Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

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Apprentissages dans les fablabs : une approche instrumentale

lundi 30 septembre 2019 Matthieu Branthôme

Pour citer cet article :

Branthôme, Matthieu (2019). Apprentissages dans les fablabs : une approche instrumentale. Revue Adjectif, 2019 T3. Mis en ligne lundi 30 septembre 2019 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article504

Résumé :

Dans cet article, nous nous intéressons aux phénomènes d’enseignement-apprentissage dans le contexte des fablabs en partant des questions suivantes : quelles sont les intentions didactiques des fabmanagers et quels sont les dispositifs mis à la disposition des usagers pour favoriser les apprentissages ? Quels sont les apprentissages réalisés par les usagers et par quels moyens y parviennent-ils ?

Nous avons mené des observations et des entretiens auprès des usagers et des fabmanagers de quatre fablabs situés en région Bretagne. L’analyse des données de ce corpus, au moyen du cadre théorique de l’approche instrumentale (Rabardel, 1995), nous a permis d’établir des résultats. Nous avons répertorié puis catégorisé les intentions didactiques et les dispositifs proposés par les fabmanagers. Nous avons repéré les objectifs poursuivis par les usagers ainsi que les dispositifs utilisés pour réaliser leurs apprentissages. Enfin, nous avons confronté ces résultats afin de chercher des liens entre les intentions didactiques des fabmanagers et les apprentissages des usagers.

Mots clés :

Fablab, makerspace, apprentissage, enseignement, approche instrumentale

1. Introduction : le contexte du fablab

Nous présentons dans cet article la synthèse d’un travail portant sur les phénomènes d’enseignement-apprentissage dans l’environnement des fablabs.

Un fablab est un espace de création collaboratif, ouvert au public, dans lequel des outils de fabrication pilotés par ordinateur sont mis à disposition des usagers (Gershenfeld, 2005). Les activités y sont encadrées par un ou plusieurs fabmanagers endossant les rôles de gestionnaire, d’animateur et d’accompagnateur [1]. Les usagers ont la possibilité de mettre en œuvre des projets personnels ou collaboratifs de conception d’objets. Les objectifs qu’ils poursuivent vont de l’innovation à la création artistique, en passant par l’utilitaire (création, par exemple, d’une pièce permettant de réparer un appareil défectueux).

Le concept est né au début des années 2000, au MIT à Boston. A cette époque, Neil Gershenfeld (2005) conçoit un cours nommé « How to Make (almost) Anything » à destination d’une dizaine de ses étudiants les plus avancés. Il rassemble, en un même lieu, différentes machines de fabrication d’objets (incluant une imprimante 3D, une découpeuse laser et une fraiseuse numérique) ainsi que divers matériaux (dont des composants électroniques) afin que les étudiants puissent réaliser de bout en bout un projet finalisé. Le cours, victime de son succès, est suivi par des centaines d’étudiants d’horizons très différents : architectes, artistes ou ingénieurs. Gershenfeld lance ensuite une série d’expérimentations à plus grande échelle, hors les murs de l’université. Ainsi, il propose un kit de machines et de matériaux qu’il installe dans ce qu’il nomme des « Fab Lab » (Fabrication Laboratory). Les résultats, en termes d’affluence et d’engagement, sont semblables à ceux observés au MIT. Le phénomène essaime alors rapidement aux quatre coins du globe.

En 2009, le MIT fonde la Fab Foundation pour faciliter et soutenir le développement à l’international du réseau fablab. Chaque entité désirant faire partie du réseau doit désormais approuver une charte et ainsi répondre à un cahier des charges précis en termes d’équipement, d’ouverture au public et de partage des connaissances. On compte aujourd’hui 1769 fablabs officiels [2] disséminés sur les 5 continents.

Le réseau fablab fait partie d’une tendance plus large : le mouvement « Maker » tourné vers le « Do-It-Youself » et les nouvelles technologies (Anderson, 2012 ; Hatch, 2013). Ce mouvement promeut un ensemble de valeurs en réaction au modèle consumériste et à la production de masse. Le mouvement se structure autour de media comme le magazine américain « Make : » qui organise chaque année les évènements « Maker Faire » à travers le monde. On retrouve également une forte communauté sur Internet, sur les réseaux sociaux ou sur des sites de partage de projets.

On assiste, dans le même temps, au déploiement de ces espaces collaboratifs de fabrication dans les milieux scolaires et universitaires (Blikstein, 2013 ; Martinez et Stager, 2013). Les pouvoirs publics s’emparent aussi du phénomène pour développer leur politique culturelle et numérique. Nombre de musées, bibliothèques ou maisons de quartier possèdent désormais leurs propres lieux de fabrication numérique (Bosqué, Garnier et Gheorghiu, 2019). Dans cet article, nous utiliserons le terme fablab pour désigner indifféremment tous les dispositifs présentés ci-dessus.

Nous présentons tout d’abord le cadre théorique retenu et les questions de recherche qui en découlent. Nous exposons ensuite notre méthodologie et les principaux résultats que nous avons obtenus. Enfin, nous proposons en conclusion quelques perspectives.

2. Cadre théorique et problématique

Nous nous plaçons dans le cadre théorique de l’approche instrumentale de Rabardel (1995) et de ses prolongements que nous présentons ci-dessous.

Rabardel (1995) décrit les concepts d’artefact et de schème d’utilisation et leur association formant un instrument lors du processus de genèse instrumentale. Cette genèse est dirigée à la fois vers l’artefact, il s’agit de l’instrumentalisation et vers le sujet, c’est l’instrumentation.

A la suite des travaux issus des théories de l’activité (Vygotsky, 1934 ; Léontiev, 1981), Folcher et Rabardel (2004) proposent de considérer l’instrument comme un médiateur des relations entre le sujet et l’objet de son activité. Ils distinguent deux formes de médiations, les médiations épistémiques à l’objet (visant principalement la prise de connaissance de l’objet, de ses propriétés, de ses évolutions) et les médiations pragmatiques à l’objet (visant l’action sur l’objet : transformation, gestion, régulation).

Un milieu riche en artefacts permet au sujet, en les combinant, d’élaborer un système d’instruments pour une situation particulière. La genèse de ce système peut être guidée par une tierce personne, dans une situation d’enseignement, à travers des orchestrations instrumentales.

Trouche (2003) puis Drijvers et al. (2010) proposent de discerner dans ces orchestrations les configurations didactiques, c’est-à-dire l’agencement des artefacts dans l’environnement et les modes d’exploitation qui correspondent à la façon dont l’enseignant utilise les configurations au bénéfice de ses intentions didactiques.

En nous appuyant sur ces travaux théoriques, nous avons pu formuler les questions de recherche suivantes :

  • Du côté du fabmanager, quelles sont les configurations didactiques choisies pour constituer le fablab ? Quels sont les modes d’exploitation associés dans le but de favoriser les apprentissages des usagers ?
  • Du côté de l’usager engagé dans une activité d’apprentissage, quels processus de genèses instrumentales sont observés ? Quels processus d’instrumentalisation et d’instrumentation peut-on remarquer ? Quels types de médiations peut-on constater ?
  • Quels liens peut-on observer entre les intentions didactiques des fabmanagers et les apprentissages des usagers ?

3. Méthodologie : une méthode qualitative

Nous avons choisi une méthodologie qualitative basée sur des observations de terrain et des entretiens. Afin d’obtenir des données variées nous avons choisi comme terrain d’étude quatre lieux assez contrastés. Ils reflètent la diversité des fablabs du point de vue des statuts administratifs, des financements, des publics accueillis et des projets menés. Le tableau 1 synthétise les principales caractéristiques des fablabs de notre étude.

Tableau 1 : caractéristiques des fablabs de l’étude

La collecte des données a consisté, pour chacun des quatre fablabs, en une première visite informelle d’observation et de prise de contact. Nous avons ensuite, dans un second temps, mené un entretien semi-directif avec un fabmanager puis avec un usager du fablab. Afin de compléter les déclarations des usagers et de récolter un maximum d’éléments pouvant témoigner de leurs activités, nous avons demandé à chacun d’entre eux de présenter en détail une réalisation en cours ou passée. Nous avons ainsi pu effectuer des prises de vue, et collecter des documents relatifs à chaque projet.

Pour la partie traitement des données, nous avons transcrit les entretiens des fabmanagers puis analysé leur contenu en classant les déclarations par catégories (éléments biographiques, artefacts choisis pour le fablab, justifications de ces choix, intentions didactiques). Ceci dans l’objectif de considérer les orchestrations instrumentales, c’est-à-dire les choix et l’organisation des artefacts dans l’environnement (configurations didactiques) ainsi que les objectifs d’apprentissage visés à travers leur utilisation (mode d’exploitation).

Pour les usagers, nous avons transcrit les entretiens, catégorisé leurs déclarations (éléments biographiques, descriptions des projets, apprentissages réalisés) puis, en s’appuyant sur les documents et photos recueillis, nous avons analysé leur activité en prenant comme entrée le projet présenté. Nous nous sommes ainsi attaché à repérer les différents buts et artefacts mis en jeu. Nous avons par la suite essayé de caractériser les types de médiations (plutôt pragmatiques ou épistémiques) puis de déceler les indices des genèses instrumentales et des processus sous-jacents d’instrumentation et d’instrumentalisation.

Le tableau 2 présenté en annexe permet, à travers une brève présentation des usagers et de leur projet, de se faire une idée de notre corpus de données.

Nous gardons à l’esprit que notre méthodologie connaît des limites. En effet, la collecte de données déclaratives est sujette à plusieurs biais comme celui de désirabilité sociale (Crowne et Marlowe, 1960). De plus, la prise en compte du produit de l’activité, à un instant précis, ne permet pas de percevoir le processus de création dans son ensemble et d’évaluer précisément les apprentissages réalisés par les sujets.

4. Principaux résultats

4.1 Les fabmanagers : orchestrations instrumentales

Il ressort de nos analyses un certain nombre de traits communs entre les fabmanagers. D’abord, dans les configurations didactiques, le choix des artefacts qui constituent le fablab est relativement homogène et semble fortement influencé par les recommandations de la charte du MIT [3]. Cela n’empêche pas les fabmanagers d’adapter leurs outils ou d’en fabriquer eux-mêmes avec des objectifs d’apprentissage spécifiques ou pour répondre aux besoins des usagers sur un projet particulier. Notons par exemple la fabrication, à l’EduLab, d’une station de documentation dans le but d’amener les usagers à documenter et à partager leurs projets ou la confection, au LaboCesson, d’un système permettant aux usagers de concevoir des circuits imprimés. L’aménagement des lieux parait tenir compte de la nécessité d’un espace ouvert favorisant l’entraide et les échanges, la disposition des artefacts semble, sauf exception, obéir à des considérations plutôt pratiques (bruits) et réglementaires (poussières).

Ensuite, en nous appuyant sur les déclarations des fabmanagers, nous avons pu distinguer trois catégories d’objectifs d’enseignement. Nous les présentons ci-dessous en détaillant leurs mises en œuvre à travers les modes d’exploitation choisis.

D’abord, les apprentissages techniques qui ne sont pas cités comme finalité principale mais qui constituent, de fait, une condition nécessaire à l’utilisation du fablab. Il s’agit en effet de maîtriser, a minima, les outils matériels et logiciels pour être en mesure de mettre en œuvre son projet. Pour parvenir à ce type d’usage, les fabmanagers proposent différents modes d’exploitation : aide ponctuelle à la demande, mise en relation avec des pairs, initiation plus formelle sous la forme d’ateliers, utilisation autonome ou tutorée de ressources numériques choisies ou produites (vidéo YouTube, MOOCs, cours en ligne, sites de documentation). Les usages techniques sont présentés comme un prétexte, « un cheval de Troie » pour exercer des compétences plus transverses.

La deuxième catégorie d’objectifs concerne donc les apprentissages des compétences psychosociales définies comme « La capacité d’une personne à maintenir un état de bien‑être subjectif qui lui permet d’adopter un comportement approprié et positif à l’occasion d’interactions avec les autres, sa culture et son environnement » (Luis et Lamboy, 2015, p.12). Il s’agit de développer les pratiques collaboratives, la communication, la compréhension des autres, la connaissance de soi, l’acceptation de l’erreur ou la créativité. Pour encourager ces apprentissages, les fabmanagers imaginent des modes d’exploitation favorisant au maximum les interactions entre les usagers. Pour illustrer, nous pouvons évoquer l’UBO Open Factory qui propose régulièrement un « café des usagers » pour amener les différents acteurs à échanger sur leurs projets et leurs difficultés ou l’EduLab qui organise des ateliers autour d’un projet commun.

Enfin, on retrouve dans les buts pédagogiques de nombreuses références à la gestion de projet. Les usagers sont amenés à penser leur projet de bout en bout. En commençant par la conception à travers l’idéation (processus de production et de développement de nouvelles idées) et la créativité, la planification en termes de temps et de coût, puis la phase de production avec l’achat des matériaux, la réservation des machines, la responsabilité des apprentissages nécessaires à leur utilisation, et enfin, la diffusion avec la documentation du projet et son éventuelle présentation au public. Les modes d’exploitation proposés peuvent être des formations ciblées sur une compétence particulière ou des dispositions favorisant l’autonomie et la prise d’initiative.

Ces convergences résultent de la méthode d’analyse que nous avons mise en place qui consiste à chercher des similitudes dans les déclarations des fabmanagers pour en faire des catégories. Elles peuvent aussi être la conséquence d’autres facteurs. La charte du MIT semble, même si elle n’est toujours suivie à la lettre, largement influencer les choix matériels et les objectifs d’enseignement des fabmanagers. Nous pouvons aussi souligner l’incidence de la culture « Maker » qui, à travers des évènements comme les « Maker Faire », les partages de projets sur les réseaux-sociaux, inspire les fabmanagers et les usagers et dans leurs réalisations.

4.2 Les usagers : genèses instrumentales et types de médiations

Nous pouvons discerner dans l’analyse de l’activité des usagers un certain nombre d’éléments convergents. Tout d’abord, nous pouvons remarquer que les usagers que nous avons interrogés sont motivés au préalable par un projet personnel fort qui les fait se tourner vers le fablab : fabriquer de façon éthique et artisanale, gagner un concours, participer au développement d’un pays, apprendre dans le domaine des technologies. A la différence du contexte scolaire, ils viennent, de leur propre initiative, avec un investissement affectif fort, dans le but de résoudre un problème personnel.

Ensuite, nous pouvons observer des similitudes dans les dispositifs adoptés pour les apprentissages techniques. Une partie de ces apprentissages se fait au fablab, par les interventions directes des fabmanagers, par l’intermédiaire d’ateliers ou en utilisant des ressources numériques. Mais trois usagers sur les quatre que nous avons interrogés, déclarent avoir utilisé des ressources en autonomie, en dehors du fablab. Il s’agit de tutoriels vidéo visionnés sur YouTube, de cours en ligne, de documentations de projets partagées sur des sites spécialisés, de MOOCs , ou même de livres.

Ensuite, nous pouvons remarquer que le choix des artefacts utilisés peut dépendre de plusieurs facteurs. En premier lieu, des contraintes intrinsèques aux projets : problématique de robustesse (le robot filoguidé), choix de matériaux écologiques (le bracelet), prescriptions fortes (le robot programmable). Dans ce cas, nous pouvons dire que pour atteindre le but - choisir les artefacts - c’est plutôt le produit du projet, en tant qu’artefact, qui va influencer l’activité. Nous pouvons interpréter cela comme un processus d’instrumentation. Le choix des artefacts peut aussi dépendre des préférences et des habiletés personnelles des usagers pour les outils tantôt numériques ou manuels. Dans ce cas, c’est le processus d’instrumentalisation qui domine.

En considérant ces quatre cas, nous pouvons aussi distinguer des différences. On remarque, tout d’abord, que les objectifs à atteindre ne sont pas de même nature pour tous les usagers. En considérant le fablab comme un artefact global mis à leur disposition, nous pouvons faire le constat que les usagers s’en saisissent différemment.

Certains l’adoptent dans le but de réaliser leur projet. Ils sont plus tournés vers les médiations pragmatiques. Antoine, par exemple, utilise le fablab pour des raisons professionnelles, il s’agit d’assurer le prototypage et la production de ses bracelets. Pour Guillaume, il s’agit plutôt d’une pratique de loisir, il souhaite fabriquer un robot capable de gagner un concours en répondant à un cahier des charges particulier.

D’autres, désirent surtout apprendre, leurs objectifs d’apprentissage sont explicites et apparaissent clairement. Ils sont plus tournés vers les médiations épistémiques. Prenons l’exemple de Jérôme, il souhaite avant tout s’instruire et être au contact des nouvelles technologies. Imad souhaite, de son côté, améliorer sa maitrise technique et parvenir à transposer un maximum de technologies dans son pays natal.

Au-delà de ces écarts dans les objectifs, nous pouvons aussi constater une certaine hétérogénéité dans le niveau de maîtrise technique des usagers. Certains, comme Jérôme ou Antoine, avaient peu ou pas de connaissances préalables et ont, par conséquent, entamé leurs activités au fablab en tant que débutants. D’autres comme Imad ou Guillaume possédaient déjà de bonnes bases techniques qu’ils ont pu améliorer, au cours du temps, par la pratique.

Nous pouvons remarquer que les processus d’instrumentalisation sont davantage présents lorsque les usagers atteignent un certain niveau d’expertise technique. Les processus d’instrumentation concernent, quant à eux, plus particulièrement les usagers débutants et ceux plus tournés vers les médiations épistémiques.

4.3 Liens entre les intentions des fabmanagers et les apprentissages des usagers

Nous avons tenté d’analyser les liens entre les intentions didactiques et les dispositifs proposés par les fabmanagers et les apprentissages des usagers. Nous avons, dans cet objectif, représenté les profils d’enseignement des fabmanagers et les profils d’apprentissage des usagers dans deux diagrammes en étoile (Illustration 1), avec l’idée de pouvoir identifier des liens.

Chaque diagramme comporte six axes, les trois axes du haut permettent de discerner les domaines d’apprentissages (sociaux, gestion de projet, techniques), et les quatre axes du bas, les modes d’exploitation (ressources numériques, aide des pairs, apports directs d’un fabmanager, atelier d’initiation). Pour un fabmanager, le profil d’enseignement comprend les intentions didactiques évoquées lors des entretiens (trois axes du haut), et les modes d’exploitation qu’il propose aux usagers (quatre axes du bas). Pour un usager, le profil d’apprentissage comprend les domaines d’apprentissages réalisés (trois axes du haut) et les dispositifs utilisés pour y parvenir (quatre axes du bas). Pour évaluer les apprentissages réalisés par les usagers, nous avons essayé de mesurer l’écart entre leur niveau initial, établi sur la base de leurs déclarations, et les compétences mises en œuvre dans les projets observés. Nous avons donc construit une « étoile » pour chaque sujet en utilisant la même couleur pour le fabmanager et l’usager d’un même fablab. Nous avons également fait apparaître les types de médiations privilégiés par chaque usager.

Illustration 1 : Profils des fabmanagers et des usagers

En comparant ces diagrammes, il apparaît à première vue que les profils des usagers et des fabmanagers sont plutôt différents, le binôme en rouge (SB-Factory/Antoine) s’écartant, quant à lui, beaucoup des autres. Nous allons ci-dessous décrire ces différences et avancer un certain nombre d’hypothèses pour tenter de les expliquer.

Nous pouvons d’abord observer que les ressources numériques sont souvent proposées par les fabmanagers et beaucoup utilisées par les usagers. Cette utilisation peut être prescrite et donc influencée par les fabmanagers (Jérôme et Imad), mais peut aussi être le fait d’une pratique autonome et autodidacte (Guillaume, par exemple, se forme en autonomie à son domicile en visionnant des tutoriels sur YouTube).

Il ne semble pas y avoir de liens entre les intentions didactiques des fabmanagers liées à la gestion de projet et les apprentissages effectifs des usagers. Il semblerait que ces apprentissages soient fortement liés à la nature et à la complexité du projet des usagers. Les projets les plus complets nécessitent une mise en œuvre compliquée et nécessitent, de fait, une organisation plus importante. Nous pouvons remarquer que les médiations pragmatiques engendrent sans doute les projets les plus réalistes et par conséquent les plus complexes (Antoine et Guillaume).

Les apprentissages techniques sont présents, surtout pour les usagers disposant d’un faible capital technique initial (Antoine et Jérôme) ou ceux tournés vers les médiations épistémiques (Imad). Ce type d’apprentissage ne semble pas lié aux intentions didactiques des fabmanagers.

On retrouve une forte correspondance entre, d’une part, la proposition d’ateliers d’initiation et d’apports directs par les fabmanagers et, d’autre part, l’utilisation de ces modes d’exploitation par les usagers. Ces dispositifs semblent en effet répondre à des besoins identifiés par les fabmanagers : les apports directs étant dispensés à la demande et le choix des thèmes des ateliers est fait en adéquation avec les besoins des usagers.

Les apprentissages sociaux et le mode d’exploitation d’aide par les pairs sont beaucoup mis en avant dans les propos des fabmanagers mais semblent moins présents dans l’activité des usagers que nous avons interrogés. Les usagers travaillant sur leurs projets personnels n’ont pas forcément la nécessité de collaborer. Les fabmanagers essayent cependant clairement d’influer sur cette situation en proposant de nombreux dispositifs allant dans ce sens.

Pour résumer, nous pouvons avancer que les fabmanagers que nous avons interrogés tentent d’aiguiller les usagers vers les dispositifs d’utilisation de ressources numériques et d’aide par les pairs, ces usagers ayant plutôt tendance à s’orienter naturellement vers les ateliers thématiques et la demande d’apports directs. Concernant les domaines d’apprentissage, les acquis relatifs aux compétences psychosociales semblent principalement influencés par les intentions des fabmanagers tandis que les apprentissages techniques et ceux liés à la gestion de projet sont plutôt assujettis aux types de médiations vers lesquelles se tournent les usagers.

5. Conclusion et perspectives

En conclusion de cet article, rappelons d’abord que le terrain des fablabs est relativement récent et qu’il fait l’objet de peu de recherches dans le champ des sciences de l’éducation, en particulier dans la sphère francophone. Nous pouvons affirmer que nos résultats sont en cohérence avec ceux, issus de notre revue de littérature, qui portaient avant tout sur l’analyse de l’activité des usagers. Nous pouvons par exemple citer les recherches de Sheridan et Al. (2014) qui proposent une analyse du fablab en tant qu’environnement d’apprentissage. Nous avons pu, à travers ce travail, compléter ces résultats, en élargissant le focus, en étendant les observations et l’analyse du côté des fabmanagers. En effet, notre méthodologie qui consiste à analyser séparément puis conjointement l’activité des usagers et des fabmanagers nous a permis de catégoriser les intentions didactiques et les dispositifs mis en place par les fabmanagers puis d’essayer d’évaluer leurs correspondances avec les pratiques et les apprentissages des usagers. Nos résultats doivent cependant être considérés au regard des limites de notre méthodologie. Nous avons pris soin de choisir quatre lieux représentatifs de la diversité rencontrée lors de nos repérages. Il serait cependant souhaitable de consolider ces résultats en accroissant le nombre de cas étudiés et en réalisant davantage d’observations directes de l’activité.

Nous pouvons également imaginer quelques prolongements et ouvertures. Tout d’abord, en approfondissant certains aspects que nous avons traités. Il serait en effet possible d’étudier les genèses instrumentales du côté des fabmanagers, en analysant l’élaboration des instruments qu’ils ont constitués dans le but de favoriser les apprentissages des usagers.

Nous pouvons, en outre, imaginer d’autres approches méthodologiques. Nous pourrions essayer de suivre les usagers dans la durée. Cela permettrait d’affiner notre perception des dynamiques en cours au niveau des apprentissages et d’étayer nos résultats concernant les genèses instrumentales.

Il est aussi envisageable de donner de nouvelles directions d’interrogation à notre travail. Nous pourrions nous rapprocher du monde scolaire, en prenant pour objet d’étude des fablabs intégrés à des établissements du primaire et du secondaire. L’objectif serait d’évaluer les différentes adaptations en présence et de questionner les conditions de compatibilité de l’environnement fablab avec la forme scolaire.

Les chiffres recensant les fablabs en France et dans le monde indiquent que cette pratique est en continuelle expansion et qu’elle se diffuse dans de nombreuses sphères de la société (Bosqué, Garnier et Gheorghiu, 2019). Cependant, comme nous venons de le voir, ce terrain de recherche reste pour l’instant que partiellement défriché et soulève encore de nombreuses questions, en particulier dans le champ des sciences de l’éducation. Il nous semble donc essentiel de continuer à l’étudier dans toutes ses potentialités.

6. Références

Anderson, C. (2012). Makers : La nouvelle révolution industrielle. Pearson.
Blikstein, P. (2013). Digital fabrication and ‘making’in education : The democratization of invention. FabLabs : Of machines, makers and inventors, 4, 1-21.
Bosqué, C., Garnier, C., & Gheorghiu, M. (2019) Livre blanc. Panorama des Fablabs en France. Repéré le 20/08/2019 à http://www.fablab.fr/livre-blanc-panorama-des-fablabs-en-france/
Crowne, D., & Marlowe, D. (1960), A new scale of social desirability independent of psychopathology, Journal of Consulting Psychology, 24, 4, 349-354
Drijvers, P., Doorman, M., Boon, P., Reed, H., & Gravemeijer, K. (2010). The teacher and the tool : Instrumental orchestrations in the technology-rich mathematics classroom. Educational Studies in mathematics, 75(2), 213-234.
Folcher, V., & Rabardel, P. (2004). Hommes, artefacts, activités : perspective instrumentale. Ergonomie, 251-268.
Gershenfeld, N. (2005). Fab : the coming revolution on your desktop—from personal computers to personal fabrication. Basic Books.
Hatch, M. (2013). The maker movement manifesto : Rules for innovation in the new world of crafters, hackers, and tinkerers. McGraw Hill Professional.
Léontiev A.N. (1981). Problems of the development of mind. Moscow, Progress.
Luis, É., & Lamboy, B. (2015). Les compétences psychosociales : définition et état des connaissances. La santé en action, 431, 12-16.
Martinez, S. L., & Stager, G. (2013). Invent to learn. Torrance, CA : Constructing modern knowledge press.
Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies ; approche cognitive des instruments contemporains (p. 239). Paris : Armand Colin.
Sheridan, K., Halverson, E. R., Litts, B., Brahms, L., Jacobs-Priebe, L., & Owens, T. (2014). Learning in the making : A comparative case study of three makerspaces. Harvard Educational Review, 84(4), 505-531.
Trouche, L. (2003). Construction et conduite des instruments dans les apprentissages mathématiques : nécessité des orchestrations. Document pour l’habilitation à diriger des recherches. Novembre 2003. Paris 7. France.
Vygotsky, L.S. (1978) Thought and language, MIT Press, Cambridge, MA (Original work published 1934).
Wenger, E. (1999). Communities of practice : Learning, meaning, and identity. Cambridge university press.

7. Annexes

Tableau : Présentation des usagers et description des projets analysés

[1Sur le terrain, les fabmanagers se décrivent souvent comme des « facilitateurs ».

[2D’après le site https://www.fablabs.io/labs consulté le 20/08/2019 qui référence les lieux reconnus officiellement par le MIT

[3La charte du MIT, pour sa partie équipement, préconise une liste de machines comprenant : une imprimante 3D, une fraiseuse numérique, une découpeuse laser et des cartes programmables. Ces machines ne sont pas à proprement parler obligatoires mais un indice évaluant le taux d’équipement de chaque fablab incite clairement à disposer de tout le matériel


 

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