Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Quelle(s) approche(s) pédagogiques des TIC dans l’Enseignement supérieur au Maroc

lundi 29 avril 2013 Samira Bezzari

Pour citer cet article :

Bezzari Samira (2013). Quelle(s) approche(s) pédagogiques des TIC dans l’Enseignement supérieur au Maroc. Adjectif.net Mis en ligne lundi 29 avril 2013 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article230

Résumé :

L’importance des TICE dans le déploiement du renouveau pédagogique est incontestable aujourd’hui. Cependant, la réussite de leur intégration demeure tributaire des pratiques enseignantes. Porter une réflexion sur cette problématique, nous a conduite à procéder à une enquête de type qualitatif fondée sur l’entretien libre et sur l’observation. L’analyse des résultats recueillis a fait ressortir que l’approche pédagogique prônée par les enseignants contribue peu à utiliser les TICE dans le module de communication.

Mots clés :

TICE, Approches pédagogiques, Module de la Communication, Société du savoir, Enseignement supérieur, Maroc

Bezzari Samira. Doctorante, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Chouaib Doukkali, ElJadida bezzari.fstg@gmail.com

Introduction

Le progrès des technologies a modifié le rapport au savoir et aux méthodes d’enseignement et d’acquisitions des connaissances. Les TICE viennent conforter ce constat et les pédagogues contemporains les associent à de nouvelles approches inévitables dans le processus d’enseignement et d’apprentissage. En effet, « ce n’est pas la technologie qui éduque mais ce qu’on en fait » (Peraya, Viens, 2003, p. 3).

Les TICE, qui concernent en général toute technologie utilisée autour des outils informatiques pouvant améliorer les pratiques pédagogiques, nous renvoient à des outils que des personnes, selon Karsenti, qui auraient la volonté et la “conviction” de les utiliser pourraient s’approprier (Karsenti, 2008). Cette appropriation se fait, malheureusement, en dehors de toute prise de conscience quant à la pédagogie. Néanmoins, la vision et la compréhension qu’ont les acteurs des TICE sont celles qui se focalisent sur les outils et évacue tout domaine de recherche et de développement autour de la pédagogie.

Les recherches actuelles indiquent que les TIC ne remplaceront pas l’enseignant ; elles l’assisteront plutôt dans sa pratique en améliorant les activités qu’il crée et en faciliteraient l’apprentissage de ses élèves.

Au Maroc, où nous assistons à une prise de conscience et à un effort de généralisation des TICE (programme GENI 2009-2013), nous demeurons loin de l’utilisation pédagogique dans laquelle l’enseignant jouit amplement des avantages qu’offrent potentiellement les TIC surtout dans l’enseignement de certains modules tel que celui de la Communication.

Problématique

Au Maroc, les décideurs ont tablé sur la généralisation des TICE dans les établissements afin d’accompagner la réforme de l’enseignement. Cependant, il est manifeste qu’outre le fait d’équiper les institutions et celui de l’utilisation méthodique, se pose la problématique de la pédagogie à prôner avec les TICE.

Étant un acteur directement concerné par cette problématique, notre objectif est d’évaluer les pratiques pédagogiques dans l’enseignement de la communication dans les universités en nous basant sur le cas de l’établissement où nous exerçons, en l’occurrence la Faculté des Sciences et Techniques de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech.

Le choix portant sur l’étude du module de la Communication n’est pas fortuit. Tout d’abord, c’est notre domaine d’enseignement. Ensuite, la communication voit son statut s’émanciper de nouvelles valeurs afférentes à l’arsenal technologique qui lui est associé et aux pratiques pédagogiques qu’elle revendique. En effet, étant donné le rôle crucial que s’assigne la communication dans la mise en place du savoir, du savoir-faire, du savoir-être et du savoir-devenir chez les apprenants dans une société qui privilégie de plus en plus la compétence communicative, il serait judicieux de se poser des questions susceptibles de faire avancer la recherche dans ce domaine et d’augurer de nouvelles perspectives mieux adaptées au contexte universitaire marocain.

Dans ce cadre, nous avons étudié la problématique des enjeux de l’enseignement de la Communication à l’université marocaine en nous basant sur le cas de la Faculté des Sciences et Techniques de Marrakech.

Nous sommes parties de deux hypothèses :

  • l’enseignement de la Communication exige un dispositif TICE.
  • le milieu conserve encore des approches traditionnelles avec une utilisation marginale des TICE.

Nous constatons que l’université tarde à utiliser les TIC alors que les entreprises utilisent le e-cv, les tests d’évaluation online, le e-recrutement, le tchat-emploi…Aussi, comment les jeunes diplômés à la recherche d’un emploi peuvent-ils se familiariser avec ces pratiques, en relation étroite avec l’utilisation des technologies, si les enseignants continuent à enseigner traditionnellement ? « Si l’école dispense un enseignement qui n’est plus utile à l’extérieur, elle court un risque de déqualification » (El Hajjami & Al, 2009, P.12). Réfuter ce constat serait actuellement refuser de s’inscrire dans la société du savoir.

Méthodologie de recherche

La démarche méthodologique adoptée pour l’étude de notre problématique se base sur une approche qualitative vu la précision des données relatives aux approches préconisées quant à l’enseignement de la Communication. Cette approche essentiellement descriptive nous a permis, à partir d’entretiens semi-directifs et d’observation de cours, d’étudier et de comprendre les processus d’intégration des TICE ainsi que la pédagogie qui les accompagne.

Dans le cadre de notre enquête, nous avons utilisé en premier lieu des entretiens semi-structurés. Dans un second lieu, nous avons opté pour l’observation directe du déroulement des cours. Ce dernier outil nous a été d’une grande aide, car il a permis la vérification des propos recueillis lors de l’entretien et aussi d’assister in vivo aux différentes approches préconisées par les enseignantes intervenant dans le module de Communication.

Au niveau de l’échantillon, nous avons mené notre enquête auprès de toutes les enseignantes du module de Communication au sein de la faculté des Sciences et Techniques de Marrakech. Elles sont au nombre de 6. Il s’agit d’un échantillon représentatif au sein de la Faculté car il a touché toutes les enseignantes concernées par notre question de recherche.

Résultats

Place des TICE dans la formation initiale, dans la formation continue et dans les stages

Les répondantes ont déclaré n’avoir pas eu d’enseignement relatif aux TICE dans leurs formations de base. Cependant, elles font usage des TIC en classe et hors classe grâce à des formations continues et qui ont eu pour but la maîtrise des logiciels de bureaux (Word, Excel, power point). D’après elles, ce sont les logiciels dont elles ont besoin pour enseigner. S’ajoute à cela, les techniques de recherche sur Internet et la messagerie. En ce qui concerne les stages ou en général les expériences professionnelles inhérentes à la pédagogie de la Communication, aucune des répondantes ne visait des objectifs d’intégration des TICE dans le choix de la formation étant donné que cet aspect requiert des compétences spécifiques et une maîtrise avancée des outils informatiques. Le terme de formation ici correspond aux formations ou stages financés soit par l’établissement soit par l’enseignant lui-même. Ceci, nous renvoie à réfléchir sérieusement sur les objectifs de formations ou de stages proposés aux enseignants en général et à ceux de la Communication en particulier.

Les enseignantes sur lesquelles a porté notre étude ont un niveau moyen d’alphabétisation informatique. Elles bénéficient d’un soutien logistique (salles équipées par vidéoprojecteur, salle multimédia en cours d’élaboration) mais elles n’ont pas vécu des mises en situation leur permettant de constater in vivo les avantages pédagogiques du recours aux TICE pour reprendre les conditions favorables à l’intégration des TIC chez Larose, Grenon et Lafrance (2002). In fine, il ressort de cette étape d’étude que l’approche pédagogique assignée aux TICE est négligée.

L’intérêt que portent nos enquêtées aux TICE est évalué sur la base de trois éléments de leurs cours en l’occurrence l’exposé, le C.V et l’entretien d’embauche. Ces trois composantes du programme que nous avons pris à titre d’exemple constituent des éléments clés actuellement dans la professionnalisation des étudiants et exigent par la suite un enseignement actualisé pour répondre aux prérogatives du marché de l’emploi.

Les résultats montrent que l’utilisation des TICE chez les enseignantes équivaut à l’utilisation du vidéoprojecteur et au contact assuré via e-mail avec les apprenants sauf dans un seul cas où nous avons noté la présence de simulations vidéo recueillies sur Internet. Nous notons l’absence de l’autoscopie pendant les séances des exposés (enregistrement et projection de la prestation de l’étudiant pour les critiques, la raison avancée par les enseignantes et celle des dysfonctionnements de la salle multimédia). Certaines enseignantes ont qualifié leur pédagogie, dans cet axe, de pédagogie de découverte, car elle laisse un champ libre à l’étudiant dans la découverte du thème, du traitement et de l’exploitation des données de sa recherche. Les autres enseignantes parlent de pédagogie active car elle responsabilise l’étudiant et le met dans une situation d’action-réaction face aux éléments de sa recherche.

L’enseignement du C.V, quant à lui, est du ressort du professeur. L’étudiant n’est là que pour poser des questions et corriger ses erreurs. Cet enseignement se contente de l’utilisation du tableau et de la remise de quelques modèles format papier.

L’élément entretien d’embauche se base sur une partie théorique indiquant les questions fréquemment posées et les réponses à formuler. Dans certains cas, le professeur a recours à des simulations avec les étudiants dans lesquelles il remplit le rôle du recruteur. Ses simulations sont confirmées par des vidéos de simulation recueillies sur Internet par certaines enseignantes. En général, les enseignantes ont déclaré que leur pédagogie se base sur le schéma suivant :

Objectif - Séquence - Évaluation

Hors classe, certaines enseignantes gardent le contact via e-mail avec leurs étudiants. Ces derniers posent en général des questions en rapport avec le cours ou réclament un complément d’informations. À l’unanimité, les enseignantes ont déclaré ne jamais utiliser des exercices interactifs, mettre en ligne des simulations au service des étudiants, tutorer à distance, recourir à des forums de discussion pédagogiques ou encore scénariser des cours pour une mise en ligne.

En revanche, elles déclarent pouvoir répondre volontiers aux e-mails de leurs étudiants, effectuer des recherches sur Internet pour actualiser leur savoir et pour créer des supports de cours à projeter. Les enseignantes reconnaissent, en général, l’apport considérable des technologies mais elles déplorent le manque de formation pédagogique susceptible d’optimiser les TICE ; des répondantes ont signalé, dans ce sens, le fait qu’elles se sentent dépassées parfois par rapport à la compétence technique des étudiants et elles se sentent frustrées de ne pas pouvoir profiter comme il le faut de cette manne technologique. Elles expriment leur volonté de suivre les évolutions des technologies et les intégrer d’une manière efficace dans leur pédagogie.

Besoins des enseignants en formations relatives à la pédagogie moyennant les TICE

Cette phase de l’entretien a visé l’identification des besoins des enseignants en TICE. Des formations complètes ont été sollicitées dans les domaines suivants :

  • Scénariser un cours ;
  • Élaborer des exercices interactifs ;
  • Tutorer à distance ;
  • Simuler des entretiens d’embauche audiovisuels.
    Cependant, un renforcement technique a été réclamé par certaines répondantes qui considèrent que le manque de formation continue constitue un frein majeur à l’intégration des TICE.

Discussion

L’enseignement de la communication dans l’université marocaine peine encore à se défaire des approches traditionnelles. Les enseignantes intègrent les TICE d’une manière dite néocomportementaliste (Larose, Grenon, Lafrance, 2002) puisqu’ils conjuguent les TICE avec les anciennes pratiques. Dans ce contexte, les acteurs sont fiers de la rapidité du traitement mais déplorent les contraintes liées à la maitrise de ces outils, d’autant plus que la formation de base ne prend pas en charge les TICE. L’utilisation des technologies génère des usages particuliers mais elle implique en général des habiletés opérationnelles et se situe au niveau de quelques compétences identifiables (logiciels de bureautique, messagerie, recherche sur Internet, créer un support et le projeter) alors que d’autres, demeurent spécifiques et dépendent de la volonté des acteurs (scénarisation, exercices interactifs, simulations...) afin de construire, s’approprier et diffuser des connaissances.

Le Ministère de tutelle marocain a encouragé, en effet, l’intégration des TIC dans l’éducation en mettant en place un concours pour les enseignants innovants. Toutefois, le nombre de contributions reste en deçà des aspirations des responsables : entre 159 et 261 enseignants par an à l’échelle nationale depuis 2005 jusqu’à 2010 (Ahaji, 2009). Ce postulat est déclaré autrement par Alain Jaillet (2004, p. 213) qui affirme que « les professeurs ont tendance à faire comme si l’ordinateur était un outil comme les autres à l’image d’un stylo ou d’un manuel. Or, ce n’est qu’en banalisant [les outils] mais en l’adoptant, en essayant d’en tirer parti au mieux qu’ils peuvent s’en faire un allié ». Malheureusement, on insinue toujours un effet de causalité qui considère les outils comme le facteur de réussite de l’apprentissage. Toutefois, il est manifeste que les outils ne remplaceront jamais la pédagogie.

À noter, que malgré la problématique d’intégrer les TIC dans l’éducation, les enseignants sont conscients de l’apport considérable qu’offrent ces techniques dans la formation supérieure et par la suite de la rupture profonde qu’elles imposent avec les approches traditionnelles. Ceci nous renvoie aux problèmes de suivi et d’orientation de l’apprenant qui, sans l’aide de son enseignant, exploite à mauvais escient les technologies. L’étudiant, dit natif numérique (Karsenti, 2009), ne participe pas activement à la construction de son savoir, puisqu’il est victime de la surinformation et se contente dans sa recherche du copier-coller sans aucune critique du contenu. Or, l’enseignant dépourvu d’outils nécessaires à la maitrise des TICE ne peut en aucun cas initier les apprenants à l’autoformation.

Un autre souci majeur, déjà cité dans notre problématique, est celui du manque de crédibilité de l’enseignant du module de Communication qui dispense un savoir déphasé par rapport au marché du travail. En effet, les techniques de recherche d’emploi ainsi que le processus de recrutement numérisé (e-recrutement) font défaut aux apprenants. La préparation à la professionnalisation au sein des universités reste défaillante tant que les enseignants demeurent sceptiques vis-à-vis de l’utilisation des TICE dans leurs pratiques pédagogiques.

Conclusion

L’intégration des TICE dans le module de Communication au sein de l’université marocaine demeure à l’état embryonnaire, malgré le décalage noté dans la préparation à la professionnalisation des étudiants et les pratiques réelles du recrutement à l’heure actuelle au sein des entreprises. Les enseignants peinent à utiliser les TICE dans leur pédagogie. Ceci est dû, d’une part, au manque de formations dans ce domaine et, d’autre part, à la méconnaissance de la pertinence des TICE dans l’enseignement de la communication.

En somme, notre étude a laissé entrevoir les recommandations suivantes :

  • instaurer des politiques solides et des plans d’action concrets visant l’utilisation quotidienne et effective des TICE ;
  • intégrer les TICE dans les programmes de formation initiale des futurs enseignants de la communication pour une maitrise technopédagogique ;
  • programmer des stages et des mises en situation axés sur l’utilisation des TICE afin d’encourager les enseignants à innover dans leurs dispositifs pédagogiques ;
  • mettre en place une salle multimédia à la disposition des enseignants et des apprenants afin d’améliorer la qualité de l’enseignement / apprentissage ;
  • institutionnaliser des moyens de stimulation en faveur des enseignants-stagiaires et des formateurs ;
  • promouvoir la collaboration et la mutualisation des expériences avec les universités pionnières.

Références

El Hajjami, A. Chikhaoui, A. Ajana, L. El Mokri, A. (2009). Les technologies de l’information et de la communication en éducation. Édition Afrique Orient. Maroc. ISBN : 9789981256218. 167 pages.

Kabbaj, M. Talbi, M. Drissi My, M. Abouhanifa, S. (2009). Programme GENIE au Maroc : TICE et développement professionnel. Mathématice. N° 16. Septembre. En ligne http://revue.sesamath.net/spip.php?article233

Jaillet, A. (2004). L’Ecole à l’ère numérique. Des espaces numériques pour l’éducation à l’enseignement à distance. l’Harmattan. Paris. ISBN : 2-7475-6992-6. 264 pages

Karsenti, T. (Dir.). (2009). Intégration pédagogique des TIC : stratégies d’action et pistes de réflexion. Ottawa : CRDI. PDF. 193 pages. En ligne http://crdi.crifpe.ca/karsenti/docs/livre.pdf

Larose, F., Grenon, V. & Lafrance, S. (2002) Pratiques et profiles d’utilisation des TICE chez les enseignants d’une université. In Guir, R. (Dir.) Pratiquer les TICE, former les enseignants et les formateurs à de nouveaux usages. Chapitre 1. P. 23-47. Edition De Boeck Supérieur « Pédagogies en développement ». Bruxelles. ISBN : 9782206082110. 303 pages

Peraya, D. & Viens, J. (2003). TIC et innovations pédagogiques : y a-t-il un pilote... après Dieu, bien sûr. In T. Karsenti, L’intégration pédagogique des TIC dans le travail enseignant. Recherches et pratiques. Actes du symposium du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), Université de Montréal (Rimouski, ACFAS, 20 mai 2003). Montréal : Cahiers de l’ACFAS. PUQ, Chapitre 1, p.15-60. ISBN:9782760513983. 260 pages

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