable lors de l’usage de tablettes tactiles. Les enseignantes ont instantanément perçu une très forte motivation de la part des élèves et ce, sur l’ensemble du projet, soit les vingt-et-une semaines. Les élèves ont fait preuve d’un engagement dans la tâche qui n’avait jusque-là jamais été observé par les enseignantes. D’ailleurs, celles-ci ont relaté à plusieurs reprises les capacités de concentration et de focalisation de tous les élèves sur la tâche qui leur avait été demandée et ce, pendant une durée rarement égalée dans les situations sans tablette.

De plus, plusieurs activités médiatisées par les tablettes ont démontré des manifestations accrues d’opérations cognitives complexes chez les élèves, notamment en français, géométrie et géographie. Il semblerait que la motivation ressentie par les élèves augmente celle des enseignantes par effet de « contagion » et favoriserait la réflexion et la créativité autour des futurs usages de la tablette chez les enseignantes. Bien entendu, il nous manque encore le recul nécessaire pour savoir si cette motivation est liée à l’effet nouveauté de la tablette (autant pour les enseignantes que pour les élèves), si cette motivation est susceptible de durer sur plusieurs années et si cette motivation provient avant tout des usages de la tablette plus que de l’outil en lui-même.

Catégories d’analyse supplémentaires
Les catégories que nous avons ajoutées en complément à notre cadre d’analyse pointaient quatre thématiques spécifiques, à savoir : discipline ; mobilité ; utilité perçue par les élèves et les enseignantes ; utilisabilité.

Discipline (excitation et niveau sonore)
Les enseignantes nous ont fait part de deux manifestations qui leur ont demandé de discipliner les élèves. D’une part, le niveau sonore dans leur classe augmentait de manière significative lors de l’usage des tablettes par les élèves, et d’autre part, une certaine excitation apparaissait lorsque l’activité sur tablette se sentait venir. De ce fait, ces deux enseignantes ont dû faire recours à la discipline, notamment lors des premiers usages des tablettes, afin de centrer les élèves et maintenir un niveau sonore dans la classe qui leur paraissait acceptable et propice à l’apprentissage. Heureusement, ces deux problématiques se sont considérablement estompées au fil des semaines.

Mobilité
L’aspect ultra mobile de cet artefact (en comparaison à l’ordinateur) ouvrirait de nouvelles possibilités quant aux lieux de consultations et productions. Nous avons effectivement pu remarquer une facilité de déplacements de l’artefact et des élèves lors de son usage en classe (passages de la tablette entre les mains des élèves, entre deux bureaux, utilisation sur le canapé, sur le sol…). Néanmoins, aucune activité pédagogique réalisée par les élèves n’a eu lieu hors de l’enceinte de l’école. Une exception toutefois pour les usages réalisés par les enseignantes qui se sont vues, à plusieurs reprises, emporter chez elles une tablette en vue de préparer leur prochaine activité pédagogique. Bien que cela n’ait pas été le cas, l’ensemble des élèves interviewés auraient aimé pouvoir ramener la tablette chez eux après les cours. Plusieurs d’entre eux, et dont les parents possédaient déjà une tablette, ont fait la demande auprès d’une des enseignantes pour pouvoir utiliser les mêmes applications pédagogiques à domicile. Il convient aussi de porter une attention particulière sur la façon dont les tablettes sont utilisées lorsqu’elles ne sont pas placées sur une table, notamment concernant l’ergonomie au travail et les éventuels problèmes que pourraient rencontrer les utilisateurs suite à des postures incommodantes et pouvant conduire à différentes gênes selon certaines études (Young et al., 2012).

Utilité perçue par les élèves et les enseignantes
L’utilité est définie dans notre recherche comme étant la capacité de la tablette à aider à la réalisation de l’activité pédagogique. Ainsi, cette perception de l’utilité de la tablette par les enseignantes et les élèves est en général très positive. Néanmoins, ce constat mérite toutefois d’être nuancé. En effet, l’utilité perçue autant par les élèves que par les enseignantes est relativisée en fonction des activités pédagogiques réalisées. En ce sens, certaines activités ont été « transcendées » et ont vu leur efficacité en termes d’apprentissage augmenté à travers l’utilisation de la tablette [10], alors que d’autres activités ne semblaient tout simplement pas nécessiter de dispositifs si sophistiqués, de par le fait qu’elles se seraient très bien déroulées avec les moyens déjà disponibles en classe. La tablette est donc vue par nos enseignantes non comme l’outil à tout faire ou l’outil central de leur enseignement, mais comme un outil complémentaire qui ne doit pas remplacer les outils déjà présents en classe dont l’utilité et l’utilisabilité ont fait leurs preuves.

Importance du contexte institutionnel
Le contexte institutionnel joue quant à lui un rôle important sur la motivation des enseignantes à s’engager dans un projet misant sur les TICE. En effet, le soutien de la directrice de l’établissement scolaire ou la visite intéressée de la directrice générale de l’enseignement primaire au sein du département de l’instruction publique fut particulièrement appréciée et a sans aucun doute valorisé l’investissement en temps et en énergie qu’ont mis les enseignantes dans cette expérience. Ainsi, le fait que les pairs ou supérieurs perçoivent une in/utilité liée à l’utilisation pédagogique de la tablette en contexte pédagogique peut influencer en partie les perceptions des enseignantes et se traduire à travers une augmentation/diminution de leur confiance en leur démarche et/ou un renforcement de leurs propres perceptions de l’in/utilité de l’usage de tablettes dans la classe.

Nous n’avons malheureusement pas pu analyser la catégorie complémentaire utilisabilité que nous avions ajoutée à notre cadre théorique. Cela est dû à une quantité trop faible d’unités codées dans notre corpus.

15 avantages et 7 défis pointés par T. Karsenti et A. Fievez (2013)

Notre recherche (terminée en février 2014) rejoint certains résultats actuels en matière de recherche sur les usages de la tablette tactile en enseignement primaire. Ainsi, les données qui ressortent de notre étude de cas confirment 8 des 15 avantages identifiés par Thierry Karsenti et Aurélien Fievez (2013), à savoir :

  • motivation accrue des élèves ;
  • accès à l’information ;
  • portabilité de l’outil ;
  • organisation du travail plus aisée ;
  • collaboration accrue entre les élèves, puis aussi entre les élèves et l’enseignant ;
  • variété des ressources présentées (images, vidéos, applications, etc.) ;
  • possibilité d’aller à son rythme pour les élèves ;
  • développement de compétences informatiques chez les élèves et chez les enseignants.

Quant aux 7 défis pointés par les mêmes auteurs, 5 d’entre eux semblent demander une attention particulière, à savoir : la distraction ; l’écriture de texte ; la gestion des travaux ; la méconnaissance des ressources ; le sous-usage des livres électroniques.

Conclusion

Arrivés à la fin de cette recherche, nous espérons que nous aurons réussi à démontrer le potentiel considérable que représente l’usage des tablettes tactiles en contexte pédagogique. Nous espérons que notre étude de cas aura aussi permis de mettre en évidence la difficulté relative que représente l’intégration pédagogique de cet outil dans une perspective optimale. Nous estimons que les enseignantes qui ont participé à cette recherche ont adopté une posture qui s’oriente vers la posture dite d’utilisatrice exemplaire des TICE telle que définie par Carole Raby (2004). En effet, nos deux enseignantes ont eu recours à l’artefact tablette pour remplir leurs fonctions professionnelles et pédagogiques de manière fréquente et régulière. Elles ont permis à leurs élèves d’apprendre davantage en les engageant fréquemment et régulièrement dans diverses activités réalisées à l’aide des tablettes et ce, en favorisant l’acquisition et la construction des connaissances et le développement de compétences disciplinaires et transversales dans un environnement d’apprentissage actif et significatif.

Les usages que nous avons pu observer et l’analyse des différents passages d’entretiens traitant de la posture de l’enseignant nous démontrent que l’intégration pédagogique de la tablette tactile en classe élargit très fortement le champ des possibles, sans pour autant révolutionner la pratique enseignante et la posture des élèves, ces deux derniers éléments étant souvent redoutés par certain-e-s enseignant-e-s.

En somme, les résultats de cette recherche nous conduisent à rejoindre l’avis de nombreux chercheurs du domaine des TICE. En effet, cette étude de cas démontre qu’il vaut mieux ne pas appréhender l’artefact tablette tactile ou ses fonctionnalités comme point central de la problématique. En d’autres termes, et comme le disent très justement Karsenti et Fievez, « il est important de rappeler que ce ne sont ni les technologies ni les tablettes tactiles qui favoriseront la motivation ou la réussite des jeunes, mais bien les usages qui en seront faits, tant par les enseignants que par les élèves. » (2013, p.41) et Bétrancourt de conclure « comme pour tout support numérique, c’est moins ce que l’outil fait qui importe que ce que l’on peut faire avec […] C’est bien de la qualité des usages que dépendra in fine l’efficacité de l’outil. » (Bétrancourt, 2012, pp.49-50).

Références bibliographiques

Barrette, C. (2011). Métarecherche sur les TIC en pédagogie : du diagnostic au pronostic. Pédagogie Collégiale, vol. 24, n°4, été 2011, (pp. 4-9).

Bétrancourt, M. (2007). Pour des usages des TIC au service de l’apprentissage. in Gérard Puimatto (ed.) TICE : L’usage en travaux, N° hors-série des Dossiers de l’ingénierie éducative (pp. 127-137). Paris : CRDP. Récupéré de : http://www2.cndp.fr/lesScripts/bandeau/bandeau.asp?bas=http://www2.cndp.fr/DOSSIERSIE/hs1/tice.asp

Bétrancourt, M. (2012). Flash informatique D. Vol. Spécial été, 2012, (pp. 49-51). http://flashinformatique.epfl.ch/IMG/pdf/sp-12-page49.pdf

Crahay, M. (2006). Un bilan des recherches processus-produit. L’enseignement peut-il contribuer à l’apprentissage des élèves et, si oui, comment ? Genève : Carnet des sciences de l’éducation.

Guyomar, A. (2012). (BLOG) Les TICE et les innovations pédagogiques incrémentales. Recenser, encourager, accompagner et diffuser les initiatives et les innovations pédagogiques afin de faire évoluer les pratiques pédagogiques ordinaires. Récupéré de : http://readip.blogspot.ch/2012/05/les-tice-et-les-innovations_16.html

Karsenti, T. & Fievez, A. (2013). L’iPad à l’école : usages, avantages et défis. Résultats d’une enquête auprès de 6057 élèves et 302 enseignants du Québec (Canada). Rapport préliminaire des principaux résultats. Récupéré de : http://www.karsenti.ca/ipad/pdf/rapport_iPad_Karsenti-Fievez_FR.pdf

Prensky, M. (2001). “Digital Natives, Digital Immigrants” in On the Horizon, MCB University Press, Vol. 9, n°5, October 2001.

Raby, C. (2004). Analyse du cheminement qui a mené des enseignants du primaire à développer une utilisation exemplaire des technologies de l’information et de la communication (tic) en classe. Travail de thèse, Université du Québec à Montréal. Récupéré de : http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00000750

Young, J. G., Trudeau, M., Odell, D., Marinelli, K., & Dennerlein, J. T. (2012). Touch-screen tablet user configurations and case-supported tilt affect head and neck flexion angles. Work : A Journal of Prevention, Assessment and Rehabilitation, 41(1), (pp. 81-91). doi :10.3233/WOR-2012-1337. Récupéré de : http://iospress.metapress.com/content/x668002xv6211041/

Article version PDF

[1L’intégralité de cette recherche est accessible sur le site MALTT de l’université de Genève http://tecfa.unige.ch/tecfa/maltt/memoire/boujol2014.pdf

[2Classification introduite en 2011 à Genève : http://icp.ge.ch/dip/maths/spip.php?article221.

[3De 4 à 20 unités permettant ainsi une utilisation possible (mais non obligatoire) en « one to one ».

[4Le PER définit les objectifs d’enseignement pour chaque degré et pour chaque cycle ainsi que les proportions respectives des domaines d’études par cycle.

[5En dehors des cours et majoritairement chez les enseignantes.

[6Les 20 tablettes permettant un usage en « one to one » ont été mises à disposition des enseignantes durant 2 semaines seulement.

[7Département de l’instruction publique.

[8Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dysgraphie et dyspraxie. Deux élèves de ce type étaient présents dans la classe que nous avons observée.

[9Au niveau de l’utilisation des TIC.

[10Comme cela a pu être le cas par exemple lors d’un travail de géométrie 3D traitant du développement de la vision dans l’espace à travers des exercices de déploiements d’un cube.


 

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