Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Etude sur les usages du cartable électronique de Savoie : premiers résultats

vendredi 21 décembre 2012 Paulin Grégoire

Pour citer cet article :

Grégoire, Paulin (2012). Etude sur les usages du cartable électronique de Savoie : premiers résultats. Adjectif.net Mis en ligne vendredi 21 décembre 2012 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article201

Résumé :

Le travail présenté dans cet article est un résumé du rapport de la première phase d’une enquête sur les usages du cartable électronique CO3 (COllège-COnnexion-COmmunauté) dans les collèges de Savoie.

Mots clés :

Enseignement secondaire, ENT, France

Introduction

Le travail présenté ici est un résumé du rapport de la première phase d’une enquête sur les usages du cartable électronique CO3 (COllège-COnnexion-COmmunauté) dans les collèges de Savoie. Cette étude en cours, qui répond à l’appel public à la concurrence du Conseil Général de Savoie dans le cadre du marché « Évaluation des expérimentations de CO3 menées dans les collèges de Savoie », est dirigée par l’équipe Syscom de l’Université de Savoie, associée à l’Université Pierre Mendès-France de Grenoble. Elle vise à mieux comprendre l’intégration de ce dispositif dans les pratiques des équipes pédagogiques mais aussi, et surtout, dans celles des familles d’élèves. La première partie de l’enquête, dont nous présentons les résultats ici, s’est tout d’abord concentrée sur les conditions de la mise en place de cet Environnement Numérique de Travail (ENT) dans les collèges de Savoie, pour mieux comprendre en amont son contexte, les éventuels freins à son déploiement, et les leviers qui ont permis son développement au sein des établissements.

Cet environnement, développé par la société Pentila [1], est le troisième à être déployé dans les établissements du département de la Savoie depuis 2001. Sa mise en place a débuté dans quelques collèges à la rentrée 2009, puis s’est progressivement généralisée à partir du deuxième semestre de l’année scolaire. A la rentrée 2011, les 38 collèges publics de Savoie, ainsi qu’un établissement privé, disposaient des codes d’accès au CO3, avaient reçu au minimum la visite d’un agent du Conseil Général pour une formation pratique et technique, et étaient donc en mesure de l’utiliser.

Si le taux de fréquentation général de l’ENT augmente régulièrement depuis cette date, sa mise en place ne s’est cependant pas toujours faite facilement, puisqu’elle a dû faire face notamment à quelques réticences d’une partie de la communauté enseignante, réticences souvent dues à un contexte particulier que nous présenterons brièvement ici. Nous verrons ensuite comment ces réticences, ces freins au déploiement du CO3, ont en partie pu être levés et, donc permettre à la fréquentation de l’ENT d’augmenter. Cela a été possible grâce à des facteurs plutôt structurels, comme l’obligation depuis la rentrée 2011 pour les enseignants de remplir numériquement leur cahier de textes, mais aussi et surtout grâce à des médiateurs, internes ou externes aux établissements, et qui accompagnent la mise en place et l’utilisation au quotidien dans les collèges.

Historique des ENT en Savoie

Le département de la Savoie est un des pionniers en matière d’Environnements Numériques de Travail. De nombreuses difficultés de mises en œuvre ont déjà été repérées (Burger, n.d.), et (Voulgre, 2011). Le CO3 est donc le troisième ENT à être mis en place dans les collèges de Savoie après, d’une part, la première version du « cartable électronique  » développée en 1999 et mise en place dès 2001, et, d’autre part, la solution canadienne Collaba [2] proposée par Orange [3] et utilisée de 2006 à 2008.

La première version du « cartable électronique » était, selon les personnes qui l’ont utilisée et que nous avons pu interroger, un outil qui fonctionnait bien, et que les enseignants s’étaient plutôt bien approprié. En 2004, le Conseil Général a souhaité continuer à développer ce premier ENT en collaboration avec une entreprise privée. L’expérience n’aboutira pas, la plate-forme n’évoluera plus, et dans les collèges les équipes se démobiliseront petit à petit. En 2005, des problèmes juridiques concernant cet ENT entraîneront l’arrêt de son utilisation (Collet, 2005).

La mise en place, dès la rentrée 2006, d’une nouvelle solution, Collaba, conduit les enseignants à devoir s’approprier un nouvel outil qui sera, de l’aveu général, insatisfaisant : une prise en main plutôt compliquée (une terminologie québécoise pour les services proposés par exemple), une interface assez peu ergonomique, de grosses difficultés pour maintenir le contact avec l’entreprise à l’origine de la solution ont fait de cette expérience un échec.

Ce contexte est essentiel à prendre en compte dans la mise en place depuis 2009, puisque ces expériences précédentes ont parfois provoqué des réticences de la part d’une certaine partie de la communauté enseignante quant au déploiement d’un nouvel ENT (Collet, 2004). De plus, cet historique a donné naissance à une situation particulièrement hétérogène : il n’y avait pas d’uniformisation au niveau du département, et chaque établissement présentait un profil d’utilisation des outils numériques différent.

Méthodologie

Pour réaliser cette première partie de l’enquête, nous avons procédé par entretiens semi-directifs. Nous avons tout d’abord rencontré un certain nombre d’acteurs impliqués de près ou de loin dans la conception et la mise en place du système en amont des collèges : 3 responsables chez Pentila, 4 agents du Conseil Général au service sport et jeunesse, 2 agents du Rectorat et de la mission TICE (Technologie de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement). De cette manière, nous avons pu mieux approcher l’outil CO3, son histoire, ainsi que le point de vue de ces acteurs sur la mise en place du dispositif.

Nous nous sommes ensuite rendus dans des collèges pour rencontrer les responsables d’établissements au minimum, et quand cela était possible toute personne impliquée de près ou de loin dans la mise en place et l’utilisation du CO3 : référents ENT, CPE [4], enseignants.

Pour choisir les établissements, nous avons constitué un échantillon de 12 collèges, significatifs par leur utilisation du CO3, en nous basant sur les statistiques de fréquentation fournies par la Caisse des Dépôts et Consignations [5]. Par eux, nous avons cherché à mieux comprendre les contextes permettant une forte utilisation ou, au contraire, conduisant à une faible, ou même, une non utilisation. Les collèges présentant une faible utilisation ou une utilisation spécifique (uniquement par les enseignants par exemple, ou au contraire majoritairement par les parents) nous ont semblé mériter une attention particulière, sans pour autant négliger, bien entendu, les établissements où l’ENT semble être particulièrement bien intégré et utilisé. Au total, nous avons pu rencontrer 12 principaux, 2 CPE, 1 documentaliste, 3 référents ENT, 1 responsable informatique et 3 autres enseignants.

Dans ces collèges, nous avons à chaque entretien cherché à connaître tout d’abord l’historique de l’utilisation des ENT de l’établissement, et la date et la manière dont nos interlocuteurs ont été impliqués dans la mise en place du dispositif à l’intérieur de celui-ci. Le but était par là de mieux comprendre les conditions de déploiement mais aussi les éventuelles expériences antérieures qui ont pu influer sur le contexte présent de mise en place et d’utilisation.

Exploration des conditions de la mise en place du CO3

Les progressions dans la fréquentation de l’ENT enregistrées depuis la rentrée scolaire 2011 sont différentes selon les établissements. Certains s’y sont impliqués dès le début d’année ; d’autres ont commencé doucement mais ont vu leur utilisation progresser ; d’autres, enfin, restent de petits utilisateurs. Plusieurs difficultés expliquent ces variations observées dans l’utilisation.

Les obstacles

Les expériences passées ont souvent laissé des traces qui provoquent aujourd’hui pour une partie de la communauté enseignante des résistances à l’utilisation d’un nouvel ENT (Collet, 2004), parfois perçu comme un outil de plus qu’ils doivent apprendre à utiliser alors que les deux versions précédentes n’ont pas duré. De ces expériences qui n’ont pas abouti, malgré la volonté de l’Éducation Nationale de généraliser les pratiques numériques dans les collèges, a découlé une situation où chaque établissement de Savoie, mais parfois même chaque professeur au sein d’un même établissement a mis en place sa propre stratégie : certains ne se sont pas lancés du tout dans l’utilisation d’outils informatiques, d’autres l’ont fait en adoptant des outils qui leur sont propres (Pronote [6], Educ-horus [7], Sconet [8] par exemple).

Dans ce contexte, l’arrivée d’un nouvel ENT dans les collèges est souvent vue, sinon avec méfiance, du moins avec prudence. La mise en place d’une véritable dynamique, au sein même des établissements, permettant le développement des usages du CO3 n’est également pas toujours chose facile face à la multiplicité des outils parfois utilisés dans un même collège, et aux habitudes de travail des enseignants qui en découlent.

De plus, des questions relevant de l’outil lui-même se posent à ses utilisateurs dans les collèges : le contrôle du chef d’établissement sur une interface qui reste une passerelle entre le collège et les familles est au cœur de la réflexion de certains directeurs. En effet, même chez les plus gros utilisateurs que nous avons pu rencontrer, la volonté de conserver une « ligne éditoriale » propre à l’établissement est forte, et le fait que d’autres instances comme le Conseil Général puissent par exemple publier sur le CO3 des informations à destination de tous les utilisateurs (enseignants, élèves, parents) sans passer par la direction du collège peut parfois poser problème, ou en tout cas entraîner une certaine vigilance de la part de celle-ci.

D’une manière plus générale, les possibilités d’intégration par les communautés éducatives d’un outil numérique à vocation pédagogique soulèvent également des questions plus vastes concernant les motivations, et surtout les compétences des enseignants en matière d’informatique dans les collèges à une époque où la plupart des élèves sont habitués à l’utilisation d’ordinateurs, de Smartphones, de Youtube ou de Facebook, parfois bien plus que les professeurs eux-mêmes.

Ces barrières et ces résistances n’empêchent cependant pas certains établissements d’utiliser le CO3 de manière significative, et l’utilisation générale dans les collèges de Savoie d’augmenter depuis la rentrée 2011. En analysant les profils des établissements les plus utilisateurs, nous voyons qu’ils révèlent tous une organisation similaire : une équipe stable (au minimum à la direction du collège), un équipement informatique conséquent, et surtout un noyau d’individus motivés et impliqués dans la mise en place de l’ENT et son utilisation.

Les leviers

Le premier des leviers reste l’outil lui-même, à condition bien entendu de disposer d’un parc informatique suffisant permettant son utilisation (l’idéal selon les personnes interrogées étant un ordinateur par salle pour que chaque enseignant puisse lui-même utiliser le système quand il le souhaite, ce qui reste pour l’instant assez rare). En effet, même s’il peut parfois être perçu comme un « outil de plus » face aux autres solutions mises en place depuis quelques années dans les établissements pour pallier les expériences qui n’ont pu aboutir, les éditeurs du CO3 souhaitent pouvoir intégrer des nouvelles fonctionnalités et des nouveaux services.

Ces multiples possibilités, ainsi que l’obligation depuis la rentrée 2011, pour les enseignants, de renseigner numériquement leur cahier de textes, ont pu fournir un cadre permettant à la direction de certains établissements de « pousser » leur communauté enseignante à l’utiliser. Cela a parfois permis, par exemple, de ne se tourner plus que vers un seul outil dans un même collège quand il y en avait plusieurs, et a donc facilité une homogénéisation des pratiques internes, créant de ce fait une dynamique favorisant son utilisation.

Enfin le CO3 est, de l’avis général, un outil facile à prendre en main. Cela peut être parfois plus difficile en fonction des générations : il apparaît d’après les entretiens que nous avons pu mener que les enseignants les plus âgés sont souvent moins à l’aise que les plus jeunes devant l’outil informatique, et donc parfois plus réticents à modifier leurs méthodes de travail. Cependant ces réticences peuvent êtres contournées par la formation et l’encadrement.

Cet encadrement est le fait de ce que nous avons appelé des « médiateurs » (Hennion, 1993 ; Latour, 2007 ; Simondon, 2007), c’est-à-dire des individus qui, à un moment ou à un autre du processus de mise en place du dispositif, sont parvenus à créer du lien, à faire circuler les informations entre, par exemple, le Conseil Général et les collèges, et accompagnent les utilisateurs (en l’occurrence, les enseignants) dans leur utilisation du CO3. Ces médiateurs peuvent être externes aux établissements : agents du Conseil Général ou du Rectorat ; ou internes : référents ENT (enseignants ou CPE), ou responsables informatiques pour ceux que nous avons pu rencontrer. Dans ce dernier cas, leur efficacité dépend d’une certaine stabilité dans les équipes des collèges, pour que la dynamique mise en place par ces médiateurs et leur direction puisse perdurer et s’ancrer dans les habitudes des enseignants.

Leur action consiste à installer et diffuser le système dans les collèges, à former ses utilisateurs à son utilisation, ou encore à développer des usages pédagogiques. Ils cherchent également à en stimuler les usages, soit en enrichissant son contenu (mise à disposition de documents à destination des élèves mais aussi des enseignants, création de groupes, etc.), soit en orientant les communautés enseignantes pour des utilisations dans le cadre de leur fonction. A titre d’exemple, des agents du service sport et jeunesse du Conseil Général ont décidé de n’utiliser que lui pour répondre à leurs besoins de meilleure communication auprès des établissements pour le développement des sorties ski en Savoie. Cela pousse les collèges voulant y participer à l’utiliser, et permet par extension sa prise en main et le développement de son utilisation même par ceux qui avaient certaines réticences.

Mais l’action des référents ENT, officiellement plus « pédagogues » que « techniciens », peut également dépasser la stricte définition de leur poste. En effet, ils peuvent s’investir personnellement, soutenus par leur direction, dans des actions qui vont au-delà du simple accompagnement pédagogique ou de la circulation d’information. Nous avons par exemple pu rencontrer un référent ENT d’un établissement qui utilise beaucoup le CO3, et qui a lui-même câblé son établissement (et répare également les ordinateurs, étant informaticien de formation), créant par-là des conditions spécifiques pour la mise en place de l’ENT dans ce collège par son action « technique ». Au-delà de leur fonction, la motivation et l’investissement personnel de ces médiateurs est donc aussi une des clefs de la réussite du déploiement et de l’utilisation de cet ENT.

Conclusion

Entre le potentiel majoritairement reconnu du système, notamment en matière de communication ou de pédagogie, et le développement effectif de véritables nouveaux usages, se situe un espace complexe, lieu de conflits, de résistances, de mouvements convergents et divergents (Akrich, Callon, Latour, 2006). Les médiateurs, internes ou externes, sont là pour faire du lien, essayer de résoudre ces conflits, faire circuler les informations et, in fine, réduire cet écart, ou réduire les barrières empêchant le développement de l’utilisation de l’environnement.

Ils développent pour cela diverses stratégies, allant par exemple du choix d’imposer un seul outil (le CO3) pour remplir le cahier de textes numérique ou d’offrir la possibilité d’intégrer des services complémentaires ou encore de proposer des formations aux acteurs. Les médiateurs sont alors le lien nécessaire au processus d’appropriation. Ils ont pour mission de faciliter le chemin entre le nouvel outil, ses potentialités, et les usages effectifs qui peuvent en être faits dans le travail des enseignants.

Références

 Akrich M., Callon M. et Latour B., Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Presses de l’Ecole des Mines, Paris, 2006

 Burger D., (N.D.), Le cartable électronique, une clé pour l’intégration scolaire et universitaire, récupéré le 6 décembre 2012 du site : http://www.snv.jussieu.fr/inova/publi/cartable.htm

 Collet G., (2004), Étude des conditions de réussite de l’opération ‘Cartable électronique’®, Communication au colloque TICE Méditerranée 2004, Nice, décembre 2004, [en ligne] http://isdm.univ-tln.fr/PDF/isdm29/COLLET.pdf

 Collet G., al., (2005), Le développement des cartables numériques : les valeurs de l’école face au numérique, in revue Distance et Savoirs, Volume 3 numéro 3, La distance dans l’enseignement scolaire [en ligne] http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/05/65/28/PDF/Collet.pdf

 Hennion A., La passion musicale, une sociologie de la médiation, Métailié, Paris, 1993

 Latour B., Changer de société, refaire de la sociologie, La Découverte, Paris, 2007

 Simondon G., L’individuation psychique et collective, Aubier, Paris, 2007

 Voulgre E., (2011). Une approche systémique des TICE dans le système scolaire français : entre finalités prescrites, ressources et usages par les enseignants. Thèse de Doctorat en Sciences de l’Éducation sous la direction de Wallet J., CIVIIC, Université de Rouen, 357p, PDF, [en ligne] http://shs-app.univ-rouen.fr/civiic/memoires_theses/textes/these_VOULGRE.pdf

Article version PDF

[4Conseillers principaux d’Education

[8Logiciel renommé Siècle (Système d’Information pour les Élèves des Collèges des Lycées et pour les Établissements) depuis janvier 2012 : http://eduscol.education.fr/cid47773/sconet-est-utilise-par-tous-les-e.html


 

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