Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Etude communicationnelle de l’abandon en formation à distance universitaire

mardi 7 février 2017 Clément Dussarps

Pour citer cet article :

Dussarps Clément (2017). Étude communicationnelle de l’abandon en formation à distance universitaire. Adjectif.net [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article422

Résumé :

Nous proposons dans cet article un compte-rendu à la fois théorique, empirique et ingénierique d’un travail de thèse soutenu fin 2014. Nous avons cherché à comprendre en quoi et comment la dimension affective de la communication participait à l’abandon en formation à distance. Notre approche s’inscrit principalement en sciences de l’information et de la communication, de par l’analyse info-communicationnelle des dispositifs de formation et interactions en œuvre au sein de ceux-ci, et en sciences de l’éducation de par l’objet d’étude et la problématique d’abandon dans un dispositif d’apprentissage. Certains éléments issus de la psychologie ont été mobilisés pour mieux comprendre la notion d’affectivité et la caractériser.

Cette étude trouverait volontiers sa place dans une démarche caractéristique des humanités digitales (Doueihi, 2011), si l’on considère « que leur rôle est à la fois de comprendre (approche théorique) et d’entreprendre (approche pratique), d’observer (approche descriptive), mais aussi de créer (approche pragmatique) avec les instruments de la connaissance  » (Cormerais, Le Deuff et al., 2016). En effet, après la classique étude bibliographique de notre sujet, nous avons analysé un terrain (dispositifs de formation à distance), suggéré des améliorations possibles des dispositifs existants et conçu une méthode opérationnelle (au stade encore expérimental) [1] visant à réduire l’abandon. Nous nous plaçons donc à la fois dans une approche théorique et analytique, mais aussi pragmatique et dans un souci ingénierique, dans le but de proposer des solutions pratiques aux problèmes identifiés.

Mots clés :

Abandon en formation, EAD (enseignement à distance), Enseignement supérieur, France

1. Introduction

Originellement un enseignement de substitution (pour les élèves et étudiants ne pouvant pas se déplacer, que ce soit à cause d’un handicap, d’une distance trop grande par rapport au lieu de formation ou de contraintes horaires, -Glikman, 2002), la formation à distance s’est particulièrement développée entre le milieu et la fin du XXe siècle, tant sur le plan technique (utilisation de nouvelles technologies, de la télévision au web aujourd’hui) que quantitatif (nombre d’étudiants inscrits). S’il s’agit initialement, dans les années 1960, d’un axe de développement permettant de « répondre aux contraintes des étudiants dits empêchés » (Paquelin, 2014), la question est aujourd’hui de faire face à l’augmentation des effectifs en enseignement supérieur et au développement de la formation continue, de la réduction du nombre d’heures de cours, mais aussi de tenir compte de critères économiques (Mœglin, 2010, p. 71), en particulier dans une période de difficultés financières des universités publiques françaises.

La formation à distance n’est toutefois pas une solution miracle (nous n’incluons pas dans notre propos les MOOC [2], pour lesquels les enjeux sont différents et dont les études menées à leur sujet demandent encore maturation du fait de leur récente apparition). Si le nombre d’étudiants accueillis en formation à distance peut sembler sans limite de prime abord (hormis technique), les taux d’abandon, systématiquement supérieurs à distance par rapport à ceux en présence, rappellent que les étudiants ne vivent pas la formation à distance de la même manière que celle en présence, en particulier lorsque l’enseignement se fait exclusivement ou quasi-exclusivement à distance. De plus, l’abandon peut avoir un impact économique non négligeable : dans un rapport canadien, Louise Sauvé et al. (2012, p. 7) établissent un constat sur ce lien : l’impact des abandons ne se limitent pas aux seuls étudiants concernés, il est susceptible de donner une mauvaise image de l’université, de conduire à une « perte de productivité et de compétitivité face aux autres pays ». Bien que le système canadien diffère du nôtre, les inscriptions dans les universités françaises sont une source de revenu très importante. L’abandon peut donc avoir des conséquences économiques, à la fois immédiates (l’étudiant qui a abandonné ne s’inscrira pas dans les années suivantes) et à plus long terme (réputation, image de l’université). De plus, les citoyens moins diplômés sont plus souvent chômeurs [3], ce qui peut avoir un impact à plus grande échelle.

Dans notre travail de thèse, nous avions convoqué plusieurs études faisant état des différences de taux d’abandon entre présence et distance (Dussarps, 2014), pour exemple : 15% contre 43%. Comme l’ont rappelé plusieurs chercheurs (notamment Glikman, 2002), la formation à distance n’est pas l’autodidaxie. Il s’agit alors de tenir compte de la nécessité de différentes formes de communication entre l’étudiant et le dispositif [4] de formation dans son ensemble : pédagogique, sociale, cognitive, affective, etc. [5]

Bien que des études scientifiques sur l’abandon en formation à distance existent, elles sont plurielles et non unifiées, que ce soit dans leur approche épistémologique, méthodologique et pragmatique (solutions proposées). Le dispositif de formation sera souvent questionné (e.g. qu’est-ce qu’il lui manque, faut-il mettre plus de tuteurs, revoir l’ergonomie, le calendrier ?), parfois la pédagogie (faut-il « ludifier [6] » l’apprentissage, augmenter l’interaction entre pairs ?). Des études existent également sur le public (qui est-il, pourquoi suit-il une formation à distance plutôt qu’en présence ?), sa capacité à réussir (rencontre-t-il des difficultés, est-il initialement compétent pour suivre la formation ?), ou encore sa dimension affective (se sent-il seul ?), moins étudié dans le domaine de la formation (Lafortune, 1992, p. 9 ; Giordan, 1998, p. 41 ; Dussarps, 2014, p. 55). C’est ce dernier point que nous avons souhaité analyser afin de comprendre l’abandon.

2. Le positionnement épistémologique : étude transdisciplinaire de la dimension affective de la communication

Notre travail présente certaines originalités par rapport à d’autres études sur l’abandon. Tout d’abord, nous y proposons un modèle intégratif de différentes théories sur la dimension affective (cf. Dussarps, 2014, p. 90, pour voir un schéma général de ce que nous considérons être la dimension affective), afin de comprendre l’individu dans la globalité affective de son être. Nous nous détachons ainsi des études affectives de l’abandon en formation à distance qui s’intéressent la plupart du temps à la solitude (et occultent d’autres formes d’affectivité), bien que ce sentiment aura effectivement un impact majeur –nécessaire mais pas toujours suffisant– sur la décision d’abandonner [7].

Ensuite, nous avons étudié cette question en tenant compte de l’environnement social de l’individu : il ne s’agit donc pas seulement de tenir compte du ressenti affectif de l’individu, mais aussi de l’ensemble des relations qu’entretient l’individu et qui peuvent avoir un impact sur sa dimension affective et sur sa décision d’abandonner ou non. Cela inclut en particulier les enseignants, les autres étudiants et les proches (famille, amis) de l’étudiant. Enfin, notre approche est transdisciplinaire, mobilisant des savoirs et méthodes issus des sciences de l’information et de la communication (SIC), des sciences de l’éducation (SE) et de la psychologie de l’éducation.

Elle se veut transdisciplinaire également dans sa finalité, c’est-à-dire qu’elle « concerne le transfert des méthodes d’une discipline à l’autre » (Nicolescu, 1996, p. XXVII). Par ailleurs, les recommandations et la proposition expérimentale qui sont formulées in fine peuvent tout à fait trouver leur place dans des travaux en SIC, en SE, voire en psychologie [8].

La dimension affective de la communication, régulièrement appelée « dimension socio-affective » dans le travail de thèse, est l’ensemble des sentiments [9] ressentis par l’individu lors d’une relation sociale, qu’elle soit en présence ou à distance. Nous avons pu observer dans notre revue de littérature que les sentiments avaient une origine tant intrinsèque (l’individu en « communication » avec lui-même) qu’extrinsèque au sujet (l’individu en relation avec son monde extérieur et en particulier les humains), même pour des sentiments tels que l’estime de soi, le sentiment d’auto-efficacité, le plaisir, etc. (Dussarps, 2014). Il convient alors de prendre en compte la dimension communicationnelle pour comprendre le rôle de l’affectivité dans l’abandon en formation à distance. Ceci passe à la fois par l’identification des individus en interaction avec le sujet (étudiant analysé) dans le dispositif de formation à distance (enseignants, autres étudiants, éventuellement personne administratif) et par l’analyse des communications entre eux. L’intention est également questionnée : dans quel but l’émetteur fait-il passer un message au récepteur ? En outre, il s’agit de vérifier que le message est bien compris et également en accord avec les attentes du récepteur, si attentes il y a. Plus généralement, nous souhaitions vérifier l’existence d’un contrat de communication entre les différents partis, la nature de ce contrat, et s’il est accepté, compris et clair pour chacun. Ceci nous a amené à mobiliser les notions d’intercompréhension et d’agir communicationnel (Habermas, 1987).

L’ensemble des sentiments retenus pour caractériser la dimension affective, au nombre de neuf, sont issus de lectures qui concernent les sentiments et leur rôle dans un contexte d’apprentissage (Dussarps, 2014, p. 58-59). Il s’agit du sentiment d’auto-efficacité (SAE), de la confiance en l’autre, du sentiment d’appartenance, du sentiment de reconnaissance, de la solitude, de l’anxiété, du sentiment d’autonomie (ou a contrario de dépendance), du plaisir et enfin de l’estime de soi. Ces sentiments sont constitutifs d’un sous-système (le système affectif) d’un système plus général (l’individu, composé de quatre sous-systèmes psychologiques [10] : cognitif, métacognitif, affectif et conatif).

Compte-tenu de l’objet de notre étude (l’abandon en formation à distance), le dernier système (conatif) fut également étudié en partie : seuls la motivation initiale à suivre la formation et l’« output » (abandon ou persévérance) du système conatif ont été étudiés [11], en relation à la dimension affective. La motivation initiale est caractérisée par son origine lorsqu’elle est présente (intrinsèque ou extrinsèque) ou par son absence (amotivation) grâce à la théorie de l’auto-détermination (Deci et Ryan, 1975), en relation aux besoins et désirs de l’individu et des choix qu’il fait en hiérarchisant ses motifs d’action (motif étant entendu comme synonyme de motivation). Cet ensemble est à situer dans un continuum temporel : d’un désir qui conduit à s’inscrire à une formation à un résultat final (réussite, échec, abandon), l’individu va rencontrer un certain nombre d’obstacles, faire face à une série d’événements plus ou moins sous son contrôle, entrer en relation avec autrui, être ou non accompagné… et ces éléments vont influencer ses sentiments (domaine affectif) et l’amener à persévérer ou abandonner (domaine conatif) sa formation.

3. Terrain et méthodes d’investigation

Cherchant à comprendre en quoi et comment la dimension affective de l’individu (notamment lorsqu’il est en situation de communication) participe à l’abandon du dit individu en formation à distance, nous avons procédé à une étude empirique en deux temps. Le premier temps positionne les étudiants d’un point de vue affectif avant leur entrée en formation : quelles sont leurs attentes, comment se projettent-ils ? Le second concerne leur vécu [12]. L’étude a concerné tant la première enquête et la seconde que les écarts entre les résultats des deux enquêtes. Nous avons pour cela créé une série de questions issues du cadre théorique (cf. Dussarps, 2014, voir les annexes). Un grand nombre d’entre elles avaient une échelle comme type de réponse, ceci afin de pouvoir traiter les variables à l’aide de scores, afin de comparer plus facilement les deux temps d’enquête et d’évaluer sur une échelle graduée commune l’importance de chaque élément affectif. Les variables affectives ont été complétées de variables socio-démographiques (sexe, âge, composition du foyer…), scolaires (niveau d’étude, dernier diplôme obtenu…), notamment. Ces données ont été traitées par des méthodes statistiques (descriptives et inférentielles).

Ces questionnaires ont été complétés par : 1) une grille de description des dispositifs de formation (notamment sur l’accompagnement pédagogique prévu, les regroupements présentiels ou leur absence, les outils d’organisation à disposition des étudiants) et 2) des entretiens semi-directifs auprès de 29 étudiants ayant répondu aux questionnaires. Ces entretiens ont été analysés en tant que tels [13], ce qui a donné lieu à des résultats complémentaires à ceux obtenus par questionnaires et approfondis, mais ils ont également permis de renforcer la fiabilité d’un grand nombre de résultats (méthode de triangulation des données par différenciation des méthodes [14], au sens de Berger, Crescentini et al., 2010).

Le terrain d’enquête est exclusivement constitué d’universités. Toutefois, le profil des formations et des étudiants est varié. Il y a d’une part des universités françaises, où les formations sont dispensées entièrement à distance (hormis un maximum de deux regroupements dans l’année) et d’autre part des universités québécoises, où il n’y avait parfois qu’une partie des cours (au moins la moitié) qui étaient dispensés à distance. Cette bi-modalité (présence/distance) fait de cet échantillon québécois une strate particulière, qui nous a amené à discriminer les résultats entre Français et Québécois, puis à les comparer en regard des différences de profils socio-démographiques et de dispositifs, tels que décrits par la grille descriptive. Nous avons traité indépendamment les étudiants dans une situation particulière (bi-modale) puis les avons ensuite comparés avec les autres pour en sortir les points communs et différences. Il apparaît toutefois que l’échantillon québécois a bien moins abandonné que l’échantillon français (15 % contre 40 %), et cela même en discriminant les échantillons selon les modalités de formation (entièrement à distance ou bi-modale ; avec ou sans tutorat) qui n’ont pas de lien de causalité statistiquement apparent (test de khi-2 faiblement significatif, c’est-à-dire avec une probabilité d’erreur supérieure à 10 %) [15].

Le lecteur pourra retrouver l’ensemble des éléments de cadrage (caractérisation des dispositifs, chiffres sur les profils, nombre d’étudiants ayant abandonné dans l’échantillon, etc.) dans leur intégralité dans le manuscrit (Dussarps, 2014, pp. 178-197) ou en une version plus résumée dans un article (Dussarps, 2015). De même au sujet des résultats des analyses quantitatives et qualitatives : nous souhaitons dans cet article nous consacrer essentiellement à l’approche méthodologique et aux solutions suggérées et moins à l’analyse chiffrée. Nous aborderons par conséquent dans la partie suivante les conclusions issues des analyses et renvoyant le lecteur aux références sus-mentionnées.

4. Principales causes d’abandon

Il est classiquement question en communication des organisations de dysfonctionnements dans la transmission de l’information, le modèle structurel ou l’organisation. Ceux-ci sont observés au niveau macroscopique (entre une entreprise et ses partenaires par exemple) ou microscopique (entre les individus de l’entreprise). Ces dysfonctionnements sont souvent décisifs pour comprendre l’origine de problèmes plus généraux. Les dispositifs de formation à distance peuvent être observés de manière méthodologiquement similaire et présentent les mêmes défauts de communication. Les dysfonctionnements sont le « catalyseur » de nombreuses causes d’abandon. Ils sont de nature diverse : non respect du calendrier de la formation (retard voire absence de mise en ligne des cours ou des retours sur les travaux à faire, etc.), indisponibilité des enseignants ou du personnel administratif (et donc absence de réponse à une question qui peut s’avérer « bloquante »), incompréhensions entre diverses parties, etc. Ils symbolisent également les écarts entre ce qu’est censé être le dispositif (tel que décrit), ce qu’attend l’étudiant (ce qu’il imagine que le dispositif est et/ou ce qui est nécessaire selon lui à sa réussite dans de bonnes conditions), ce que l’étudiant croit avoir comme ressources à sa disposition (perception de ce que donne le dispositif) et la réalité (ce que le dispositif est réellement). Le contrat de communication est parfois inexistant ou rompu.

En cindynique (sciences de l’étude des risques utilisées notamment en gestion de projets ou dans le domaine de la santé –Sun, 2007), on classe les risques selon leur criticité (méthode APR – Analyse Préliminaire des Risques), fonction de leur fréquence d’apparition et de leur gravité [16] (a minima). Nous avons rencontré différents niveaux de criticité (d’appréciation subjective) : à faible fréquence mais à forte gravité, on peut citer le cas d’un enseignant qui délivre un cours composé uniquement du titre du cours ou de mots-clés ; à forte fréquence et gravité variable selon les étudiants, un cours qui est envoyé deux semaines avant l’examen. Nous souhaitons exprimer ici l’importance de la conjonction de différents facteurs : ce cours envoyé peu de temps avant les examens aura une gravité différente selon que l’étudiant ait du temps à consacrer à ses révisions (s’il est en emploi, a une vie de famille, a d’autres éléments prévus et non reportables), gère aisément son stress ou non, ait besoin de temps pour apprendre, l’enjeu que représente la réussite de sa formation pour lui et sa lassitude face à l’attente d’un cours qui arrive avec trois mois de retard, etc.

Nous avons ainsi observé que les étudiants ayant un motif essentiellement intrinsèque à suivre la formation (plaisir d’apprendre par exemple) étaient ceux qui abandonnaient le plus souvent (70 % d’entre eux), au cours du premier semestre (Dussarps, 2014, p. 364). Et pour cause, si leur formation fonctionne correctement et qu’ils ont plaisir à lire leurs cours, leur motivation reste intacte ; mais s’ils accumulent les difficultés d’organisation, administratives, etc., au cours de leur formation, et ce malgré un désir fort d’apprendre, ils se lassent et abandonnent facilement. En revanche, ceux qui ont un motif extrinsèque (avoir le diplôme pour évoluer professionnellement ou trouver un emploi par exemple) et un objectif à réussir leur formation « s’accrochent » plus volontiers, du fait de la pression de l’enjeu. Ils sont plus facilement « remotivables » (ils représentent 30 % des abandons, contre 55 % chez ceux ayant une motivation initiale intrinsèque et/ou des objectifs à suivre la formation peu définis).

Le second facteur d’abandon est la solitude au sein du dispositif [17], lorsqu’elle est conjointe à d’autres facteurs affectifs (faible sentiment d’auto-efficacité, peu de soutien des proches, une difficulté à réduire la solitude en entrant en contact avec les autres étudiants, un faible plaisir à étudier…). La solitude n’est pas seulement l’absence de l’autre, mais la difficulté à entrer en relation avec l’autre lorsqu’on en aurait besoin ou une insuffisance dans la qualité des communications. Toutefois, il arrive que certains étudiants compensent les manques, en particulier lorsque celui-ci est avec l’enseignant : « le soutien des pairs prend de l’importance selon sa nature. Lorsqu’il s’agit de compenser l’absence ou l’incomplétude d’une réponse de la part des enseignants ou du personnel administratif, leur aide devient précieuse, notamment au niveau administratif (e.g. certains habitent à proximité du campus et vont se renseigner sur place à propos d’une question administrative pour informer leurs pairs ensuite).  » (Dussarps, 2015). Lorsqu’il y a compensation, l’abandon est plus rare (20 % de ceux qui compensent contre 45 % de ceux qui n’arrivent pas à compenser).

En résumé, les abandons sont généralement dus à la synergie de plusieurs facteurs, qui peuvent être affectifs ou avoir un impact sur l’affectivité. En premier lieu, une motivation à suivre la formation intrinsèque et des dysfonctionnements ; en second lieu, la solitude de l’étudiant face à une absence de réponse, conjointe à d’autres facteurs affectifs, solitude qu’il réduit parfois à l’aide de ses pairs. Notons que les résultats dans les échantillons québécois sont souvent différents, du fait d’un abandon plus rare, de moyens mis en œuvre plus importants en formation à distance que dans les universités françaises et d’un sentiment d’auto-efficacité initial plus fort.

5. Proposition finale

En regard de ces résultats, nous souhaiterions proposer un protocole expérimental visant à réduire les abandons. De par notre angle de vue (dimension affective de la communication), il nous semble que le principal moyen de réduire l’abandon n’est pas nécessairement d’avoir un dispositif parfait (nous avons pu voir que la « compensation » par les pairs pouvait réduire l’abandon), mais d’établir un contrat initial clair et fidèle, y compris en assumant les imperfections du dispositif. Il s’agirait d’élargir et d’adapter ce qui a été fait dans ce travail doctoral : une enquête, réalisée non pas en début de formation mais avant l’inscription, qui serve à la fois à connaître les étudiants et identifier précocement ceux étant « à risque » d’abandon (et, si la formation le permet, ils pourront être accompagnés de manière proactive et régulière), mais aussi et surtout d’aider les apprenants à prendre conscience de ce qu’ils attendent de la formation et des ressources qui sont à leur disposition, prise de conscience qui se ferait lorsqu’ils répondraient au questionnaire.

A l’issue de ce questionnaire auto-évaluatif, les étudiants pourraient estimer la distance entre leurs attentes et la réalité du dispositif, et être éventuellement mis en garde sur certains éléments. En acceptant de suivre la formation dans ce contexte, ils passeraient une forme de contrat moral, un engagement, avec le dispositif de formation ; parallèlement, l’institution de formation s’engerait à respecter le dispositif tel qu’il est décrit, quitte à assumer, par exemple, le fait que l’accompagnement soit très limité, ou que des retards de cours de l’ordre d’une semaine puissent survenir, ce qu’il faudra donc que les étudiants prévoient initialement [18].

L’image suivante montre un exemple de ce dont il pourrait s’agir avec quatre éléments :

Tableau 1 : Attentes des étudiants vs offre du dispositif. Exemple de synthèse suite à un questionnaire des attentes proposé avant l’inscription en formation.

6.Conclusion

Ce travail transdisciplinaire cherchait à identifier des causes d’abandon d’ordre motivationnel ou affectif, en étudiant principalement les communications entre les acteurs du dispositif de formation et leur impact sur la dimension affective de l’étudiant. Nous avons pu voir que des éléments organisationnels (calendrier par exemple) pouvaient rentrer en ligne de compte. Les dysfonctionnements du dispositif sont importants pour comprendre l’abandon, mais ce ne sont pas tant eux que le fait qu’ils soient inattendus qui créent la difficulté : un dysfonctionnement rompt la confiance que l’étudiant avait placée en l’institution de formation et met en péril sa motivation à continuer lorsqu’il fait perdre en plaisir, crée une forme de solitude importante ou encore réduit le sentiment d’auto-efficacité.

Nous suggérons alors la passation d’un contrat moral, en prévision de l’inscription en formation [19]. Cette proposition d’une procédure de détection des profils « à risque » et de conscientisation des écarts entre attente et réalité, forme de contrat moral entre l’étudiant et le dispositif, reste à éprouver à ce jour. Au vue de notre étude et de l’analyse qui a suivi, cette proposition expérimentale nous semble pouvoir faire ses preuves et réduire l’abandon dans des formations à distance universitaires où son taux est élevé et le public hétérogène.

7. Références bibliographiques

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Article version PDF

[1Ce travail reste actuellement au stade de la conception et non de la réalisation concrète, d’autant plus qu’elle est encore peu expérimentée.

[2Massive Open Online Courses ou « Cours en Ligne Ouverts et Massifs » (CLOM).

[3De nombreuses études attestent d’une corrélation négative entre le niveau de diplôme et le taux de chômage (voir notamment http://www.inegalites.fr/spip.php?page=article&id_article=1585), les non-diplômés étant ceux qui sont le plus souvent chômeurs. Les « très diplômés » (doctorat) sont un cas particulier.

[4Le dispositif est pour nous un ensemble d’éléments, intentions et fonctions du dispositif, agents du dispositif (humain ou non), moyens matériels et techniques, etc. Dans notre travail de thèse, nous avons défini le dispositif de formation en prenant comme base la proposition de D. Peraya (1999, p. 153).

[5L’on pourrait également employer les termes de « médiation pédagogique », « médiation sociale », « médiation cognitive », « médiation affective », où l’organe de médiation serait, souvent, la plateforme web.

[6On rencontrera également le terme de « gamification ».

[7Cf.Dussarps, 2014.

[8Les résultats ont d’ailleurs fait l’objet de publications ou communications dans diverses disciplines : SIC, SE et même en géographie, par une approche fondée sur la notion de distance.

[9Nous différencions les sentiments des émotions (Dussarps, 2014, p. 53), les secondes étant une réaction soudaine, de courte durée, objectifs (universels et visibles notamment sur le visage comme l’a montré P. Ekman (1987), et peuvent donner lieu, dans certaines situations (ibid.) à des sentiments. Le choix d’étudier les sentiments plus que les émotions est pragmatique et concerne la partie empirique de l’étude : l’émotion étant de très courte durée, elle sera parfois évoquée par les étudiants lors d’entretiens, mais ne peut pas réellement être observée in situ ; de plus, son évocation par l’individu risque d’être erronée, du fait de son caractère furtif et parfois non-conscient.

[10Compte-tenu de notre approche, nous avons écarté tout ce qui a attrait au domaine matériel (corps).

[11Le lecteur pourra toutefois retrouver un modèle complet du processus conatif dans le manuscrit (Dussarps, 2014, p. 119).

[12Nous avons obtenus 329 réponses à la première enquête et 234 à la seconde (73 sont communes aux deux).

[13L’analyse a été conduite par fragments (groupe de mots faisant sens) associés à une ou plusieurs variables, dont certaines ne sont pas directement liées au cadre théorique car imprévues. Il y a donc une double approche des entretiens : par théorisation ancrée (Paillé, 1994), nous permettant de compléter le cadre théorique, puis par hypothético-déduction. Certains propos, évocateurs et similaires aux analyses issues des entretiens, ont été rapportés en guise d’illustration.

[14Nous avons en effet dans cette recherche croisé les résultats obtenus par questionnaire et ceux réalisés en entretien, à la fois pour obtenir des résultats que nous n’aurions pas eues en n’utilisant qu’une seule méthode, mais également pour renforcer la validité des analyses réalisées, en retrouvant des résultats similaires par les deux méthodes.

[15Des différences existent d’ailleurs avant même le début de la formation : les étudiants québécois sont plus souvent extrinsèquement motivés, ont un sentiment d’auto-efficacité plus fort et une plus faible attente envers les autres étudiants et les enseignants (cf. Dussarps, 2014, p. 256).

[16Ici, la gravité concerne essentiellement les conséquences sur un étudiant, un des risques « graves » pouvant être l’abandon de la formation.

[17Evaluée par des calculs mathématiques d’après les données issues dans les questionnaires. On a ainsi pu évaluer un « niveau » de solitude et indiquer les manques communicationnels de l’étudiant par rapport aux enseignants, pairs ou proches.

[18Ces éléments sont bien entendu à nuancer selon les formations. On peut supposer qu’une formation continue qui recherche des financements extérieurs pour exister sera plus attentive à ne pas donner une « mauvaise image » de son fonctionnement. Toutefois, nous pensons qu’un contrat honnête limiterait l’abandon ou certaines formes d’abandon, quelle que soit la qualité de la formation.

[19Cela se différencie des syllabus de cours pour plusieurs raisons : 1) les syllabus renseignent sur un cours seul et donnent certains éléments qui ne sont pas d’ordre affectif a priori (objectifs, prérequis, contacts, calendrier, etc.), 2) ils sont envoyés sans possibilité de rétroaction de l’étudiant et 3) ils sont disponibles en début de formation, rarement avant.


 

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