Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

L’application de nouveaux médias en classe

Emploi d’un blog scolaire à des fins de projection et de diffusion de modèles médiatiques et culturels alternatifs
mercredi 13 février 2013 Elsa Deliyanni ; Dimitra Dimitrakopoulou

Pour citer cet article :

Deliyanni, Elsa et Dimitrakopoulou, Dimitra (2013). L’application de nouveaux médias en classe : Emploi d’un blog scolaire à des fins de projection et de diffusion de modèles médiatiques et culturels alternatifs. Adjectif.net Mis en ligne mercredi 13 février 2013 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article211

Résumé :

Cette contribution porte sur l’analyse des apports de la création et de l’utilisation d’un blog comme vecteur d’émancipation et de modèles culturels alternatifs pour des élèves de primaire dans le contexte actuel pour la Grèce.

Mots clés :

Autonomie, Conscience, Enseignement élémentaire, Médias sociaux

Elsa Deliyanni (Pr. Associée, Département de Journalisme et de Communication – Université Aristote de Thessalonique)

Dimitra Dimitrakopoulou (Maître de Conférences, Département de Journalisme et de Communication – Université Aristote de Thessalonique)

1. Contexte de la recherche

1.1. Contexte théorique

L’avènement du web 2.0 et le développement des réseaux sociaux ont donné naissance à des formes d’échanges tout à fait nouvelles bouleversant les principes traditionnels de communication. En même temps, la convergence des secteurs de production et de distribution dans le domaine des biens culturels, signale le passage de la civilisation occidentale à un nouveau paradigme culturel. Cette révolution qu’un grand nombre de chercheurs qualifient d’équivalente à celle de l’imprimerie (Mc Namara : 2010), ne pouvait pas ne pas affecter les fondements de l’éducation formelle et traditionnelle.

Les nouvelles possibilités de recherche, de tri et d’organisation de l’information circulant sur les boulevards électroniques du Net interactif, combinées à la faculté de s’organiser en réseau, modifient les termes sous lesquels est opérée la perception, l’intégration et de la diffusion du savoir et contribuent à la construction d’une nouvelle intelligence collective qui lance de nouveaux défis aux enseignants et aux élèves, leur offrant des occasions d’apprendre flexibles et dynamiques (Redecker & autres : 2009, Rececker & Punie : 2011). Un nouveau modèle d’apprentissage, « 2.0 learning », se fait jour, dont les traits principaux sont : la collaboration, la participation active de l’apprenti au processus de l’apprentissage (en tant qu’auteur, co-auteur, producteur de contenus, évaluateur ou, enfin, commentateur), l’individualisation du processus d’apprentissage et l’adaptation de ce dernier aux besoins personnels des élèves.

Cependant, si la nouvelle génération d’élèves, surtout celle des gens nés après 1982 [1], a plus ou moins grandi dans un environnement où les TIC étaient intégrées à la vie quotidienne, la question reste ouverte quant à l’aptitude des enseignants, qui n’ont pas eux-mêmes reçu une éducation aux médias traditionnels [2], à comprendre l’aspect communicationnel et culturel des nouveaux médias avant de les intégrer dans le processus d’enseignement, et à transmettre des savoir-faire à leurs élèves. Le défi lancé aux enseignants à l’heure actuelle n’est pas tellement le fait d’acquérir la connaissance technologique pour l’usage des TIC et des Nouveaux Médias, que celui d’acquérir un ensemble de connaissances qui leur permettra de transmettre à leurs élèves les savoirs favorisant un emploi créatif de ceux-ci qui minimiserait en même temps les risques inhérents à leur usage. Dans ce contexte, la question majeure qui se pose, de prime abord, est celle de savoir quel devrait être le contenu d’un programme d’éducation aux Nouveaux Médias et quel devrait être le contenu d’une formation continue des enseignants dans ce domaine.

C’est dans le contexte théorique décrit ci-dessus que s’inscrit la recherche, dont le thème porte sur l’application de Nouveaux Médias et outils du Net 2.0 (blogs, médias et réseaux sociaux) en classe de l’école élémentaire, qui constitue l’objet de cet article.

1.2. Bref aperçu des étapes principales de la recherche

La recherche trouve son origine dans un événement de la vie scolaire : la création spontanée d’un blog [ferentes.blogspot.com] par l’instituteur de 3e (et ensuite de la 4e) classe de l’école expérimentale de l’Université Aristote de Thessalonique en collaboration avec les élèves de la classe et leurs parents.

Tout au long du fonctionnement du blog (années scolaires 2008-2009 et 2009-2010), la première d’entre nous, sous son double rôle de parent d’une élève de cette classe d’une part et de professeur spécialisée dans le domaine de la communication par les Nouveaux Médias d’autre part, a activement participé au processus de la mise en œuvre de celui-ci et conserva un rôle consultatif, vis-à-vis de l’instituteur, des parents et des élèves [3].

Les effets positifs que cette entreprise a eu, au niveau du processus d’apprentissage, ainsi qu’au niveau de la communication en classe et l’impact positif qu’a pu exercer l’instituteur sur la personnalité même des enfants, ont conduit la première d’entre nous à formuler, en avril 2009, une proposition de recherche [4], à intégrer au sein d’une proposition de recherche plus large et pluridisciplinaire qui a fait l’objet d’une demande de financement auprès du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Continue dans le cadre du projet de recherche intitulé « Thalis » [5].

L’approche de la recherche fut dès le départ triple : il était question d’examiner l’intégration des nouveaux médias dans le cadre du processus de l’enseignement traditionnel, d’étudier et concevoir les différentes facettes de leur utilisation en tant qu’outils indépendants à des fins de construction d’une « culture de Nouveaux Médias » dans le cadre du système scolaire et enfin, de rechercher et concevoir le contenu éventuel d’une formation continue et pluridisciplinaire des enseignants dans ce domaine.

Malheureusement, suite aux bouleversements survenus dans le secteur de l’enseignement public en Grèce, depuis 2010, le projet précité n’a pas été financé [6]. A défaut de trouver une source alternative de financement, un an après, en juin 2011 et, alors que le fonctionnement du blog était déjà terminé, puisque les élèves en question étaient déjà en 5e classe et ils avaient changé d’instituteur, nous avons décidé de mener une étude d’évaluation du blog, par la mise en œuvre d’une enquête qualitative sous forme de « focus groupes », dans l’objectif de transcrire l’impact qu’a eu sur eux, l’intégration des Nouveaux Medias en classe et d’enregistrer le dégré d’intégration de modèles culturels alternatifs (Atton, 2006) dans leur vie quotidienne. A cette occasion, la seconde d’entre nous a déposé une proposition d’étude post-doctorale, sous la direction de la première, honorée du « prix d’excellence 2011 » du Comité de la Recherche de l’Université Aristote de Thessalonique.

Dans les paragraphes qui suivent, suite à une analyse brève de la physionomie du blog ferentes.blogspot.com, nous allons faire état de la méthodologie employée pour la mise en œuvre de la recherche, avant d’analyser les résultats de celle-ci.

2. Le concept du blog et sa physionomie

L’instituteur D. Korkoriadis, avait conçu le blog de prime abord, en tant qu’outil communicationnel en vue d’améliorer la qualité de sa communication vis-à-vis des élèves et des parents et, secondairement, en tant qu’outil d’éducation et de travail.

Son contenu comprenait une multitude de genres de contenus, couvrant une large gamme de thèmes : tout ce qui pourrait attirer l’intérêt d’un enfant de 8-10 ans. Comme l’instituteur était en même temps musicien et sculpteur, l’accent était mis sur la musique, sur l’art, ainsi que sur le jeu interactif. En même temps, il y avait un grand nombre d’articles enrichissant la matière des cours : des articles proposant une lecture alternative de l’histoire ou bien des articles sur les Maths [7]. Jour après jour les élèves commencèrent à explorer des univers provenant du passé, du présent et de l’avenir, à découvrir les codes pour accéder à une culture différente que celle proposée par les médias traditionnels et le « show-biz » international. En tant que parents, nous nous sommes rendu compte qu’ils attendaient le moment de terminer leurs devoirs pour pouvoir naviguer sur le blog et découvrir les nouvelles publications de leur Maître [8].

C’est là où surgit la mission majeure du blog : ayant constaté que l’instituteur était converti en un média ultra-puissant, produisant et diffusant du savoir et de la culture, susceptible sinon de modifier, au moins de diversifier les goûts et les choix médiatiques et culturels des enfants, la question fut posée de savoir comment et sous quelles conditions un média « alternatif » (Atton, 2006), produit et géré par un instituteur, est susceptible de limiter les effets indésirables (néfastes) des médias [9] et de constituer, de façon positive, un vecteur de pluralisme culturel, qui ne se limiterait pas à la culture médiatique dominante (Ferry, 2001)

Au fur et à mesure que les publications se multipliaient, un certain nombre de questions furent posées qui nécessitaient des réponses parfois urgentes. En effet, il s’agissait d’une prise conscience des devoirs et responsabilités à l’égard des élèves et des parents qui étaient des usagers moins avertis des TIC et des médias interactifs, dans la mesure où d’un jour à l’autre, ils avaient acquis la possibilité de jouer un rôle de communicateur actif dans l’espace public sans en avoir conscience.

Premièrement, le problème d’exclusion des familles qui n’avaient pas l’équipement technologique nécessaire (connexion internet ou, même, ordinateur) chez eux.

Par la suite, de nombreuses questions sur la sécurité des enfants sur le Net, furent posées, concernant, notamment, la surexposition de leur personnalité et de leur image, en raison de photos ou autres contenus susceptibles d’être publiés par eux-mêmes ou par les adultes.

Enfin, un chapitre important fut la gestion des risques de contenu illicite et la sauvegarde de la physionomie propre du média, tout en respectant la liberté d’expression des enfants et des parents.

3. L’évaluation du blog — Méthodologie

Un an après, en juin 2011, nous avons procédé à l’évaluation du blog en question par le biais de l’application d’une méthode qualitative de recherche. Nous avons, plus particulièrement, opéré des entretiens approfondis sous forme de « focus groupes » [10] constitués par les élèves de la classe. Les raisons qui ont motivé notre choix pour cette méthode particulière, qui constituent elles-mêmes l’avantage comparatif de cet outil de recherche, en général, sont regroupées comme suit :

  • Possibilité d’approfondir l’analyse de l’objet d’étude,
  • Possibilité de profiter de l’interaction entre les élèves membres du groupe en vue d’explorer qualitativement les interactions qui ont eu lieu tout au long du fonctionnement du blog,
  • Possibilité de profiter de la dynamique et de la flexibilité qu’offre cette méthode,
  • Possibilité de faire rentrer dans le champ de la recherche l’expression et les réactions non verbales des participants,
  • Possibilité de focaliser sur le comportement des participants, sur leurs sentiments, leurs opinions, leurs expériences, et leur vécu en général.

De plus, l’emploi de focus groupes permet de collecter des informations d’une qualité supérieure par rapport à celles susceptibles d’être obtenues par le biais des méthodes quantitatives (par ex. les questionnaires). Enfin, la jeunesse des participants a constitué le facteur déterminant ayant guidé notre choix définitif, pour une méthode plus personnelle et immédiate, qui pourrait par elle-même créer un cadre convivial, susceptible de libérer l’expression des sentiments des enfants (Morgan, 1988).

L’ensemble des entretiens de groupe ont eu lieu dans une seule et même journée scolaire, en vue de créer chez les enfants le sentiment de participation et d’éviter qu’une partie de ceux-ci se sente exclue du processus [11]. La classe étant constituée de 25 élèves, 5 groupes furent constitués au départ (5 enfants par groupe), par l’institutrice de l’année en cours. Il lui avait été demandé de faire ces groupes en prenant en considération tant la nécessité d’existence d’un équilibre sur le plan de la représentation des deux sexes que le dégré d’expérience des membres de chaque groupe sur le plan des TIC [12].

Les discussions/entretiens ont eu lieu dans un endroit neutre, confortable et informel (en dehors de la classe). Une attention particulière fut donnée à la façon dont on allait s’asseoir pour ne pas créer chez les enfants la sensation d’une interrogation. Des étiquettes colorées portant les noms de tous, (y compris de ceux des instituteurs [13] et des chercheurs, furent distribuées aux membres des groupes interviewés, afin de créer le sentiment d’appartenance à une même communauté. Le guide d’entretien semi-directif, que nous avons préparé, fut rédigé sur la base des axes suivants :

  1. Usage de l’ordinateur et des TIC en général,
  2. acquisition de savoir-faire,
  3. fracture numérique,
  4. autonomie dans la recherche d’informations,
  5. aptitude à reconnaître l’information utile et l’information inutile, valeur ajoutée de Nouveaux Médias,
  6. interaction-interactivité,
  7. questions de sécurité, de droit d’auteur sur internet,
  8. modèles médiatiques et culturels alternatifs.

Tout au long des entretiens, des cartes portant des signes et des signalements employés couramment dans le cadre d’internet et des Nouveaux Médias, ainsi que des photos provenant du blog furent employées, en vue de visualiser certaines questions, où de rappeler aux enfants des événements majeurs, vécus tout au long de cette période [14]. Les entretiens furent enregistrés sur archive numérique sonore et furent, par la suite, retranscrits de façon absolument conforme et exacte. Les réponses furent utilisées en tant qu’unités d’analyse.

Une faiblesse de la recherche est due au fait qu’à défaut d’autre choix, nous avons été obligées de mener celle-ci une année après la fin de fonctionnement du blog. Bien entendu, nous avons tenu compte de cet incident dans la rédaction du guide d’entretien et dans le planning général de la recherche, car du fait de ce laps de temps écoulé, on ne pouvait pas profiter de la spontanéité de l’expérience immédiate, vécue par les enfants, à l’occasion de l’usage du blog. En effet, les mémoires ainsi que les sentiments étaient effacés par le temps. D’un autre côté, nous avons eu sur ce point l’occasion de transcrire une expérience du processus d’apprentissage des TIC beaucoup plus « holiste », portant sur l’ensemble des activités scolaires ou non-scolaires, passées ou présentes.

Un facteur supplémentaire, dont l’on devait tenir compte, était le fait que les données qu’on allait collecter seraient essentiellement constituées des informations que les enfants allaient nous transmettre, celles-ci constituant leur propre opinion et croyance sur ce qu’ils avaient vu ou appris et, donc, de leur propre réalité subjective. Nous avons été, en conséquence, obligées de concevoir un outil, par le biais duquel on pourrait plus ou moins vérifier des écarts trop importants entre les faits rapportés et l’expérience réellement vécue et appréhendée. L’emploi d’éléments visuels et des photos, ainsi que la confection de collages collectifs portant sur le thème de l’entretien nous ont permis, jusqu’à une certaine mesure, de pallier à cet inconvénient [15].

4. Analyse des résultats

L’analyse des résultats de la recherche a mis l’accent sur le regroupement et l’évaluation de motifs répétitifs, de questions, de critiques et de commentaires exprimés par les élèves au sein des groupes. Tout en étant structurée autour des axes mentionnés dans le paragraphe précédent, elle a été, quant à son contenu, enrichie de la dynamique développée au sein des groupes et tempérée grâce à l’expérience acquise par la première d’entre nous tout au long du fonctionnement du blog, qui a permis l’éclaircissement d’un certain nombre de points ambigus. Nous analyserons ci-après les trouvailles les plus significatifs :

4.1. Acquisition de savoir-faire relatif à l’usage des TIC

Les élèves citent comme source principale de leur savoir-faire les parents et les instituteurs à l’école. Le facteur sexe rentre de façon déterminante au plan des résultats : le père apparaît comme le dispensateur principal de savoir en la matière, les mères n’intervenant que dans le cas où il n’y a pas de père dans la famille ou bien dans le cas où elles disposent d’une expertise, ou d’un titre universitaire en matière de TIC. Les instituteurs contribuent largement dans le domaine d’apprentissage de l’usage de l’ordinateur, de la navigation sur internet et de l’apprentissage de logiciels tels que PPT ou WORD, mais le degré d’intervention de l’instituteur en tant que vecteur de savoir dans ce domaine dépend à chaque fois de son niveau de savoir-faire en la matière [16]

Il est assez intéressant de noter que l’acquisition de savoir-faire en matière de TIC est plus liée à un processus d’apprentissage informel, voire à une expérience d’usage, ce qui signale la tendance des jeunes gens d’aujourd’hui, à s’occuper des ordinateurs et des TIC, en général, d’une façon spontanée, presque automatique, de les intégrer de plus en plus dans le cadre de leur temps de divertissement quotidien.

4.2. Capacité d’entreprendre une recherche autonome sur internet

La majorité des élèves ont dit qu’ils emploient le Net dans deux cas : soit pour jouer, soit pour rechercher des informations nécessaires pour rédiger des devoirs écrits. Ils ont la capacité d’entamer une recherche autonome, mais avouent être souvent perdus devant la quantité d’information qu’ils reçoivent. Lοrsqu’ils se sentent incapables de trier et d’évaluer l’utilité de l’information qu’ils reçoivent, ils demandent l’aide de leurs parents ou de leurs frères et sœurs aînés. Wikipedia constitue un site très populaire et se trouve très haut placée dans leurs préférences. L’on pourrait conclure, ici, que l’on identifie des indices d’un savoir-faire concernant la recherche autonome et active sur le Net, même si le rôle consultatif de l’enseignant et des parents est assez déterminant.

4.3. Le développement du blog scolaire

4.3.3. Valeur ajoutée du médium interactif

Dès que la discussion a porté sur le blog, on s’est très vite aperçu que celui-ci a été un nouvel outil d’apprentissage et de divertissement à la fois. Le blog offrait un nouvel environnement didactique qui amusait beaucoup les élèves. Même si, au départ, ils ne savaient pas trop de quoi il s’agissait et comment ils allaient l’employer, ils ont graduellement commencé à y participer activement par le biais de « posts », de commentaires, voire même de publication de produits multimédias dont ils étaient les auteurs. À la fin de l’année scolaire 2010, beaucoup d’élèves ont fini par créer leurs propres blogs [17]. En général, le blog et les ordinateurs représentaient pour eux le côté intéressant et amusant du processus d’apprentissage, alors que les méthodes traditionnelles représentaient le côté ennuyant de l’école [18].

En plus, le travail en équipe les a rapprochés les uns des autres, le fait de travailler pour un objectif commun a progressivement créé en eux le sens de la communauté et a stimulé le travail en collaboration. Le fait que les parents et leurs proches participaient aussi au processus passivement en tant que lecteurs ou même activement en tant qu’éditeurs de « posts » les stimulait beaucoup dans leur activité.

4.3.4. L’expression personnelle en tant que valeur autonome

L’échange d’opinions, les commentaires, les critiques ont été reconnues comme une valeur ajoutée primordiale, dans le sens où les enfants ont trouvé un nouveau champ d’expression leur permettant d’être mieux « entendus » par des personnes autres que les camarades de classe, de devenir plus « populaires », d’être « heureux » ou d’appartenir « à la famille des bloggers ».

La possibilité d’interaction offerte par le blog se révélait un outil exceptionnel leur ouvrant de nouvelles perspectives pour prolonger la communication entre camarades de classe après la fin de la journée scolaire. C’était cette possibilité qui les motivait à se connecter après l’école et à passer tout l’après-midi sur le blog. Pour les élèves qui hésitaient à participer oralement en classe, le blog était une seconde classe, leur donnant une nouvelle possibilité de s’exprimer cette fois par écrit [19].

4.3.5. Questions de sécurité — droit d’auteur

Les enfants ont eux-mêmes posé le problème et le danger d’une « sur -exposition » de leur personnalité dans les réseaux. Ils ont été mis au courant de ces questions par des parents, l’instituteur et leurs proches. Lorsqu’il se trouvent sur des sites qui leur paraissent bizarres, ils ferment la page ou vont le dire à leurs parents. Or, si l’on peut être certains qu’ils connaissent les risques, cela ne démontre pas pour autant qu’ils aient conscience du danger, qu’ils soient aptes à le reconnaître et capables de se protéger le cas échéant ; la simple connaissance ne conduit pas nécessairement à l’adoption d’un comportement plus responsable sur ce point.

Les parents posent, de leur côté, des règles à l’usage de l’ordinateur et d’internet, mais ces règles se limitent, le plus souvent, aux questions de durée d’usage et ne rentrent que rarement dans des questions de fond.

A propos des questions de droits, obligations et responsabilités en tant qu’auteurs, producteurs et diffuseurs de contenus, on constate un vide total dans l’apprentissage et de connaissance des règles du jeu. Les questions de droit d’auteur quant à l’utilisation de courtes citations d’œuvres de tierces personnes, ainsi que la question de citation des sources passent presque inaperçues des enfants. Si, de toute façon, il est certain que les enfants ne peuvent pas réagir activement aux expériences qu’ils acquièrent de leur contact avec les Médias et ne sont capables ni d’exprimer ce qu’ils apprennent de leur participation, ni de développer des normes éthiques et des valeurs qui sont nécessaires pour faire face à l’environnement social complexe que constituent les réseaux (Jenkins & al, 2009), on constate sur cette question précise qu’il y a un vide éducationnel, une absence de culture, qui provient tant du système scolaire que du milieu familial et social plus généralement. Même les parents et les enseignants avertis, ne sont pas en mesure et ne connaissent pas la méthode pour sensibiliser les enfants sur ce point. Car il ne suffit pas de dire aux enfants que cela n’est pas permis, il faut aussi leur expliquer et leur faire sentir ce qu’il y a de mauvais dans l’attitude en question [20].

4.3.6. Le blog en tant que vecteur de culture alternative : un changement de paradigme quant à l’adoption de modèles médiatiques et culturels ?

C’est une trouvaille très intéressante, peut-être la plus importante de la recherche. Elle concerne le dégré de changement des habitudes et des choix de divertissement des élèves durant et après le fonctionnement du blog.

La quasi-totalité des élèves mentionnèrent qu’ils utilisaient de façon systématique le blog et passaient beaucoup moins de temps devant la TV. Ils ont en plus mentionné de façon déterminante que ce changement a eu lieu suite à la création du blog et a coïncidé avec la période de son fonctionnement. Certains élèves ont invoqué que depuis leur implication dans le processus de « blogging », leurs préférences ont changé quant aux programmes télévisuels qu’ils regardaient et qu’ils recherchaient dès lors des programmes de qualité (documentaires etc.). Ce fait signale que l’usage d’un Médium alternatif pourrait éventuellement contribuer à l’adoption de modèles médiatiques et culturels plus diversifiés [21] par les enfants. En effet, le blog, par le biais des messages concrets diffusés par l’instituteur, a constitué le moyen leur ayant permis de connaître une culture différente de celle à laquelle ils étaient habitués jusqu’alors. Il leur a donné l’occasion d’échapper à la matière officielle des cours et d’enrichir leurs esprits de connaissances tout à fait formidables. De son côté, l’instituteur, a eu l’occasion d’inaugurer avec eux un dialogue portant sur l’approche critique de la société de consommation et de la culture commerciale :
"... cette discussion nous a fait penser la musique de façon différente. Il y a certaines chansons, qui même si elles datent de quarante ou de cinquante ans sont très belles et on peut très bien les écouter aujourd’hui."

5. En guise de conclusion

Les résultats de cette recherche, combinés aux résultats de nombreuses autres recherches importantes menées dans le cadre du thème « Nouveaux Médias et Éducation formelle » démontrent le rôle significatif que peuvent jouer les premiers dans le cadre de la seconde : les caractéristiques techniques et communicationnelles de nouveaux médias et outils du Web 2.0 (y compris l’interaction et la possibilité de travailler en réseau) offrent aux élèves et aux enseignants la possibilité de s’impliquer dans des procédures d’apprentissage collaboratives (Redecker & Punie, 2011). On observe un accroissement de la motivation pour apprendre et de leur capacité à travailler en équipe. On constate, en plus, que les élèves ont progressivement développé le sens de « l’inclusion » et de l’appartenance à une communauté. Bien entendu, ce n’est pas l’outil et le médium en tant que tels, pris dans un sens absolu, qui font la différence. Le médium n’est que l’extension des capacités humaines (Dimitrakopoulou in Deliyanni : 2012 et Deliyanni in Deliyanni : 2012) ; le rôle de l’enseignant, sa personnalité et sa culture, ses propres visions, ainsi que le dégré de son implication dans ce processus jouent, ici, un rôle prépondérant (Deliyanni : 2010).

L’expérience que nous avons acquise dans le cadre du fonctionnement du blog ainsi que dans le cadre de la mise en œuvre de son évaluation, nous a permis de parvenir à un certain nombre de conclusions quant à la forme et au contenu d’un programme d’éducation aux Nouveaux Médias (et symétriquement, d’un programme de formation continue des enseignants dans ce domaine) susceptible de trouver application dans le cadre de l’éducation primaire. Il est sûr et certain que tout projet de formation dans ce domaine doit suivre une approche pluridisciplinaire qui ne se limitera pas à l’acquisition de compétences technologiques, car la simple utilisation des TIC en classe ne suffit pas pour créer des citoyens qui savent comment gérer le contenu des Nouveaux Médias et l’utiliser de façon créative.

Les enseignants, même ceux de la dernière génération, n’ont pas dans leur majorité, acquis la compétence pour enseigner le processus lié à la production de contenu multimédia et des règles auxquelles ces contenus obéissent, même s’ils sont eux-mêmes des usagers avertis.

En conséquence, le contenu d’un programme d’éducation aux Nouveaux Médias et, symétriquement, le projet de formation continue des enseignants dans ce domaine, devrait combiner des compétences, relevant du secteur de la communication et, notamment du secteur des Nouveaux Médias, du secteur de la pédagogie et, enfin du secteur de la psychologie sociale. C’est, le contenu de ce programme de formation continue qui est étudié à l’heure actuelle au sein du Département de Journalisme et de Communication de l’Université Aristote de Thessalonique.

Références

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  • Deliyanni E. (2012). Droit et Communication dans le cadre des blogs et des Nouveaux, Médias : Questions juridiques, Ethique et Déontologie du Journalisme des Citoyens, avec la participation de Dimitrakopoulou D. et de Topalidis H., Nomiki Vivliothiki, Athènes – Thessalonique 2012, 412 pages (en langue Grecque).
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  • Morgan, D.L. (1988). Focus groups as qualitative research, London : Sage Publications.
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  • Steele K. & Cheater M. (2008). Connecting with the Facebook Generation : Social Media Strategies for Web 2.0. Paper presented at the Atlantic Association of Registrars and Admission Officers-Interchange 2008 Conference Diverse Perspectives : A New Generation of Students, disponible sur : http://www.academicagroup.com/AARAO-2008
  • Wimmer R.D. & Dominick J.R. (1997). Mass media research : An introduction, Belmont, CA : Wadsworth. 
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[1Certains auteurs se réfèrent à la “Net Generation” (Olbinger & Olbinger : 2005) certains autres aux « Millenials » (Pedró : 2006, Baird & Fisher : 2006, Dede : 2005, OECD : 2008), ou à la « génération Facebook » (Steele & Cheater : 2008) d’autres, enfin, font état des “digital natives”, (McLester : 2007).

[2L’éducation aux médias est, selon sa définition contemporaine, entendue en tant qu’habileté à accéder, comprendre et évaluer avec un œil critique les différentes facettes et les contenus des médias traditionnels ou nouveaux, combinée à un savoir faire dans la création de messages et de produits multimédias.

[3V. à cet égard le blog : http://newmediacultur.blogspot.gr/créé en 2009, par E. Deliyanni, afin de soutenir les efforts de D. Korkoriadis.

[4« Intervention au sein de l’Education Primaire afin d’établir un projet de formation continue des enseignants et des parents dans le domaine des TIC, dans l’objectif de construire une « Culture des Médias Sociaux ».

[5« Enfants et Jeunes dans la Famille, l’Ecole et la Société : l’expérience de l’enfance, de la puberté et de la jeunesse, en Grèce, dans le cadre de sociétés contemporaines en pleine mutation » (proposition « Thalis » déposée par le Département de Psychologie de l’Université Aristote (AUTH) avec la collaboration de 8 autres Départements Universitaires).

[6Ce projet a été présenté à la 3ème Conférence Internationale, « Children & Youth in Changing Societies », organisée le 2-4/12/2010, à Thessalonique par la Société de Psychologie de la Grèce du Nord et le Département de Psychologie (AUTH), v. à cet égard la présentation du blog par son auteur, D. Korkoriadis, disponible sur : http://www.authorstream.com/Presentation/aSGuest32417-279394-blog-education-ppt-powerpoint/ et l’exposé d’ Elsa Deliyanni, sur : http://auth.academia.edu/ElsaDeliyanni

[7Malheureusement, pour une raison inconnue, le blog ferentes.blogspot.com n’est pas accessible en ce moment. Son auteur recherche la cause de cet incident et adressera très bientôt, une lettre à la plateforme Blogger. Heureusement, des photos des principales publications les plus importantes du blog en questions existent sur la présentation de D. Korkoriadis précitée, disponible sur http://www.authorstream.com/Presentation/aSGuest32417-279394-blog-education-ppt-powerpoint/. Par exemple, un article sur les origines d’Eurovision et son évolution ultérieure, les commentaires des enfants de 4ème, suite à une visite de la classe à la rétrospective de Miro, le rapport entre la phalange militaire des Grecs anciens et la démocratie, la multiplication selon la méthode Chinoise, etc.

[8V. une présentation PPT de D. Korkoriadis, sur la battaille de Marathon, qui avait également, été publiée sur le blog, sur : http://www.authorstream.com/Presentation/ferentes-295749-peiramatiko-marathon-battle-education-ppt-powerpoint/ ainsi que d’autres présentation du même auteur, sur : http://www.authorstream.com/ferentes/1

[9Les recherches importantes depuis bien des années sur le plan des Sciences de la Communication ont de façon déterminante démontré les effets indésirables des Médias sur les téléspectateurs (Balle, 2002).

[10Nous avons considéré que cet outil de méthode qualitative était le plus adéquat dans la mesure où il allait nous permettre de collecter de données d’un volume et d’une diversité importantes provenant de sous–groupes d’une population (des élèves d’une classe de l’école primaire), d’étudier des aspects et des domaines qui restaient obscurs, d’appréhender des processus cognitifs complexes et d’approfondir des questions requérant une interaction au sein d’un groupe. V. pour les objectifs des focus-groupes, Fern (2001).

[11Les parents avaient au préalable reçu une lettre officielle leur expliquant le contenu exact de la recherche, accompagné d’un formulaire à signer en vertu duquel ils donnaient la permission à leur enfant de participer au-dit groupe. L’instituteur, auteur du blog ainsi que l’institutrice de l’année en cours étaient présents dans le lieu où se déroulèrent les entretiens.

[12Pour la préparation et la mise en œuvre de cette recherche, nous avons employé le « Best Practice Guide » du Programme “EU Kids Online”, disponible sur : http://www2.lse.ac.uk/media@lse/research/EUKidsOnline/BestPracticeGuide/Home.aspx

[13Les deux instituteurs (l’ancien instituteur, M. Korkoriadis, ainsi que l’institutrice de l’année en cours) étaient présents dans la salle en tant qu’observateurs.

[14Il s’agissait de la photo d’une œuvre de Joan Miró pour leur rappeler leur visite à l’exposition de l’artiste et d’une photo d’un chanteur populaire Sakis Rouvas, pour leur rappeler la discussion qu’ils avaient eu en classe concernant la différence entre la musique « show biz » et la musique non commerciale.

[15A la fin de l’entretien, chaque groupe prenait un grand panneau en papier, des images de médias et plateformes internet populaires, des photos et des feutres de couleurs différents, et confectionnait son propre collage collectif de groupe, une sorte de « mind map » pour relier leurs propos verbaux par rapport aux images. Nous les avons incités à s’exprimer librement à travers le dessin et le collage, à rédiger des messages, des idées et des sentiments et à intervenir mutuellement les uns sur les dessins des autres, sous la seule condition que chacun utilise sa propre couleur de feutre. De cette façon, nous avons été capables de transcrire l’interaction entre les membres de chaque groupe et de mieux cerner ce que les enfants avaient réellement assimilé de leur implication au fonctionnement de ce médium interactif.

[16« C’est mon père qui m’a appris, maman ne sait pas grand-chose… » ; « Ni la mienne ! Elle ne sait même pas où se trouve le backspace ! ». Une fille a cité sa mère en tant que source de savoir-faire car sa mère est ingénieur, de même qu’une autre dont la mère est professeur de Nouveaux Médias à l’Université.

[17V. certains de ces blogs créés à la fin de l’année scolaire 2009-2010, par des élèves de la classe, sur : http://neraidonoufara2.blogspot.gr/2010_02_01_archive.html,http://christinesp.blogspot.gr/.Le blog de la classe de français, créé par les mêmes élèves, sur : http://francais2000.blogspot.gr/

[18« Lorsqu’on a travaillé sur le blog, le premier jour, on s’était dit… super, on va avoir moins de cours, puis la seconde, c’était la même chose, puis la troisième, la quatrième…, jusqu’à ce que l’on se rende compte que ça, c’était notre nouveau cours »

[19« Très souvent, en classe, on n’a pas beaucoup de temps. Alors, je ne lève pas la main pour poser ma question ou pour commenter. Et puis je me dis que je le ferai pendant la récré et à la fin on ne le fait pas ».

[20« Moi, je n’écris pas d’où j’ai tiré les infos, car ben… cela ne sera pas considéré comme un vol si on ne le montre qu’à un nombre limité de camarades de classe… parce que la plupart de textes que l’on copie c’est pour des dissertations et, dans ce cas-là, ce n’est pas nécessaire ». Ou bien : « on l’a fait pendant un certain laps de temps, puis ça a été oublié ». Les propos sus indiqués démontrent bien que quelqu’un leur avait dit une fois comment il fallait agir, mais, d’une part, il n’avait pas expliqué l’étendue exacte de l’obligation en question, et, d’autre part, il n’y avait pas eu de suivi sur ce point, et puis, les enfants n’ayant pas compris l’étendue et la substance de l’obligation l’avaient laissée tombée, sans qu’il y ait eu de répercussion sur eux.

[211) « Quand le blog s’est arrêté je ne savais plus quoi faire, alors j’ai recommencé à regarder la TV ». 2) « Après le fonctionnement je crois que je suis devenue plus sélective dans le choix des programmes que je regardais, avant je regardais n’importe quoi. Du fait qu’en utilisant l’internet j’ai commencé à avoir une opinion à moi sur quelque chose, par la suite j’ai commencé à avoir une opinion sur les programmes télévisuels, si un programme est bon ou pas bon ».


 

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